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De ton âme, embrasse la tombe du
Huitième Imam, Riza, le Sultan
De la Religion; et rester
À la porte de cette cour.
Hafiz.
Plusieurs années s’étaient écoulées depuis les événements relatés dans les deux derniers chapitres, entre autres, le deuxième Vakil-ul-Mulk, qu’Allah lui pardonne !, était mort et un gouverneur général, étranger à Kerman, avait été nommé.
L’hiver précédent, une comète, qui présage toujours des calamités, était apparue. Il [162] n’y avait eu que très peu de neige et de pluie, et au printemps les maigres récoltes avaient été dévorées par les sauterelles. Le résultat fut que le blé qui, l’année précédente, se vendait quatre tomans le kharwar, valait maintenant dix-huit tomans. Bref, la famine s’était abattue sur la province.
Si le Vakil-ul-Mulk avait été vivant, il aurait envoyé à ses frais mille chameaux au Sistan pour apporter du blé à la ville ; mais le nouveau gouverneur général ne coupa que les oreilles des boulangers lorsqu’ils vendirent leur pain, fait principalement à partir de mil, cher, et finit par cuire le chef boulanger vivant dans son propre four.
Allah sait que les boulangers en Perse sont des fripons, mais cette action ne produisit aucun bon résultat, car tous les marchands qui auraient envoyé de l’argent pour acheter du blé des autres provinces craignaient qu’il ne soit saisi par les mamurs, que le gouverneur général plaçait sur toutes les routes, et qui rendaient les choses pires, en battant les chameliers et en arrêtant les caravanes jusqu’à ce qu’ils reçoivent de l’argent ; aussi même les dattes et le riz ne furent pas envoyés à Kerman, qui était comme une ville assiégée par les ennemis.
Finalement, Son Excellence enleva les mamurs, et le riz et les dattes arrivèrent au bazar, mais pendant cet été les gens se nourrissaient principalement de fruits, ce qui est un régime très malsain.
Pour ajouter à nos malheurs, le choléra éclata [163] dans la province. Au printemps, des voyageurs l’avaient apporté de Bagdad à Téhéran, d’où il avait atteint la sainte Meshed. Cependant, en raison de la salubrité de Kerman et de son éloignement de Meshed, il semblait probable qu’il échapperait à cette calamité ; mais Allah, le Tout-Puissant, voulait sans doute nous punir de nos péchés ; et un pèlerin de retour mourut du choléra dans un village situé à une étape de Kerman.
Cela aussi n’aurait pas dû contaminer notre ville bien-aimée, mais ses vêtements furent apportés et lavés dans un ruisseau qui traverse les jardins habités par les Gabrs.
Il arriva qu’il y eut un mariage cette nuit-là dans la maison d’Arbab Shahriar, le chef de la tribu, et avant le matin, le marié, la mariée et dix-sept des invités furent infectés, et tous moururent.
Il n’y a pas de place pour le plaisir entre la Terre et le Ciel ;
Comment un grain peut-il s’échapper d’entre deux meules ?
Lorsque cette calamité fut connue dans la ville, ce fut un jour de jugement et tous ceux qui le purent s’enfuirent. Bien que nous, les Iraniens, soyons connus pour notre bravoure au combat, je dois avouer que nous tous, à cause de nos nerfs à fleur de peau, qui résultent de la vie dans un climat très sec, craignons le choléra, comme si une attaque de ce choléra équivalait à l’Ange de la Mort frappant à la porte.
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Notre noble gouverneur général lui-même s’enfuit dans une vallée, où il posta ses troupes en contrebas, pour empêcher quiconque de les dépasser, et lui-même, avec un domestique, campa en haut près d’une petite source, et menaça de tirer sur quiconque, sous quelque prétexte que ce soit, s’approcherait de lui.
Le vizir avait également peur et, comme il avait entendu dire que le choléra n’attaquait jamais les gens sous terre, il se réfugia dans un puits désaffecté et y resta quarante jours. Comme le docteur Sahib, qui se moquait de nous parce que nous avions peur sans raison et qui soignait les malades tout au long du voyage, m’informa qu’en faisant bouillir toute l’eau et en ne mangeant que des aliments cuits, toute cause de peur disparaîtrait, je restai à Kerman avec ma famille. Une autre raison à cela était que mon jardin dans le Bagh-i-Zirisf était arrosé par son propre canal d’eau.
Cependant, beaucoup de mes serviteurs, agissant contre la tradition du Prophète qui dit : « En cas d’épidémie, restez où vous êtes, car fuir un endroit c’est fuir de la mort à la mort », s’enfuirent chez eux et, plus tard, j’ai entendu dire que tous étaient morts sur la route, alors que, louange à Allah, personne dans ma famille, ni même dans le Bagh-i-Zirisf, n’a été attaqué.
Après un mois, le choléra cessa à Kerman, mais sévissait dans les villages voisins ; aussi le gouverneur général, qui avait reçu l’ordre [165] sévère du Shah de retourner à son poste et qui avait été informé qu’il était considéré comme le berger du peuple, donna-t-il l’ordre que personne n’entre à Kerman sans subir une quarantaine.
Cela, par Allah ! était très astucieux, car l’hiver s’installait et tous les mollahs, Khans et marchands payaient volontiers de grosses sommes d’argent pour être autorisés à retourner chez eux.
Les Anglais se moquèrent d’eux, mais en vérité, ce n’est pas que les Anglais soient plus courageux que nous, les Iraniens. Dieu nous en préserve ! J’ai lu que leur pays est si humide et si brumeux que leurs idées viennent très lentement en conséquence ; et donc ils ne se rendent pas compte des dangers aussi vite que nous, les Iraniens. J’ai fait remarquer cela au docteur Sahib, qui rit immodérément et dit : « Par Allah, c’est la raison que les donnent pour notre victoire sur Napoléon ! »
J’avais fait le vœu solennel que si l’Imam, sur lui la paix soit avec moi, me protégeait ainsi que ma famille pendant cette terrible calamité, je m’empresserais de me prosterner devant son seuil. En conséquence, lorsque tout le monde fut revenu et m’eut félicité de mon courage phénoménal, je leur expliquai la chose, et plus particulièrement à Mahmud Khan, qui avait déclaré à plusieurs reprises qu’il souhaitait lui aussi participer à cette grâce.
Je n’ai pas encore parlé de Mahmud Khan, qui [p. 166] était parmi les grands de Kerman et qui était un parent de ma famille. Lorsqu’il était jeune, il était entré au collège que Nasir-u-Din Shah, qu’Allah garde sa tombe fraîche !, venait d’ouvrir à cette époque pour enseigner aux jeunes princes et khans toutes les connaissances européennes.
Mahmud Khan, cependant, dit-on, était très stupide, et après six mois, les professeurs représentèrent au Shah qu’ils l’avaient battu quotidiennement, emprisonné, et effectivement essayé de l’instruire par tous les moyens possibles, mais en vain, et ils avaient tous scellé une déclaration selon laquelle il était incapable de recevoir une instruction.
Le Shah, entendant cela, réfléchit un moment puis dit : « Puisque tu as prouvé que tu étais incapable de recevoir une instruction, il vaut mieux que tu retournes chez toi. Peut-être que là tu apprendras à distinguer le blé de l’orge. Tu es congédié. »
Cela s’est passé il y a de nombreuses années et comme Mahmud Khan a hérité de vingt villages dans les districts de Bardsir et Rafsinjan, et a passé tout son temps à s’occuper d’eux, il est devenu très riche.
Une autre chose a contribué à cela, à savoir qu’il était avare et n’aurait pas jeté un os au chien des Sept Dormants. Grâce à Allah, nous les Iraniens sommes, en règle générale, très libéraux, et nous sommes entièrement d’accord avec Shaykh Sadi qui a écrit :
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La générosité sera la récolte de la vie.
Rafraîchissez le cœur du monde par la générosité ;
Soyez toujours constant dans la générosité ;
Puisque le Créateur de l’âme est bienfaisant.
Mais Mahmud Khan était si avare que ses chevaux avaient toujours faim, à tel point qu’un jour l’un d’eux attaqua un homme vêtu d’un manteau vert, pensant que c’était du fourrage ! Il gardait lui-même la clef du magasin et distribuait chaque jour un tout petit peu de beurre et un tout petit peu de riz pour sa nourriture quotidienne et celle de ses domestiques. En effet, s’il n’avait pas été très stupide, aucun domestique ne serait resté à son service.
Il aimait beaucoup les Européens et fut le premier Khan à se montrer amical envers le Docteur Sahib. Il lui promit même de lui donner un terrain pour y construire un hôpital et, pendant trois jours, il parcourut ses nombreux jardins avec le Sahib et lui demanda de décider lequel d’entre eux, selon lui, possédait l’air le plus propice à cet usage.
Cependant, il finit par accepter qu’il ne pouvait rien donner de ses terres, et l’affaire resta en suspens, bien que Son Excellence le Gouverneur général ait parfois dit en plaisantant : « Eh bien, Mahmud Khan, quand l’hôpital sera-t-il construit ? » Et il répondait : « Je vous prie de bien vouloir me faire savoir que je suis occupé avec cette affaire. »
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Un jour, Son Excellence fit savoir au Khan qu’il désirait être son hôte dans son jardin, et quoique Mahmud Khan sût exactement ce qu’il fallait faire en pareil cas, il était trop avare pour faire les dépenses nécessaires. Son Excellence ne fut pas contente, et lorsque, l’après-midi, il réunit tous les Khans, il fit tourner la conversation sur le sujet de l’avarice et de l’avarice, en disant qu’il avait entendu parler récemment d’un marchand d’Ispahan qui était si mesquin qu’il mangeait son pain sec et ne prenait que de quoi couvrir la pointe d’une aiguille avec la dernière bouchée. Il ajouta qu’il doutait qu’il pût y avoir quelqu’un de plus avare que celui-là.
Cheikh Ahmad raconta cependant qu’il connaissait un homme qui, chaque jour, portait un mouchoir chez l’épicier et achetait un peu de farine qu’il rendait ensuite en se plaignant qu’elle était moisie. En même temps, de la farine collait au mouchoir qu’il se gardait bien de secouer. En faisant cela dans plusieurs boutiques, il récupérait assez de farine pour un pain qu’il faisait cuire lui-même avec des morceaux d’arbustes qui tombaient des charges d’ânes lorsqu’elles passaient dans les bazars. Pour se régaler, il allait s’asseoir là où il pouvait sentir la cuisson des brochettes dans les cafés. Son Excellence reconnut [p. 171] que Cheikh Ahmad avait donné un exemple encore meilleur que le sien.
Abu Turab Khan raconta alors qu’il avait entendu parler d’un cas encore pire : celui d’un riche marchand de Yezd, qui ne permettait à chaque membre de sa famille de manger qu’un morceau de pain sec. Un jour, sa fille, qui était très belle, mais que personne ne voulait épouser à cause de la mauvaise réputation de son père, eut pitié d’un pauvre vieux mendiant et lui donna son morceau de pain.
Sa mère, dans la bonté de son cœur, recommanda qu’on donnât à la jeune fille un autre morceau, mais le père, apprenant ce qui était arrivé, devint comme un fou, et non seulement coupa la main droite de sa fille, mais la chassa de la maison dans les rues de la ville.
La pauvre fille errait sans savoir où aller, lorsqu’elle fut aperçue par le gouverneur général qui revenait d’une partie de chasse. Emu de sa beauté et de son innocence, il la conduisit dans son appartement de femmes et, voyant la noblesse de son caractère, la maria enfin à son fils.
La nuit de noces, la mariée déposa de la main gauche devant son mari un bol de sorbet qui, choqué par ce manque de bonnes manières, quitta la pièce pour aller se plaindre à sa mère. Pendant ce temps, la jeune fille se prosterna sur le sol en criant : « Ô Allah !
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Pourquoi permets-tu qu’une créature soit humiliée à cause du manque d’une main qui a accompli une bonne action pour toi ? Rends-moi la main ou frappe-moi à mort.
Le marié, qui avait entendu pour la première fois de sa mère le noble acte de la jeune fille, revint lorsque la mariée lui présenta de nouveau le bol de sorbet, cette fois avec sa main droite, qu’Allah le Tout-Puissant lui avait rendue. Le jeune homme fut stupéfait et se prosterna pour remercier Allah de lui avoir donné comme épouse une jeune fille qui avait reçu une faveur aussi signalée du ciel.
Le lendemain, le marchand avare fut convoqué et, comme il ne pouvait s’excuser de sa conduite barbare, il fut condamné à avoir les deux mains coupées et à être tué en lui enfonçant de la nourriture dans la gorge. Cependant, sa fille intercéda pour lui et il fut gracié. On dit qu’il s’est repenti et, partant en pèlerinage, il est mort en chemin.
Après cela, Son Excellence ne dit rien, et lorsqu’il se leva pour partir, il était évident qu’il était mécontent de son hôte envers lequel il ne montrait aucune gentillesse. Le résultat fut mauvais pour Mahmud Khan, car, après que Son Excellence eut terminé son repas, ses serviteurs brisèrent tous les plats, y compris quatre bols à sorbet en porcelaine [173] qui étaient dans la famille du Khan depuis plusieurs générations. Comme l’a dit avec justesse Naushirwan le Juste :
L’esclave acheté et vendu est plus libre que l’avare :
Car l’esclave peut être libre un jour, mais l’avare jamais.
Mahmud Khan était d’une constitution très puissante et portait de longues moustaches qui, lorsqu’il les tordait, lui donnaient un air très féroce ; et il était en effet connu pour sa bravoure, car, à une occasion, il chevaucha seul après une bande de sept voleurs Afshar et tua trois d’entre eux.
Il racontait encore une autre histoire : un soir, il était dans la montagne et achevait ses prières, lorsqu’un léopard l’attaqua ; mais d’un coup d’épée il lui coupa la tête, qu’il cloua au-dessus de sa porte, comme les amateurs de sport attachent les crânes et les cornes des moutons sauvages.
Le Khan m’apprit qu’il avait décidé d’emmener avec lui Ali Khan, son gendre. Or, ce jeune homme, contrairement à son beau-père, était très petit et chétif, de sorte qu’on le comparait parfois à un moineau. Il était l’un des Khans de Bam, et son ancêtre rendit un grand service à la dynastie Kajar en s’emparant de Lutf Ali Khan, Zand. Ce fier guerrier tint Kerman pendant plusieurs mois contre la puissance de l’Aga Mohamed Shah, dont les retranchements sont encore debout ; mais, [174] voyant qu’il n’y avait d’autre espoir que de fuir, il s’échappa de la ville et s’enfuit à Bam, où il fut saisi et jeté dans les fers.
Ali Khan, pour cette raison, et aussi parce qu’il possédait beaucoup de biens à Narmashir, où pousse le meilleur henné du monde, était très fier et colérique, mais pourtant les Khans de Kerman, s’ils ne sont pas aussi riches que ceux de Bam, se considèrent toujours plus nobles et plus élevés, et ce fut considéré comme un grand honneur pour Ali Khan de devenir le gendre de Mahmud Khan.
Une fois cette importante question résolue, nous avons eu de nombreuses réunions et discussions pour déterminer la date à laquelle nous devions partir et l’itinéraire à suivre. Nous avons rapidement convenu que quelques jours après la fête de No Ruz serait une date appropriée, mais il était très difficile de fixer l’itinéraire.
La voie directe traverse le Grand Désert sur la moitié de sa distance, et Mahmud Khan dit qu’il souhaitait voyager de cette façon parce qu’il espérait un jour construire une route par laquelle les pèlerins pourraient se rendre à la Cité Sacrée. A cela, Ali Khan, qui était, en vérité, un jeune homme léger, rit dans le dos de Mahmud Khan, et chuchota qu’il n’aurait probablement pas le loisir de construire l’hôpital pour se consacrer à la construction d’une route.
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Nous avons finalement persuadé Mahmud Khan de passer par Yezd, car pour aller à cette importante ville la route est bonne, et le désert n’a que cinquante farsakhs de large à cet endroit. De plus, je lui ai fait comprendre qu’en voyageant ainsi il pourrait visiter ses villages à Rafsinjan ; mais ce qui l’a finalement convaincu, c’est que je lui ai dit que le fourrage et la nourriture étaient beaucoup moins chers par la route de Yezd, et qu’à Rafsinjan il obtiendrait tout gratuitement.
Il accepta et pendant les quatre mois qui suivirent nous nous occupâmes de tout, de l’achat des mules et des chevaux, ainsi que du matériel nécessaire. Le plus difficile fut de décider quels domestiques emmener et lesquels laisser, car ils me représentèrent que ce serait un acte de mérite de ma part de faire en sorte qu’ils partent tous.
Cependant, cela aussi fut finalement arrangé par Rustam Beg déclarant qu’il était déjà allé deux fois à Meshed, et qu’il ne se sentirait pas heureux si quelqu’un d’autre que lui était laissé en charge de la maison et de la propriété, mais qu’il n’avait pas besoin d’un autre serviteur personnel pour rester avec lui.
Il reste à évoquer les exercices religieux auxquels nous nous sommes livrés avant de nous mettre en route pour ce pèlerinage solennel. Chacun de nous, à tour de rôle, a tenu une réunion au cours de laquelle ont été récitées les calamités vécues [176] par Ali, Husein et les autres saints Imams.
Les gens au cœur noir qui ont tué la progéniture du Prophète avec malice ;
Ils prétendent appartenir à la religion mais assassinent le Seigneur de la Religion ;
Ils apprennent par cœur le Coran et tirent l’épée en récitant le chapitre Taha ;
Ils portent le chapitre de Yasin comme une amulette, mais assassinent l’Imam reconnu.
Ensuite, nous avons diverti nos parents et amis au déjeuner et avons reçu des cadeaux pour la route, comme des tasses à thé, du thé et d’autres cadeaux utiles.
Bref, grâce aux dispositions qu’il fallut prendre et à ces réunions, l’hiver passa très vite, après quoi il resta très peu de loisirs avant le jour même du départ.