[p. 72]
Pythagore est le génie qui domine les études mathématiques dans l’Islam. Il y a certes des éléments grecs et indiens mêlés à ces matières, mais tout est considéré d’un point de vue néo-pythagoricien. Sans étudier des branches des mathématiques comme l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique, personne, disaient-ils, ne devient philosophe ou médecin instruit. La théorie des nombres, plus prisée que la mensuration, parce qu’elle fait moins appel à la vision extérieure et devrait rapprocher l’esprit de l’essence des choses, a donné lieu aux puérilités les plus extravagantes. Dieu est, bien entendu, la grande Unité, de qui tout procède, qui n’est pas lui-même un nombre, mais qui est la cause première du nombre. Mais surtout, le nombre quatre, le nombre des éléments, etc., était tenu en haute faveur par les philosophes, et c’est pourquoi ils ont fait de même. et bientôt rien dans le ciel ou sur la terre ne fut parlé ou écrit, sauf dans des phrases de quatre clauses et dans des discours sous quatre rubriques.
La transition des mathématiques à l’astronomie et à l’astrologie fut rapide et facile. Les anciennes méthodes orientales qui leur tombèrent entre les mains continuèrent à être appliquées même par les astrologues de la cour des Omeyyades, mais avec encore plus de [74] rigueur à la cour des Abbassides. Ils en arrivèrent ainsi à des spéculations qui allaient à l’encontre de la foi révélée et qui ne pouvaient donc jamais être approuvées par les gardiens de la religion. La seule antithèse qui existait pour le croyant était celle de Dieu et du monde, ou de cette vie et de la vie future ; mais pour l’astrologue, il y avait deux mondes, l’un des cieux et l’autre de la terre, tandis que Dieu et la vie au-delà se trouvaient dans un lointain lointain. Selon les différentes conceptions que l’on se faisait de la relation qui existait entre les corps célestes et les choses sublunaires, on développa soit une astronomie rationnelle, soit une astrologie fantastique. Seuls quelques-uns restèrent entièrement exempts d’illusions astrologiques. Tant que la science était dominée par le système de Ptolémée, il était plus facile à l’homme complètement ignorant de se moquer de ce qui était absurde qu’à l’érudit de le réfuter. Pour ce dernier, la terre et ses formes de vie étaient un produit des forces du ciel, un reflet de la lumière céleste, un écho de l’éternelle harmonie des sphères. Ceux qui attribuaient aux esprits des étoiles et des sphères la conception et la volonté, les considéraient comme les représentants de la Providence divine et attribuaient ainsi à leur action le bien et le mal, cherchant aussi à prédire les événements futurs à partir de la position de leurs astres, au moyen desquels ils exercent leur influence sur les choses terrestres selon des lois immuables. D’autres, il est vrai, ont douté de cette providence secondaire, sur la base de l’expérience et de la raison, ou de la croyance péripatéticienne selon laquelle les existences bienheureuses des cieux sont des Esprits de pur intellect, élevés au-dessus de la conception et de la volonté, et par conséquent au-dessus de toute particularité qui fait appel aux sens, de sorte que leur influence providentielle est dirigée seulement [75] vers le bien de l’ensemble, mais ne peut jamais se référer à aucun événement individuel.
Il est évident que les attitudes les plus diverses à l’égard de la doctrine religieuse étaient possibles dans l’étude des sciences mathématiques et physiques. Mais les sciences propédeutiques, dès qu’elles se présentèrent [76] à elles-mêmes, furent toujours dangereuses pour la foi. L’hypothèse de l’éternité du monde et d’une matière non traitée en mouvement de toute éternité se combinait volontiers avec l’astronomie. Et si le mouvement des cieux est éternel, il en est de même, sans doute, des changements qui se produisent sur la terre. Tous les règnes de la nature étant donc, selon de nombreux éducateurs, éternels, l’espèce humaine l’est aussi, tournant en rond sur une orbite qui lui est propre. Il n’y a donc rien de nouveau dans le monde : les vues et les idées des hommes se répètent comme tout le reste. Tout ce qui peut être fait, soutenu ou connu, a déjà été et sera encore.
Des discours admirables et des lamentations ont été consacrés à ce thème, sans faire beaucoup avancer les intérêts de la science.
5. La philosophie naturelle, qui vient d’être rapidement esquissée, représentait en réalité pour la plupart des savants du IXe siècle la philosophie, par opposition à la dialectique théologique, et fut appelée pythagoricienne. Elle subsista jusqu’au Xe siècle, où son représentant le plus important fut le célèbre médecin Razi († 923 ou 932). Né à Raï, il reçut une éducation mathématique et étudia avec beaucoup d’assiduité la médecine et la philosophie naturelle. Il était opposé à la dialectique et ne connaissait la logique que dans les figures catégoriques des premiers Analytiques. Après avoir exercé comme directeur de l’hôpital de sa ville natale et de Bagdad, il entreprit des voyages et séjourna dans diverses cours princières, entre autres à la cour du Samanide Mansur ibn Ishaq, à qui il dédia un ouvrage sur la médecine.
Razi a une haute opinion de la profession médicale et de l’étude qu’elle exige. Il apprécie davantage la sagesse [78] de mille ans, contenue dans les livres, que l’expérience individuelle acquise en une courte vie, mais il préfère même celles-ci aux déductions des « logiciens » qui n’ont pas été testées par l’expérience.
Il pense que le rapport entre le corps et l’âme est déterminé par l’âme. Et comme de cette façon les circonstances et les souffrances de l’âme peuvent être discernées au moyen de la physionomie, le médecin doit être en même temps médecin de l’âme. C’est pourquoi il a élaboré un système de médecine spirituelle, une sorte de diététique de l’âme. Les préceptes de la loi musulmane, comme la prohibition du vin, etc., ne lui posaient aucun problème, mais sa libre pensée semble l’avoir conduit au pessimisme. En fait, il trouvait plus de mal que de bien dans le monde et décrivait l’inclination comme l’absence de dégoût.
Razi, qui avait une haute opinion d’Aristote et de Galien, ne se donnait pas la peine d’approfondir leur connaissance. Il étudiait avec passion l’alchimie, qu’il considérait comme un véritable art, fondé sur l’existence d’une matière primitive, art indispensable aux philosophes, et qui, croyait-il, avait été pratiqué par Pythagore, Démocrite, Platon, Aristote et Galien. En opposition à l’enseignement péripatéticien, il supposait que le corps contenait en lui-même le principe du mouvement, idée qui aurait certainement pu se révéler fructueuse dans les sciences naturelles, si elle avait été reconnue et développée plus avant.
La métaphysique de Razi part de doctrines anciennes que ses contemporains attribuaient à Anaxagore, Empédocle, Mani et d’autres. Au sommet de son système se trouvent [79] cinq principes coéternels : le Créateur, l’Ame universelle, la matière première ou primordiale, l’Espace absolu et le Temps absolu ou Durée éternelle. Ces principes donnent les conditions nécessaires du monde existant réellement. Les perceptions sensorielles individuelles présupposent généralement une Matière existante, de même que le groupement de différents objets perçus postule l’Espace. Les perceptions de changement nous contraignent en outre à supposer la condition du Temps. L’existence des êtres vivants nous conduit à reconnaître une Ame ; et le fait que certains de ces êtres vivants soient doués de Raison, c’est-à-dire qu’ils aient la faculté d’amener les Arts à la plus haute perfection, nécessite notre croyance en un Créateur sage, dont la Raison a ordonné tout pour le mieux.
Malgré l’éternité de ses cinq principes, Razi parle ainsi d’un Créateur et raconte même l’histoire de la Création. Tout d’abord, une Lumière spirituelle simple et pure fut créée, la matière des Ames, qui sont des substances spirituelles simples, de la nature de la Lumière. Cette Lumière matérielle ou Monde Supérieur, d’où descendent les âmes, est aussi appelée Raison, ou Lumière de la Lumière de Dieu. La Lumière est suivie par l’Ombre, d’où est créée l’Ame Animale, pour le service de l’Ame Rationnelle. Mais simultanément avec la simple lumière spirituelle, il existait dès le début une forme composite, qui est le Corps, de l’ombre duquel proviennent maintenant les quatre « natures », la Chaleur et le Froid, la Sécheresse et l’Humidité. De ces quatre natures sont finalement formés tous les corps célestes et terrestres. Tout le processus, cependant, est en opération de toute éternité, sans commencement dans le temps, car Dieu n’a jamais été inactif.
Il ressort clairement de ses propres déclarations que Razi était un astrologue. Les corps célestes [80] sont en effet, selon lui, constitués des mêmes éléments que les choses terrestres, et ces dernières sont continuellement exposées aux influences des premiers.