‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous a raconté et a dit : J’étais à Ispahan [1]
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Je me suis donc arrêté dans la ville comme descend l’ombre qui passe. Je m’attendais à voir la caravane [2] à chaque coup d’œil et je guettais l’apparition de la montagne à chaque lever de soleil. Or, alors que ce que j’attendais était sur le point d’arriver, j’ai entendu l’appel à la prière et y répondre était obligatoire. Je me suis donc éloigné de mes compagnons, profitant de l’occasion [3] de me joindre aux prières publiques, et redoutant, en même temps, la perte de la caravane que je quittais. Mais j’ai cherché secours contre les difficultés du désert par la bénédiction de la prière, et, par conséquent, je suis allé au premier rang et me suis levé. L’Imam monta à la niche et récita le premier chapitre du Coran selon l’intonation de Ḥamza, [4] en ce qui concerne l’emploi de « madda » et de « ḥamza », tandis que j’éprouvais un chagrin inquiétant [5] à l’idée de manquer la caravane et d’être séparé de la montagne. Puis il enchaîna la sourate al-Fátiḥa avec la sourate al-Wáqi‘a [6] tandis que je souffrais du feu de la patience et me mettais à rude épreuve. Je rôtissais et grillais sur les charbons ardents [57] de la rage. Mais, d’après ce que je savais du fanatisme sauvage des gens [7] de cet endroit, si [8] les prières étaient interrompues avant la salutation finale, il n’y avait pas d’autre alternative que le silence et l’endurance, ou la parole et la tombe. Je restai donc ainsi debout sur le pied de la nécessité jusqu’à la fin du chapitre. J’avais alors désespéré de la caravane et abandonné tout espoir de vivres et de montures. Il courba ensuite le dos [9] pour les deux prosternations avec une humilité et une émotion telles que je n’en avais jamais vues auparavant. Puis il leva les mains et la tête et dit : « Que Dieu accepte la louange de celui qui Le loue », et resta debout jusqu’à ce que je ne doute plus qu’il ne se soit endormi. Puis il posa sa main droite sur le sol, posa son front sur la terre et y appuya son visage. Je relevai la tête pour chercher une occasion de m’échapper, mais je ne vis aucune ouverture dans les rangs, alors je me remis à prier jusqu’à ce qu’il répète le Takbír [10] pour la posture assise. Puis il se leva pour la seconde prosternation et récita les sourates d’al-Fatiha [11] et d’al-Qari‘a avec une intonation qui occupa la durée du Jour Dernier [12] et épuisa presque les esprits de la congrégation. Maintenant, lorsqu’il eut terminé ses deux prosternations et se mit à remuer les mâchoires [13] pour prononcer le témoignage de l’unicité de Dieu, et à tourner son visage à droite et à gauche [14] pour [58] la salutation finale, je dis : « Maintenant, Dieu a rendu la fuite facile, et la délivrance est proche » ; mais un homme se leva et dit : « Quiconque parmi vous aime les Compagnons et la communauté musulmane, qu’il me prête l’oreille un moment. » ‘Isá ibn Hishám dit : Je m’attache à ma place afin de sauver ma dignité. Il dit alors : « Il m’incombe de ne dire que la vérité et de ne témoigner que de la vérité. Je vous ai apporté de bonnes nouvelles de la part de votre Prophète, mais je ne les communiquerai pas tant que Dieu n’aura pas purgé cette mosquée de toute personne vile qui nie sa fonction prophétique. » 'Isá ibn Hishám dit : Maintenant, il m’avait lié avec des cordes et enchaîné avec des liens de fer. [15] Puis il dit : « J’ai vu le Prophète dans un rêve ! - Que Dieu envoie Ses bénédictions sur lui - comme le soleil sous les nuages, et la lune en pleine. Il marchait, les étoiles le suivaient ; il traînait ses jupes et les anges les soutenaient. Puis il m’a appris une prière et m’a exhorté à l’enseigner à son peuple. Alors je l’ai écrit sur ces bouts de papier [16] avec les parfums de Khalúq, [17] de musc, de safran et de socc, [18] et quiconque me demande un exemplaire en cadeau, je le lui offrirai, mais quiconque me rendra le prix du papier, je l’accepterai. » Dit ‘Isá ibn Hishám : Les dirhems se sont déversés sur lui à tel point qu’il en a été déconcerté. Puis il est sorti et je l’ai suivi, m’étonnant de l’habileté de son imposture [19] et de son artifice pour gagner sa vie. Et je résolus de l’interroger sur sa situation, mais je me suis retenu, et de converser avec lui, mais je suis resté silencieux, et j’ai réfléchi à son éloquence avec son impudence, à sa gentillesse avec sa mendicité, à sa façon de capturer les hommes par son artifice et à sa façon de tirer de l’or des hommes par son ingéniosité. Alors j’ai regardé et voilà ! c’était Abú’l-Fatḥ al-Iskanderí. Alors je lui ai demandé : « Qu’est-ce qui t’a poussé à ce stratagème ? » Il a souri et a récité, en disant :
« Les hommes sont des ânes, [20] alors conduisez-les l’un après l’autre,
Rivaliser avec eux et les surpasser,
Jusqu’à ce que tu aies obtenu d’eux
Ce que tu désires, alors abandonne-le.
55:6 Ispahan: Une ville bien connue et une ancienne capitale de la Perse. Prise pendant le calife d’Umar en 23 ou 24 A.H. ↩︎
56:2 … La caravane : Le commentateur considère qu’il s’agit d’une compagnie de personnes revenant ensemble d’un voyage, ainsi appelée pour augurer de leur retour sain et sauf, mais plus probablement de καπηλος par le Talmud י־קפיָלה un commerçant. ↩︎
56:3 Profiter de l’occasion: En raison du plus grand mérite en Islam des prières publiques par rapport aux prières privées. Voir al-Madhírí, Kitáb al-Targḥíb wa Tarhíb (m. AH 656) i, 74. ↩︎
56:4 Selon l’intonation de Ḥamza en ce qui concerne l’emploi de madda et ḥamza. Al-Madda (…) est le signe orthographique de prolongation = Hamzah (…) et s’écrit … comme dans …. Pour les règles relatives à son utilisation, dans l’intonation du Coran, voir Suyúṭí, Itqán, pp. 227-31. (Calcutta, édition, 1852). Ḥamza ibn al-Habíb (80-156 A.H.) enterré à Húlwán, était l’un des sept lecteurs reconnus du Coran. Il est accusé d’avoir exagéré l’emploi de madda et hamza. L’objection est cependant rejetée par les admirateurs de Hamza (voir Manduat al-'Ulumín turc, I, 483 (édition de Constantinople, A H. 1313). Al-Hamadhání croyait évidemment que l’accusation était bien fondée et donc que l’allusion était appropriée. ↩︎
56:5 Chagrin inquiétant : provoquant littéralement le fait de se lever et de s’asseoir, provoquant ainsi de l’agitation. ↩︎
56:6 Al-Waqi‘a: L’inévitable. Coran lvi. Il contient quatre-vingt-seize versets. Selon Sháfi‘i, Umm 88, le choix de la Súra repose entièrement sur le lecteur ou le récitant. Voir Margoliouth, Early Development of Muḥammadanism, p. 21. ↩︎
57:1 D’après ce que je sais du fanatisme sauvage du peuple. Cf. Yaqút, i, 296. ↩︎
57:2 … devrait être vocalisé … Voir Wright, Grammar, ii, 348 (b). ↩︎
57:3 Son dos : littéralement son arc. ↩︎
57:4 Takbír: La répétition de la formule bien connue – Dieu est grand, Dieu est grand, il n’y a pas d’autre dieu que Dieu. ↩︎
57:5 Al-Fátíḥa: Le chapitre d’ouverture du Coran.
Al-Qári‘a: Le « frappant ». Le Coran ci. Il contient huit versets. ↩︎
57:6 La durée du Jour Dernier : littéralement « l’heure ». Selon le Coran, lxx, 4, cinquante mille ans, et le Coran, xxxii, 4, mille ans. ↩︎
57:7 …, Ses mâchoires : Littéralement, les deux branches … de l’artère occipitale qui sont distribuées sur les branches occipitales de l’artère … carotide. ↩︎
57:8 Tourner son visage vers la droite et vers la gauche : Pour saluer les anges gardiens. ↩︎
58:1 Bandes de fer : Littéralement, avec des cordes noires. ↩︎
58:2 … Papier : arabisé à partir du grec χαρτης. ↩︎
58:3 Khalúq: Une certaine espèce de parfum aussi appelé Khiláq. Il est composé de safran et d’autres choses, et le rouge et le jaune sont les couleurs prédominantes. ↩︎
58:4 Socc: Une sorte de parfum préparé à partir de ramik qui est une sorte de substance noire comme la poix qui est mélangée avec du musc. ↩︎
58:5 … Fraude ou imposture : semble être un mot étranger, probablement emprunté au persan. ↩︎
58:6 Les hommes sont des ânes : … Alors arrêtez : littéralement, puis mourez. Mètre, mujtath.
Ce maqáma a été traduit par De Sacy, voir Chrestomathie Arabe, iii 255. ↩︎