‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous raconta ce qui s’était passé : Nous étions à Jurján en train de discuter dans une de nos assemblées, et il n’y avait personne parmi nous qui n’était pas des nôtres, quand se tenait devant nous un homme à la barbe épaisse, ni grand ni dégingandé, [1] ni petit ni rabougri, [2] et des petits enfants aux vêtements usés le suivaient. Il commença son discours par une salutation et le salut de l’Islam. Il s’approcha de nous avec grâce et nous le traitâmes généreusement. Il dit : « Ô peuple, je suis un homme, un citoyen d’Alexandrie [3] des frontières omeyyades ; les Sulaïm [4] m’ont donné naissance et la tribu d’Abs [5] m’a accueilli. J’ai traversé des horizons et voyagé dans les régions les plus reculées de l’Irak. J’ai été parmi les habitants du désert et les gens des villes et dans les deux maisons de Rab’iah et de Mudar. [6] Partout où j’ai été, je n’ai pas été méprisé. Que ce que vous voyez de vêtements en lambeaux et de vêtements élimés ne me fasse pas paraître méprisable, car par les cieux ! nous étions autrefois de ceux qui aident et réforment, [7] donnant un chameau [8] le matin et un mouton [9] le soir.
« Et parmi nous il y a des maqámát [10] dont les visages sont beaux,
Et des conseils où les paroles sont suivies d’actes.
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Ceux d’entre eux qui ont beaucoup à entreprendre, le soutien de ceux qui sollicitent leur aide,
Et ceux qui ont peu sont généreux et libéraux.
Alors, ô peuple, le sort m’a choisi d’entre eux et a tourné vers moi le dos du bouclier. J’ai donc échangé le sommeil contre la veille et le repos contre le voyage. Les coups m’ont jeté çà et là, le désert m’a transmis au désert et les hasards du temps m’ont dépouillé comme on dépouille la gomme de l’arbre, de sorte qu’au matin et au soir je suis plus nu que la paume de la main et plus propre que le visage d’un nouveau-né. Ma cour est vide et mes vases sont vides. Il n’y a pour moi que la dureté du voyage et la saisie constante du cordon du chameau. Je souffre la pauvreté et je concilie les déserts. Le sol dur est mon lit, mon oreiller une pierre.
Maintenant à Ámid [11] puis à Ras-u-‘Ainin [12]
Et parfois à Mayyafáriqín [13]
Une nuit en Syrie puis à Ahwaz
C’est mon chameau, et une autre nuit en Irak.
La séparation ne cessa de me précipiter dans tous les lieux de ruée, jusqu’à ce que je traverse la région montagneuse et pierreuse, et alors elle me déposa à Hamadhán. Ses habitants me reçurent et ses amis tendirent le cou pour me regarder. Mais je penchai pour l’un d’eux dont le plat était le plus copieux et qui était le plus avare de rudesses.
« Son feu est allumé sur les sommets des collines, [14]
En période de pénurie, quand les incendies sont étouffés.
Il me prépara un lit et me prépara un lit. Si je ressentais quelque langueur, un fils, comme une lame acérée du Yémen, [15] ou comme la nouvelle lune apparaissant dans une atmosphère claire, se hâtait de m’assister.
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Il m’a accordé des faveurs qui m’ont rendu pauvre en déserts et riche en joies. La première d’entre elles fut des meubles pour la maison et la dernière mille dinars. Mais la seule chose qui m’a fait fuir Hamadhán, c’est le flot incessant de dons [16] et la pluie constante de générosité. Je me suis donc enfui d’Hamadhán comme fuit un fugitif, et je me suis dérobé comme s’enfuit un animal sauvage, [17] parcourant les routes, poursuivant les dangers et souffrant les privations dans les campagnes. Mais j’ai laissé derrière moi la mère de ma demeure [18] et mon petit comme s’il s’agissait d’un précieux bracelet d’argent, brisé et jeté sur le terrain de jeu [19] des jeunes filles de la tribu. Et le vent du besoin et la brise de la disette m’ont poussé vers toi. Regarde donc, que Dieu ait pitié de toi ! un homme rendu maigre et émacié par le voyage, dirigé par le besoin et tourmenté par le besoin.
« Un voyageur, un puissant traverseur de la terre, [20] jeté ici et là,
Par les déserts ; ses cheveux sont emmêlés et il est taché de poussière.
Que Dieu vous accorde un guide vers le bien et qu’Il ne fasse en sorte que le mal ne vous atteigne pas.
Said ‘Isá ibn Hishám : « Par le ciel ! alors les cœurs ont eu pitié de lui et les yeux se sont remplis de larmes devant la beauté de son discours. Et nous lui avons donné ce qui était alors à portée de main, et il s’est détourné de nous en nous louant. Je l’ai suivi et voici ! par le ciel, c’était notre Cheikh Abú’l Fatḥ al-Iskanderí. »
53:1 Lankey_ :_ Littéralement, étiré. ↩︎
53:2 Stunted: Littéralement, empêché. ↩︎
53:3 Alexandrie des frontières omeyyades. Une référence à l’importance attachée à l’Egypte par Mu’awíyah. ↩︎
53:4 Sulaim : le nom d’une tribu. ↩︎
53:5 ‘Abs, le nom d’une grande tribu, les descendants de Sulaim. ↩︎
53:6 Rab’iah et Muḍar : les noms des tribus. ↩︎
53:7 … Ceux qui aident et réforment : Un dicton populaire, c’est-à-dire que nous étions les personnes chargées de remettre les choses en ordre, littéralement, les réparateurs et les raccommodeurs. ↩︎
53:8 … donner un chameau et un mouton : Autre expression populaire, … de … une sorte de grognement gargouillant émis par le chameau lorsqu’il est chargé ; appliqué ensuite au chameau lui-même. Voir Proverbes arabes, ii, 327. ↩︎
53:9 Et donner un mouton: de … le bêlement ou le cri du mouton, de la chèvre ou autre chose de semblable, et alors appliqué au mouton, absolument. Cf. l’expression … Il n’a ni mouton ni chameau. ↩︎
53:10 Et il y a des maqámát: Metre táwil. Ces lignes sont tirées de la Qaṣída de Zuheir, Shu‘ará an-Naṣrániain, pp. 573-4. Dans l’original, la première ligne commence par … et non …. Elle est correctement citée à la page 32 des Lettres. Le sens du mot maqámát ici n’est pas connu, mais le contexte indique qu’il signifie champions et autres. ↩︎
54:3 Parfois au milieu : mètre, Wáfir.
Ámid : le nom d’une forteresse à Diyar Bakr. ↩︎
54:4 Ras al-'Ain: une grande ville de Diyar Bakr entre Nasibín et Harran, à quinze parasanges de l’ancien lieu. Elle est connue pour ses nombreuses sources. Le théâtre d’une célèbre bataille entre les Tamím et Bakr ibn Wá’il. ↩︎
54:5 Mayyafáriqín : Est une ville de Diyar Bakr à trente parasangs de Nasibín. ↩︎
54:6 Son feu est allumé sur les sommets des collines: Une allusion à la pratique d’allumer un feu dans un endroit proéminent la nuit (…) pour indiquer au voyageur en retard où il pourrait trouver de la nourriture et un abri. Mètre, Wáfir. ↩︎
54:7 Comme une lame acérée du Yémen : en tranchant et en efficacité. ↩︎
55:1 Le flot constant de dons : Une raison très étrange à donner pour quitter Hamadhán. Cf. Les Odes d’al-Buḥturí, ii, 220. (édition de Constantinople 1300 A.H.) où la même idée est exprimée. ↩︎
55:2 … Un animal sauvage : De … timide ou insociable. Cf. Qaṣída d’Imr al-Qais, ligne 35 (édition de Lyall) où le cheval rapide est censé empêcher les animaux sauvages de s’échapper. Également la Tradition … « Les bienfaits sont des fugitifs, ou des animaux sauvages, donc retenez-les par gratitude. » ↩︎
55:3 La mère de ma demeure: La maîtresse de maison, ou la femme d’un homme. Voir Ibn al-Athír, Kunya Lexicon, p. 199. ↩︎
55:4 Cassé et jeté sur le terrain de jeu : Et donc en état d’exciter la pitié. ↩︎
55:5 Un voyageur, un puissant traverseur de la terre. Mètre, tawíl. ↩︎