‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous a raconté : J’étais dans une des régions de la tribu Fazára [1], monté sur une noble monture et en conduisant une autre qui à son tour courait avec moi. Et je me dirigeais vers ma terre natale afin que la nuit avec ses terreurs ne me détourne pas, ni la distance avec ses déserts ne me détourne de mon projet.
Je coupai les feuilles du jour avec le bâton de marche, et avec les sabots du cheval je pénétrai dans la gueule de la nuit. Cependant, dans une nuit si sombre que le Qaṭáṭ s’égarerait, et que la chauve-souris ne pourrait y voir, j’allais vite et sans heurts, sans [68] qu’aucun lion ne passe à droite, et sans qu’aucune hyène ne passe à gauche, quand soudain apparut à mes yeux un cavalier tout armé, qui se dirigeait vers des tamaris et traversait vers moi les étendues du désert qui les séparaient. Aussi me saisit-il à cause de lui ce qui saisit celui qui n’est pas armé en présence d’un homme hérissé d’armes. Mais je pris un air hardi et dis : « Peurs ton père, tiens-toi ! Avant de parvenir à ton but, il te faudra subir des blessures d’acier, dépouiller la gomme adragante de ses feuilles, et affronter un ennemi vaillant avec l’orgueil d’un Azdite. Je suis pour la paix, si tu veux, pour la guerre, si tu le veux. Dis-moi, qui es-tu ? Il me répondit : « Tu as trouvé la paix. » Je dis : « Tu as bien répondu, mais qui es-tu ? » Il me répondit : « Je suis conseiller, si tu cherches conseil, orateur, si tu désires converser, mais devant mon nom il y a un voile que la mention d’un nom propre ne peut lever. » Je lui dis alors : « Quel est ton métier ? » Il me répondit : « Je parcours l’intérieur des pays, afin de tomber sur le plat d’un homme généreux. J’ai un esprit servi par une langue et une rhétorique que mes propres doigts enregistrent. Mon plus grand désir est un homme généreux qui me descendra une de ses sacoches et me donnera sa besace, comme le jeune homme libre qui m’a rencontré hier au lever du soleil et qui a disparu de ma vue au coucher du soleil. Mais bien qu’il ait disparu, son souvenir demeure, et, bien qu’il m’ait quitté, les marques de sa faveur m’accompagnent toujours. » Montrant ce qu’il portait, il continua : « Personne ne peut te les faire connaître [2] mieux qu’eux-mêmes. » Je m’écriai en moi-même : « Par le Seigneur de la Ka’ba, un mendiant importun et avide, expérimenté dans le métier, non, mais un passé maître [3] dans l’art : tu devras [69] lui donner quelque chose et payer généreusement », alors je dis : « Jeune homme, tu as manifesté ta diction ; Comment ta poésie se compare-t-elle à ta prose ? » Il répondit : « Il n’y a aucune comparaison entre ma prose et mes vers. » Alors il invoqua l’aide de ses capacités naturelles, éleva la voix à un tel niveau qu’elle remplit la vallée, et récita en disant :
« Un être pur d’esprit m’a été présenté par la nuit et par le désert,
Et par les cinq si rapides qu’ils touchaient à peine le sol. [4]
J’ai appliqué à son bois [5] l’épreuve du feu des actes généreux.
Et il s’est avéré être, tant du côté paternel que maternel, d’un haut rang.
J’ai essayé de le convaincre de se séparer de ses biens et j’ai réussi à le convaincre.
Je me suis efforcé de faciliter son don, et cela lui a été rendu facile.
Et quand nous nous sommes révélés l’un à l’autre, et qu’il a trouvé ma prose louable,
Il m’a testé dans ma versification avec ce qu’il était disposé à me tester.
Mais, quand il m’a secoué, il n’a secoué rien d’autre qu’une lame acérée,
Et il ne m’a trouvé que le premier dans la course,
Alors que je le découvrais toujours brillant et rayonnant, [6]
Et il n’y avait sous lui rien d’autre qu’un coursier éclatant, flamboyant sur le front et les pieds.
[p. 70]
Alors je lui dis : « Doucement, ô jeune homme, et tu pourras commander ce que j’ai avec moi. »
Il dit : « Le sac de provisions avec son contenu. » Je répondis : « Oui, et son porteur aussi. » Alors je le pris dans mes mains et dis : « Par Celui qui les a dotés du sens du toucher, et qui les a divisés d’un en cinq, tu ne me quitteras pas, à moins que je ne sache ton état. » Puis il baissa son voile de son visage et voilà ! Par le ciel ! c’était notre Cheikh, al-Iskanderí ! Sans plus attendre, je dis :
‘Abú’l-Fatḥ, [7] tu as ceint cette lame avec fierté,
Mais que fais-tu de l’épée quand tu n’es pas un guerrier ?
Alors fais fondre en un bracelet de cheville l’or avec lequel tu as orné ton épée.
67:6 Fazára : Le nom d’une tribu arabe. ↩︎
68:4 D’entre eux : c’est-à-dire les marques de faveur. ↩︎
68:5 … Maître : arabisé du persan … un maître, ou un enseignant. ↩︎
69:2 Les cinq (orteils) qui touchaient à peine le sol : Littéralement, pendant que l’on dit « Non, non. » ↩︎
69:3 _Son bois : figuratif pour disposition. ↩︎
69:4 … Brillant et rayonnant : … s’applique principalement à un cheval avec un front blanc et … à un cheval avec des pieds blancs, tous deux signifiant au sens figuré, brillant et joyeux ou distinct et clairement marqué.
Cf. Les lignes de Samau’al, Ḥamasa (Freytag). p. 53. … « Et nos jours de victoire sur nos ennemis sont aussi visibles et remarquables que la flamme sur le front et les pieds d’un cheval. »
… vient de … un bracelet de cheville car le blanc sur le pied est là où le bracelet de cheville est porté. Une autre lecture … très honorable et digne. Mètre, tawíl. ↩︎
70:1 _Abú’l-Fatḥ: tu as ceint cette lame avec fierté: _Metre, hezej. Le manuscrit de la Bibliothèque nationale ne contient que les deux premières lignes. La pensée introduite ici est tirée des lignes suivantes d’un autre poète (Voir note de bas de page sur le texte, p. 69).
« Tu as entendu ce qu’il a dit, mais tu ne t’inquiètes pas de ce qu’il dit.
Laissez l’épée à celui qui l’opprime, au vaillant à la guerre.
Et fais fondre en un bracelet de cheville l’épée dont tu t’es paré,
Car que fais-tu avec une épée si tu n’es pas un combattant ?
Cf. Scott, Bridal de Triermain, xxvii. ↩︎