‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous a raconté : Moi et quelques amis étions ravis de recevoir une invitation à un banquet. [2] Je l’ai acceptée conformément à la Tradition bien connue de l’Apôtre [p. 71] [paragraphe continue] [3] de Dieu, sur qui soient les bénédictions de Dieu et la paix – « Si on me demandait de partager un tibia de mouton, je ne refuserais pas, et si on me présentait une cuisse de bœuf, je l’accepterais. » Nous avons donc continué et sommes arrivés à une maison,
« Complété et laissé [4] seul avec la beauté à partir de laquelle il a sélectionné et choisi ce qu’il voulait.
Et il avait choisi parmi ses charmes les plus précieux, et en avait demandé davantage à donner.
Nous nous trouvâmes au milieu d’une société qui passait son temps au milieu des bouquets de myrtes, des bouquets de roses, des cuves de vin percées, et au son de la flûte et du luth. Nous nous approchâmes d’eux et ils s’avancèrent pour nous recevoir. Nous nous attaquâmes alors à une table dont les vases étaient remplis, dont les jardins étaient en fleurs, et dont les plats étaient disposés en rangées avec des mets de diverses couleurs, en face d’un plat d’un noir intense il y avait quelque chose d’extrêmement blanc, et contre quelque chose de très rouge était disposé quelque chose de très jaune.
Or, il y avait avec nous au festin un homme dont la main errait sur la table, jouant le rôle d’ambassadeur entre les mets de diverses couleurs, saisissant les meilleurs gâteaux et en arrachant le cœur des plats, pâturant sur le territoire de son voisin, [5] traversant les bols, comme le château traverse l’échiquier, se bourrant la bouche de bouchée après bouchée et poursuivant bouchée après bouchée. Et pourtant il était silencieux et ne disait pas un mot. Nous conversâmes pendant tout ce temps, jusqu’à ce que nous en arrivions [p. 72] au sujet de Jaḥiz et de son éloquence et à une description d’Ibn al-Maqaffa’ [6] et de son éloquence. Or, le début de cette discussion coïncida avec la fin du repas. Nous quittâmes alors la salle et l’homme nous dit : « Où en êtes-vous dans la discussion à laquelle vous étiez engagés ? » Nous nous mîmes alors à louer ce que nous savions de Jaḥiz et de sa langue, de l’élégance de son style et de la qualité de sa rhétorique. Puis il dit : « Ô peuple, chaque œuvre a ses hommes, chaque situation ses paroles, [7] chaque maison ses occupants et chaque époque son Jaḥiz. Si vous deviez examiner de manière critique, votre croyance serait faussée. » À ces mots, chacun fit la moue [8] en signe de désapprobation et leva le nez en signe de mépris. Mais je lui souris d’un air encourageant afin de pouvoir le faire parler et je dis : « Informez-nous et dites-nous-en plus. » Il dit : « En vérité, Jaḥiz boite dans un domaine de la rhétorique et s’arrête dans l’autre. Or, l’homme éloquent est celui dont la poésie ne porte pas atteinte à la prose et dont la prose n’a pas honte de ses vers. Dis-moi, connais-tu un seul beau poème de Jaḥiz ? » Nous répondîmes : « Non ! » Il dit : « Voyons, examinons sa prose. Elle consiste en allusions tirées par les cheveux, en peu de métaphores et en expressions simples. Il est attaché au langage simple qu’il emploie, et évite et se dérobe aux mots difficiles. As-tu jamais entendu parler d’une expression rhétorique de lui ou de mots obscurs [9] ? » Nous répondîmes : « Non ! » Il me dit alors : « Veux-tu un échantillon de discours qui allégerait [73] tes épaules [10] et dévoilerait ce que tu as entre les mains ? » Je répondis : « Par le ciel ! Oui. Il dit : « Alors ouvre-moi ton petit doigt [11] au moyen de ce qui aidera à te procurer des remerciements. » Je lui ai donc donné mon manteau et il a écrit :
« Par la vie de celui [12] qui a jeté sur moi son vêtement
Par lui ce vêtement était rempli de gloire.
Un digne jeune homme, privé de son manteau par la générosité,
Et il n’a pas lancé de flèche de jeu ni lancé de dés de jeu.
Ô toi qui m’as donné ton vêtement, regarde encore,
Et que les jours ne m’apportent pas de ruine.
Et dis-leur qui, s’ils apparaissent, apparaissent comme le soleil du matin,
Et s’ils s’élèvent dans l’obscurité, s’élèvent comme l’étoile propice,
Observez les liens de votre relation à la noblesse et humidifiez son palais,
Car la meilleure générosité est celle dont l’effusion est prompte. » Cf. …\—le premier est le plus généreux.
Said ‘Isá ibn Hishám : Alors la compagnie devint généreuse envers lui et les cadeaux affluèrent sur lui. Lorsque nous devînmes mutuellement amis, je demandai : « Où est l’orient de cette pleine lune ? » Il répondit :
« Alexandrie est ma maison, [13]
Si seulement là mon lieu de repos était fixé,
Mais ma nuit je la passe au Nejd, [14]
Dans Ḥijaz ma journée.
70:2 Abú ‘Uthmán ibn Bahr ibn Maḥbáb al-Kinání al-Laithí, généralement connu sous le nom d’al-Jáḥiz, originaire de Baṣra, était célèbre pour son érudition. Il fut l’auteur de nombreux ouvrages, les trois principaux étant Kitáb al-Haiwán (le livre des animaux), Kitáb al-Baian wa’l-Tabyín (description et exposition) et Kitáb al-Bukhalá (le livre des avares), et il composa également un discours sur les fondements de la religion. Une branche de la secte mu’tazilite s’appelait al-Jáḥizíyya. On dit des œuvres de Jáḥiz qu’elles « nous apprennent d’abord à raisonner, puis nous instruisent en littérature ». Il était difforme et la proéminence de ses yeux, qui semblaient sortir de sa tête, lui valut les surnoms d’al-Jáḥiz (le fixe) et d’al-Ḥadaqí (l’œil écarquillé). Il mourut à Baṣra en 255 A.H. (868-9 après J.C.), à l’âge extrême de quatre-vingt-dix ans. Ibn Khallikan, ii, 405, également Yaqút, Dictionary of Learned Men (éd. par le professeur Margoliouth), vi, p. 56. ↩︎
70:3 Nous étions excités de recevoir une invitation à un banquet : littéralement, un banquet m’excitait, moi et quelques amis. … un banquet, généralement un festin de mariage. Pour les noms des différentes fêtes. Voir Khizanat al-Adáb, iii, 212-13. ↩︎
71:1 D’après la Tradition du Prophète : Cette Tradition est citée par Jáḥiz lui-même. Voir Kitáb al-Bayán wa’l-Tabyín, i, 163. ↩︎
71:2 Terminé et laissé : Mètre, kámil. ↩︎
71:6 Pâturage sur le territoire de son voisin : Contrairement à …\—Une tradition du Prophète : « Mangez de ce qui est près de vous », ↩︎
72:1 Ibn al-Maqaffa’: Persan converti à l’Islam, réputé pour l’élégance de son style et de son écriture. Il fit plusieurs traductions du Pahlawi en arabe. Le meilleur exemple de son arabe élégant et chaste est le Livre de Kalila et Dimna, dérivé en fin de compte des Fables sanskrites de Bidpai, apportées en Perse sous le règne d’al-Nushirwan. Sur ordre du calife Al-Manṣúr, il fut mis à mort de façon horrible sous l’accusation d’hérésie en 142 A.H. (759-60 A.D.) par Sufyán, le gouverneur de Baṣra. Ibn Kallikan, i, 431. ↩︎
72:2 Chaque situation a son dicton: Proverbes arabes, ii, 456. ↩︎
72:3 … courba ses lèvres en signe de désapprobation : littéralement, lui montra la dent du déni. ↩︎
72:4 … Recondite: Littéralement, inouï ; rare ; autre lecture … discours rimé. Les mérites de Jáḥiz étaient un sujet de controverse. Abú Hayyan Tanḥídí a écrit un éloge sur lui alors que les orthodoxes l’ont attaqué comme un mu’tazilite [Voir al-Farq bain al-Firaq, (AH 429), pp. 160 sqq]. Hamadhání partageait évidemment l’opinion orthodoxe concernant cet écrivain. Dans cette Maqáma nous avons une indication de l’idée de Hamadhání sur ce qui constituait un bon style. Il est évident qu’il préférait les idées rhétoriques et le obscur à un langage simple et direct. La Maqámát en fournit de nombreuses illustrations. ↩︎
73:1 Allège tes épaules : c’est-à-dire libère-toi de la responsabilité que tu as assumée dans ta défense de Jáḥiz. ↩︎
73:2 Ouvre ton petit doigt : c’est-à-dire ouvre ta main et donne quelque chose. La fermeture du petit doigt indique l’avarice, par exemple en comptant jusqu’à dix, le petit doigt est le premier à être fermé et le dernier à être ouvert. ↩︎
73:3 Par la vie du salaire : Mètre, tawíl. ↩︎
73:4 Alexandrie est ma maison : Mètre, mujtath. ↩︎
73:5 Nejd : est à dix jours de voyage, soit environ deux cents milles à l’est de Yemáma. ↩︎