'ÍSÁ IBN HISHÁM nous a raconté : Je traversais une des villes d’Ahwaz lorsque mon objectif suprême était de saisir un mot égaré, [1] ou d’ajouter à mon répertoire une expression éloquente. Mon voyage m’a conduit à un vaste espace ouvert de la ville où voici !
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il y avait une compagnie de gens rassemblés autour et écoutant un homme qui frappait le sol avec des battements qui ne variaient pas, je savais qu’il devait y avoir une mélodie avec ces battements. Je ne me retirai donc pas, afin de pouvoir apprécier la chanson ou entendre une expression chaste, mais restai parmi les spectateurs, portant l’un sur l’épaule et poussant l’autre, jusqu’à ce que j’atteigne l’homme. Je passai mon regard sur lui [2] et je vis que c’était un homme petit et corpulent comme un scarabée, [3] aveugle et enveloppé dans une couverture de laine, tourbillonnant sur lui-même comme une toupie, portant un burnous [4] trop long pour lui, et se soutenant avec un bâton auquel étaient attachées un certain nombre de petites clochettes. Avec cela, il battait le sol avec un son rythmique, tandis qu’avec un air plaintif et une voix pathétique sortant d’une poitrine redressée, il chantait :
« Ô peuple, ma dette pèse sur mon dos, [5]
Et ma femme exige sa dot,
Après l’abondance et la plénitude, je suis devenu
Un habitant d’une terre aride et un allié de la misère.
Ô peuple, y a-t-il un homme généreux parmi vous,
Qui m’aidera contre les vicissitudes du temps ?
Ô peuple, à cause de ma pauvreté ma patience est épuisée,
Bien que maintenant aucune robe flottante ne cache mon état,
Le temps avec sa main destructrice a dispersé
Ce que j’avais d’argent et d’or ;
Le soir je me rends dans une maison de la taille d’un travée,
Mon sort est obscur et mon pot est petit.
Si Dieu scelle mon affaire avec le bien,
Il m’enverra facilité après difficulté.
Y a-t-il parmi vous un jeune homme digne d’origine noble,
Qui obtiendra par moi une grande récompense ?
Même s’il n’apprécie pas la gratitude ?
Said ‘Isá ibn Hishám : Par le Ciel ! mon cœur s’est attendri envers lui et mes yeux se sont remplis de larmes pour lui. [p. 75] Je lui ai donc donné un dinar que j’avais sur moi. Et il n’a pas hésité mais a dit :
«Quelle beauté est la sienne [6] et comme elle est intensément jaune.
Léger, estampé et rond,
L’eau tombe presque de son lustre,
Un esprit noble l’a produite,
Oui, une âme de jeune possédée par la générosité,
Ce qui le fait faire ce qu’il veut.
Ô toi à qui cette louange est destinée,
L’exagération ne peut décrire l’étendue de ta valeur.
Je te renvoie donc à Dieu [7] auprès de qui est ta récompense.
Que Dieu ait pitié de celui qui la liera à son couple
Et l’associer à sa sœur.
Les gens lui donnèrent alors ce qu’ils étaient disposés à donner. Puis il les quitta. Mais je le suivis, car je compris à la rapidité avec laquelle il reconnut le dinar qu’il feignait la cécité. Dès que nous fûmes seuls [8] j’étendis ma main droite, saisis son bras gauche et dis : « Par le ciel ! tu me dévoileras ton secret, sinon je te dévoilerai assurément. » Alors il ouvrit sa paire d’amandes. [9] Je retirai son voile de son visage et voici, par le ciel ! c’était notre cheikh Abú’l-Fatḥ, al-Iskanderí. Je dis : « Es-tu Abú’l-Fatḥ ? » Il répondit : « Non ;
Je suis Abú Qalamún, [10] Dans chaque couleur j’apparais,
Choisis une vocation de base, car ton âge est bas,
Repoussez le temps [11] avec folie, car en vérité le temps est un chameau qui rue.
Ne vous laissez jamais tromper par la raison, la folie est la seule raison. » [12]
73:6 Pour capturer un mot égaré : La collecte de (…) mots rares était une activité favorite. ↩︎
74:1 Je passai mon regard sur lui : littéralement, de lui à. ↩︎
74:2 … Comme un scarabée: Le Qarambá est un insecte ressemblant au scarabée appelé … Khanfasá. On dit que « le Qarambá dans l’œil de sa mère est beau. » Proverbes arabes, ii, 253. ↩︎
74:3 Burnous: Porté par les dévots au premier âge de l’Islam; tout vêtement dont la tête fait partie. Certains disent que cela vient de … qui signifie coton et … augmentatif. Il semble que ce soit un mot étranger. ↩︎
74:4 O peuple, ma dette pèse : Mètre, rejez. ↩︎
75:1 Quelle beauté est la sienne! Cf. De Sacy, Ḥarírí, i, 34. Mètre, rejez. ↩︎
75:2 Je te renvoie à Dieu : Littéralement, va à Dieu. ↩︎
75:3 … Nous étions seuls : Littéralement, l’isolement nous a liés les uns aux autres. ↩︎
75:4 Paire d’amandes : Figuratif pour les deux yeux. ↩︎
75:5 Je suis Abú Qalamún : Mètre, mujtath.
Abú Qalamún : sorte de tissu grec bigarré. L’expression est utilisée pour décrire une personne très inconstante. (Ibn al-Athír, Kunya Lexicon (Kitab al-Muraṣṣ’a, édité par Seybold, p. 175.)
Ce maqáma a été traduit par De Sacy, Chrestomathie Arabe, iii, 251. ↩︎
75:6 … Temps de répulsion : Cf. De Sacy, Ḥarírí, i, 304, ↩︎
75:7 Cf. Ce maqáma avec De Sacy, Ḥarírí, i, 75, où l’imposteur feint aussi la cécité. ↩︎