‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous a raconté ce qui s’est passé : En l’an 75 de l’hégire [1], je pris part à une incursion sur la frontière de Qazwin [2] avec ceux qui l’avaient incursionnée. Nous ne traversâmes pas un plateau accidenté, mais nous descendîmes aussi dans une vallée, jusqu’à ce que notre marche nous conduisît à l’un des villages. La chaleur torride de midi nous poussa à chercher l’ombre de quelques tamaris au centre [3] desquels se trouvait une source, semblable à la flamme d’une torche, [4] plus molle qu’une larme, glissant sur le sol pierreux comme glisse le serpent agité. Nous prîmes la nourriture que nous avions envie de prendre, puis nous cherchâmes l’ombre et nous consacrâmes à la sieste de midi. Mais le sommeil ne nous avait pas encore vaincus, lorsque nous entendîmes une voix plus désagréable que le braiment d’un âne et un pas [79] plus léger que celui d’un petit de chameau, accompagnés du son d’un tambour qui semblait sortir de la gueule d’un lion et qui éloigna du peuple l’éclaireur du sommeil. J’ouvris les deux yeux et regardai vers lui, mais les arbres s’interposaient entre nous. J’écoutai donc et voici qu’il récitait au rythme du tambour :
« J’invite Dieu, [5] y a-t-il quelqu’un qui réponde ?
Vers un abri spacieux et des pâturages luxuriants.
A un jardin élevé [6] dont les fruits [7] ne cessent d’être proches à cueillir et ne disparaissent jamais de la vue.
Ô peuple, en vérité, je suis un homme qui revient [8]
Du pays de l’infidélité, et merveilleuse est mon histoire.
Si maintenant j’ai cru, combien de nuits
Ai-je renié mon Seigneur et commis une chose douteuse ? [9]
Ah ! bien des porcs dont j’ai rongé les os tendres,
Et l’enivrant dont j’ai obtenu une part !
Alors Dieu m’a guidé et par un effort zélé et efficace, il m’a élevé de la bassesse de l’incrédulité,
Mais j’ai continué à cacher ma religion à mon peuple,
Et adorer Dieu avec un cœur pénitent.
J’adorais la déesse al-Lát, [10] par peur de l’ennemi,
Et par crainte du Veilleur, je ne regardais pas vers la Ka’ba.
J’ai prié Dieu quand la nuit m’enveloppait et qu’un jour terrible me ravageait,
Seigneur, comme tu m’as sauvé,
Délivre-moi maintenant, car je suis un étranger parmi eux.
Alors j’ai pris la nuit comme mon destrier,
Et je n’avais devant moi [11] aucune monture de rechange, sauf la résolution.
[p. 80]
Il te suffit de savoir que mon voyage s’est déroulé dans la nuit,
Dans lequel la tête d’un enfant deviendrait presque grise,
Jusqu’à ce que je quitte le territoire ennemi
Dans le domaine gardé de la Foi, et alors j’ai secoué la peur.
Quand les signes de la foi sont apparus, j’ai dit :
Assistance de Dieu et victoire rapide. » [12]
Or, quand il arriva à ce verset, il dit : « Ô peuple ! Je suis entré [13] dans votre demeure avec une résolution que l’amour n’a pas excitée, ni la pauvreté n’a poussée. J’ai laissé derrière moi mes jardins plantés d’arbres et de vignes, des demoiselles [14] d’âge égal aux poitrines gonflées, et d’excellents chevaux, [15] des richesses amassées, [16] des équipements, une tribu nombreuse, des montures et des esclaves : Mais je suis sorti comme le serpent sort de son trou, [17] et l’oiseau sort de son nid, préférant ma religion à mes biens terrestres, ramenant ma droite à ma gauche, [18] et joignant ma marche diurne à mon voyage nocturne. Maintenant, je vous prie de combattre le feu avec ses propres étincelles, de lapider l’empire byzantin avec ses propres projectiles, de m’aider et de m’aider à les envahir, mais sans dépasser les limites, chacun selon ses capacités et en proportion de sa richesse. Je ne considérerai pas un sac de dix mille dirhems comme trop cher ; j’accepterai une pièce de monnaie [19] [81] et je ne refuserai pas une date. Pour chacune de mes flèches, j’en aiguiserai une pour une récompense future, et j’entaillerai l’autre avec la prière [20] et avec elle, de l’arc des ténèbres [21], je tirerai sur les portes du Ciel. » Dit ‘Isá ibn Hishám : « Son admirable diction m’excita, alors je jetai la robe du sommeil et courus vers la compagnie et voilà ! c’était notre cheikh, Abú’l-Fatḥ al-Iskanderí, avec une épée qu’il avait tirée et un costume qu’il avait adopté comme déguisement. Or, quand il me vit, il me fit un clin d’œil et dit : « Que Dieu soit miséricordieux envers celui qui de son abondance [22] nous aidera et nous répartira une part de ses faveurs. » Puis il prit ce qu’il avait, alors je l’ai emmené à part et lui ai dit : « Es-tu des fils des Nabatéens ? [23] Il répondit :
« Tel est mon état avec le destin, [24] tel est mon état avec le pedigree.
« Ma généalogie est entre les mains du Temps, s’il lui est dur, elle changera.
Le soir je suis Nabatéen, le matin je suis Arabe.
78:3 L’an 75 de l’hégire: Si l’on accepte cette date, l’auteur remonte à l’incursion d’al-Bara ibn 'Azíb, nommé gouverneur de Rai en 24 de l’hégire. Si l’on prend pour date 375 de l’hégire, ce qui est plus probable, cela placerait l’épisode cinq ans avant qu’Hamadhání ne quitte sa ville natale. De Sacy a adopté cette dernière hypothèse (Chrestomathie Arabe, iii, 243.) L’année 375 fut riche en événements, mais il n’y a aucune allusion à une incursion sur la frontière de Qazwin. Voir Ibn al-Athír, ix, 29-33. ↩︎
78:4 Qazwín : Une ville bien connue et la capitale de la province du même nom située à quatre-vingt-douze milles par la route de Téhéran. ↩︎
78:5 Le centre : Littéralement, l’enceinte. ↩︎
78:6 La flamme d’une torche : Littéralement, la langue d’une torche, dans sa pureté et son éclat. ↩︎
79:2 J’invite à Dieu : Mètre, sari‘. ↩︎
79:3 Vers un jardin élevé : Une allusion au Coran lxix, 22. ↩︎
79:4 Dont les fruits : Une allusion au Coran lxix, 23. ↩︎
79:5 … Retourner : Dans le sens de se repentir. Une autre lecture … a été créée, qui est plus conforme au contexte. ↩︎
79:6 Et commis la chose douteuse: Autre lecture, j’ai adoré la Croix. ↩︎
79:7 Al-Lát: Une des trois déesses vénérées par les anciens Arabes. Les deux autres étaient al-'Uzza et Manáh. ↩︎
79:8 … Devant moi ne donne pas un bon sens : … à mes côtés, serait mieux. ↩︎
80:1 L’assistance de Dieu et une victoire rapide : Coran lxi, 13. Ce texte était le cri de guerre des premiers musulmans. Cf. De Sacy, Ḥarírí, p. 231, ligne 4. ↩︎
80:2 Je suis entré : Littéralement, j’ai marché. ↩︎
80 : 3 Demoiselles : Coran lxxviii, 32-3. ↩︎
80:4 Excellents chevaux: Coran iii, 12. ↩︎
80:5 … Richesse accumulée : Coran iii, 12.
… une grande quantité ou un agrégat de biens, ou beaucoup de biens amassés. Son poids actuel est de cent livres. … agrégé, ce dernier mot est corroborant. … (centenarius) à l’époque de l’auteur était égal à 120 ratls (Mafatiḥ al’Ulúm p. 179, édité par Vloten). ↩︎
80:6 Comme le serpent sort de son trou : c’est-à-dire sans rien. ↩︎
80:7 Ramener ma droite à ma gauche : Soit (1) rapprocher les pieds comme préliminaire à une détermination d’avancer, à l’opposé de, j’ai avancé un pied et retiré l’autre, en signe d’indécision, ou (2) rapprocher les mains en signe de résolution, ou (3) serrer les mains en signe de détermination. ↩︎
80:9 … Un acarien : le poids d’une fourmi. Voir Coran xxxiv, 3. ↩︎
81:2 … Avec prière : pour le besoin présent. ↩︎
81:3 … De l’arc des ténèbres : Une référence à la croyance selon laquelle la prière de nuit est plus efficace ; une autre lecture est … la soif. ↩︎
81:4 Son abondance : Littéralement, ses jupes superflues. ↩︎
81:5 … Es-tu des fils des Nabatéens ? Une autre lecture, plus appropriée, dans l’édition de Constantinople et dans le manuscrit de Cambridge est « Es-tu des enfants des filles des Grecs » ? ↩︎
81:6 Tel est mon état avec le destin: Cf. p. 13 du Texte. Mètre, Khafif.
Cette maqáma est un étrange mélange de références au paganisme, au christianisme et à l’islam basé sur la conversion imaginaire d’un Grec au mahométisme. ↩︎