SAID ‘ISÁ IBN HISHÁM: Un de mes voyages m’a amené à Damas. Or, un jour, alors que j’étais à la porte de ma maison, une troupe de fils de Sassan apparut soudain devant moi. [1]
[p. 82]
Ils avaient couvert leurs visages et barbouillé leurs vêtements d’ocre rouge, tandis que chacun d’eux avait mis sous son aisselle une pierre avec laquelle il se frappait la poitrine. Parmi eux se trouvait leur chef qui récitait, elles alternant avec lui ; lui psalmodiait et elles lui répondaient. Et, quand il me vit, il dit :
« Je désire de toi [2] un gâteau blanc sur une table propre.
Je désire du gros sel, je veux des légumes verts cueillis.
Je désire de la viande fraîche, je veux du vinaigre aigre.
Je désire un chevreau qui tète, je veux un jeune bélier.
Je désire de l’eau avec de la glace, remplie dans un récipient rare.
Je désire une cuve de vin d’où je puisse me lever ivre,
Et un échanson joyeux, agréable aux esprits.
Je désire de toi une chemise, un manteau et un turban. [3]
Je désire des sandales épaisses, avec lesquelles je puisse visiter les latrines.
Je désire un peigne et un rasoir, je veux un vase [4] et un gant de bain,
Oh, quel excellent invité je suis ! et quel hôte charmant es-tu !
Je serai content de cela de ta part, et je ne souhaite pas t’imposer.
Said ‘Isá ibn Hishám, je lui ai donné un dirhem et lui ai dit : « Je t’annonce l’invitation, et nous allons bientôt [83] nous préparer et nous préparer à te recevoir. Nous ferons de notre mieux et tu as notre promesse pour l’avenir. Et ce dirhem sera un rappel pour toi, alors prends l’argent comptant et attends la promesse. » Il l’a saisi et est allé vers un autre homme, et j’ai pensé qu’il lui parlerait [5] avec la même chose avec laquelle il m’avait parlé, mais il a récité : —
« Ô toi qui es excellent ! [6] qui es apparu,
Comme si par sa stature il était une branche.
Ma dent désire de la viande,
Enrobez-le donc de pain. [7]
Et accorde-moi quelque chose et donne-le-moi maintenant,
Lâche ta main [8] de ta taille et défais le nœud de la bourse,
Et mets tes deux mains [9] sous tes deux bras exprès pour moi.
Said ‘Isá ibn Hishám : Quand ses paroles ont pénétré mon oreille, j’ai su qu’il y avait de l’excellence derrière cela, alors je l’ai suivi jusqu’à ce qu’il atteigne la mère de sa maison, et je me suis éloigné de lui pour qu’il ne puisse pas me voir, mais je pouvais le voir. Les princes ont baissé leurs voiles et voici que leur chef était Abú’l-Fatḥ, al-Iskanderí ! Alors je l’ai regardé et j’ai dit : « Sirrah, que signifie cette fraude ? » Alors il a écrit, en disant :
« Cet âge est malchanceux, [10]
Et, comme tu le vois, oppressif ;
En cela la bêtise est estimable
Et l’intelligence un défaut et un reproche,
Et la richesse est un visiteur nocturne [11] mais
Il ne plane que sur l’ignoble.
81:7 Sásán: Sasán al-Akbar, fils de Bahman, fils d’Isfandiyar, fils de Gushtasp, prince de l’ouest de la Perse, est le chef et le patron réputé de tous les mendiants et charlatans. La légende mentionnée par Ibn al-Múkaffá raconte que Báhman étant sur le point de mourir envoya chercher sa fille Ḥomaya, qui était enceinte, et fixa la succession sur elle et son enfant, si l’enfant s’avérait être un garçon, à l’exclusion de son propre fils Sasán. Sasán, indigné par cela, quitta la cour et vécut la vie d’un berger parmi les Kurdes, de sorte que son nom devint un proverbe pour celui qui mène une vie de vagabond. p. 82 Ainsi, « le peuple de Sasán, le Kurde », est une expression signifiant les mendiants, les prestigiateurs, les gens qui feignent la cécité, se promènent avec des chiens, des singes et autres. Ces gens avaient un jargon qui leur était propre et qui n’était pas considéré comme indigne d’étude par les érudits.
Sherishí donne une autre explication de l’origine de ce terme. Il dit qu’après la soumission des Perses à l’époque du calife ‘Umar, ils se soumirent pacifiquement aux conquérants, adoptant leurs manières et leur religion, et que, étant un peuple intelligent et rusé, ils se livrèrent à diverses manières de gagner leur vie, dont l’une était la mendicité. Leur façon d’exciter la compassion était de faire croire qu’ils appartenaient à la maison royale de Sassan, ou, comme nous les appelons, les Sassanides, et de décrire le cruel changement de fortune et leur condition déplorable. Si bien qu’à la fin les gens en vinrent à appeler un mendiant un Sassanide. C’est peut-être la véritable origine, mais il est évident, d’après le quarante-neuvième maqáma, que les Harírí adoptèrent la légende qui fait de Sassan une personne réelle. (Chenery, traduction de Ḥarírí, p. 287-8, et Ḥarírí i. 23.) ↩︎
82:1 Je désire de toi : Mètre, mujtath. Cf. De Sacy Ḥarírí i. 159. ↩︎
82 :2… Un turban : également un voile ou un cache-nez de femme. syn. … Voir Aghání ix. 158. Héb. עניף Voir le lexique. Ésaïe III. 23 et lxii. 3. Probablement à partir de… il a été divisé par deux, faisant probablement allusion à la longueur du voile. ↩︎
82:3 … Un récipient : Probablement situla, un seau pour puiser de l’eau, emprunté indirectement au latin. Voir Dozy Supplément aux Dictionnaires, i. 653. ↩︎
83:1 … S’adresserait à lui : Littéralement, le rencontrer. ↩︎
83:2 O excellent ! Mètre, mujtath. ↩︎
83:3 Enrobez-le de pain : Selon le contexte, cela semble être le sens plutôt que l’explication donnée par le commentateur, à savoir que la viande était quelque chose d’interdit et que par conséquent la désirer le rendait digne de coups. ↩︎
83:4 Laisse tomber ta main : abaisse-la dans la poche pour défaire l’argent noué. ↩︎
83:5 Mets tes deux mains: Une allusion au Coran xx. 23. Il utilise ici ses deux mains délibérément afin d’être sûr de sortir de l’argent, ne sachant pas de quel côté ‘Ísá ibn Hishám portait son argent. ↩︎
83:7 Cet âge est malheureux : Mètre, mujtath. ↩︎
83:8 … Visiteur nocturne : Le Ṭaif al-Khayál ou Khayál Ṭaif apparaît fréquemment dans la poésie arabe. On suppose qu’il s’agit de l’image de la personne aimée qui apparaît à l’amant dans son rêve. Pour un excellent compte rendu du Ṭaif al-Khayál, illustré par plusieurs citations des poètes, voir Journal Asiatique, pp. 376-85, avril 1838 (M.G. Slane). ↩︎