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‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous raconta ce qui s’était passé : « Tandis que j’étais dans la cité de la Paix, [1] en revenant du Territoire Sacré, [2] je me pavanais, avec le pas des piétons, sur la rive du Tigre, observant ces spectacles rares et examinant de près ces embellissements, jusqu’à ce que, tout à coup, je rencontre un cercle d’hommes qui se pressaient les uns contre les autres, l’excitation agitant leurs têtes [3] et le rire éclatant [4] sur leurs joues. La curiosité me poussa à faire ce qu’elle les avait poussés à faire, jusqu’à ce que je me trouve à portée d’entendre la voix d’un homme sans pouvoir voir son visage, à cause de l’intensité et de l’excès de la foule, et voilà ! C’était un dresseur de singes qui faisait danser son singe et faisait rire ceux qui étaient près de lui. Alors je bondis comme le chien bien dressé, [5] et je m’avançai, à la manière d’un boiteux, sur le cou des gens. L’épaule de l’un me jeta dans l’estomac de l’autre, [6] jusqu’à ce que je fasse de la barbe de deux hommes mon tapis et que je m’assis après beaucoup de fatigue. [7] Et en vérité, la honte m’étouffa avec sa salive et l’étroitesse du lieu me bouleversa. Lorsque le dresseur de singes eut terminé son exercice et que le lieu de réunion se dépouille de ses habitants, je me levai, et en vérité la terreur m’avait revêtu de son habit, et je me levai pour voir son visage, et voilà ! Par le ciel ! c’était Abú’l-Fatḥ, al-Iskanderí. Alors je dis : « Sirrah, que signifie cette bassesse ? » Alors il dit en disant :
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« Le péché, ce sont les jours » [8] pas les miens,
Alors censurez les vicissitudes des nuits.
Au moyen de la folie j’ai obtenu mon désir
Et traînais fièrement mes jupes ornées.
84:1 La cité de la Paix: c’est-à-dire la cité de Dieu. Al-Mansour aurait appelé Bagdad la cité de la Paix — Madina al-Salâm — parce que le Tigre avait été auparavant appelé la vallée et la rivière de la Paix. On dit que 'Abd al-'Azíz ibn 'Alí Ruwwid l’appelait la cité de la Paix, parce qu’en persan bagh est une idole et dad un don qui a fait un nom impie ou de mauvais augure. Yaqút, i, 678. Voir aussi Le Strange, Bagdad pendant le califat abbasside, p. 10. ↩︎
84:2 Le territoire sacré : La Mecque. ↩︎
84:3 … Leurs têtes : Littéralement, leurs cous. ↩︎
84:4 Explosé (littéralement, fendu) leurs joues : Cf. anglais, fendu leurs flancs. ↩︎
84:5 … Chien bien dressé : Littéralement, ayant un collier de coquillages blancs comme ceux qu’on porte au cou pour détourner le mauvais œil. Il semble que seuls les chiens bien dressés recevaient ce collier. ↩︎
84:6 … Estomac : Littéralement, le nombril. ↩︎
84:7 … grande fatigue: Une autre lecture est … entre deux. ↩︎
85:1 Le péché, ce sont les jours : Mètre, kámil.
Ce maqáma a été traduit par De Sacy. Voir sa Chrestomathie Arabe, iii. p. 246. ↩︎