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'Isâ Ibn Hisham nous raconta ce qui s’était passé et dit : « Quand l’exil m’eut conduit jusqu’à Bab al-Abwab, je me contentai de revenir comme butin, mais il y avait entre moi et moi la mer débordante et ses vagues hautes, et les navires qui déviaient de leur route avec leurs passagers. Mais je cherchai un bon présage de Dieu concernant mon retour, et je m’assis dans un endroit très dangereux du navire. Or, lorsque la mer eut pris le dessus sur nous et que la nuit nous enveloppa, nous fûmes submergés par une nuée qui pleuvait à torrents et qui soulevait des montagnes de brume avec un vent qui envoyait les vagues deux à deux et la pluie en armées. Nous fûmes ainsi abandonnés entre deux mers, alors que nous n’avions d’autre équipement que la prière, d’autre ressource que les pleurs et d’autre protection que l’espoir, et nous passâmes une nuit de Nabigah ! » [1] Et le matin, nous pleurâmes et nous plaignîmes les uns aux autres. Or, il y avait parmi nous un homme dont la paupière n’était pas mouillée [99] et dont l’œil n’était pas mouillé ; il était dilaté et dilaté de poitrine, [2] le cœur léger et joyeux. Or, par le ciel ! nous étions parfaitement étonnés, et nous lui avons dit : « Qu’est-ce qui t’a mis à l’abri de la destruction ? » Et il dit : « Une amulette dont le possesseur ne se noiera pas, et, si je voulais donner à chacun de vous un charme, [3] je pourrais le faire. » Alors tous penchèrent vers lui et insistèrent pour lui demander. Mais il dit : « Je ne le ferai pas tant que chacun de vous ne m’aura pas donné un dinar maintenant, et ne m’en aura pas promis un autre quand il sera sauvé. » 'Isá ibn Hishám dit : « Nous lui avons payé ce qu’il demandait et lui avons promis ce qu’il stipulait. Puis sa main retourna à sa poche et il en tira un morceau de soie dans lequel se trouvait une boîte d’ivoire dont l’intérieur [4] renfermait quelques billettes, et il nous en jeta une à chacun.
Quand le navire fut arrivé à bon port et que nous fûmes arrivés dans la ville, il demanda aux gens ce qu’ils lui avaient promis, et ils le payèrent. Finalement, ce fut mon tour, mais il dit : « Laisse-le. » Je lui dis alors : « C’est à toi, après que tu m’auras fait connaître le secret de ta condition. » Il dit : « Je suis de la ville d’Alexandrie. » Je demandai : « Comment se fait-il que la patience t’ait aidé et nous ait abandonnés ? » Il dit :
« Malheur à toi ! [5] si je n’avais pas eu de patience,
J’ai rempli mon sac à main d’or.
Celui qui est impatient n’obtiendra pas la gloire
À ce qui lui arrive.
Encore une fois, ce qui m’a été donné ne m’a pas causé de tort.
Au contraire, c’est avec elle que je renforce mes reins
Et panse les brisés.
Et si j’étais aujourd’hui parmi les noyés,
Je n’aurais pas dû me soucier d’une explication. » [6]
Et je passai une nuit comme j’aurais dû la passer si un de ces serpents tachetés m’avait attaqué, dont le venin des crocs est mortel.
98 : 7 Une nuit de Nabigah : Une allusion aux lignes souvent citées de Nabigah.
… ↩︎
99:1 … Élargi de poitrine : C’est-à-dire, tranquille d’esprit. ↩︎
99:2 Un charme: Le commentateur dit (Texte, p. 117) que l’Islam interdit l’utilisation de charmes, mais cette affirmation n’est pas appuyée par l’autorité. ↩︎
99:3 … Dont l’intérieur : Littéralement, dont la poitrine. ↩︎
99:5 Malheur à toi ! :_ Mètre, ramal. ↩︎
99:6 Comparez ce maqáma avec Ḥarírí, pp. 130 et 494. ↩︎