‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous raconta ce qui s’était passé et dit : Le commerce des cotonnades m’a conduit à Balkh [1] et j’y suis arrivé alors que j’étais dans la première fleur [2] de la jeunesse, l’esprit libre de tout souci et le corps paré des ornements de l’aisance. Mon seul but était de [33] soumettre à mon usage le poulain indompté de l’esprit, ou de saisir quelques paroles égarées [3]. Mais, pendant tout mon séjour, rien de plus éloquent que mes propres paroles n’a cherché à pénétrer dans mon oreille. Or, alors que la séparation se penchait, ou était sur le point de se courber, son arc vers nous, se présenta à moi un jeune homme vêtu d’une robe attrayante [4], avec une barbe qui s’étendait jusqu’à percer les deux artères attachées à la veine jugulaire et des yeux qui avaient absorbé les eaux [5] des deux rivières [6]. Il me fit une telle bienveillance que je ne lui fis que des éloges. Il me demanda alors : « As-tu l’intention de partir en voyage ? » Je lui répondis : « Oui, en effet. » Il me dit : « Que ton éclaireur trouve de bons pâturages et que ton guide ne se perde pas ! Quand comptes-tu partir ? » Je lui répondis : « Demain matin de bonne heure. » Puis il me dit ce qui suit :
« Que ce soit un matin divin et non un matin de départ,
L’oiseau augure de l’union, [7]
« Et non l’oiseau de séparation. » [8]
Où vas-tu ? Je répondis : « Dans mon pays. » Il dit : « Puis-tu atteindre ton pays natal et accomplir tes affaires ; mais quand reviendras-tu ? Je répondis : « L’année prochaine. » [9] Il dit alors : « Peux-tu plier les robes et enrouler le fil ? [10] Où es-tu par rapport à la générosité ? Je répondis : « Où tu le désires. » Il dit : « Si Dieu te ramène [34] sain et sauf de cette route, amène avec toi pour moi un ennemi sous l’apparence d’un ami, dans une veine d’or qui invite à l’infidélité, tourne sur le doigt, rond comme le disque du soleil, qui allège le fardeau de la dette et joue le rôle de celui qui a deux visages. » [11] ‘Ísá ibn Hishám dit : « Alors j’ai su que c’était un dinar qu’il demandait. Alors je lui ai dit : « Tu peux en avoir un et la promesse d’un autre semblable. » Il a alors récité et dit :
« Ton plan est meilleur que ce que j’ai demandé, [12]
Puisses-tu continuer à être le digne auteur d’actes généreux, [13]
Que tes branches s’étendent et que tes racines soient saines.
Je ne peux pas supporter le fardeau des cadeaux,
Ne supporte pas le poids de la mendicité.
Mon imagination n’a pas été à la hauteur de ta générosité
Et ton action a dépassé mon imagination.
Ô soutien de la fortune et de la grandeur
Que le temps ne soit jamais privé de toi !
Said ‘Isá ibn Hishám : Alors je lui ai donné le dinar et je lui ai dit : Où est le sol natal de cette excellence ? Il a répondu : J’ai été élevé par les Quraish, et dans leurs oasis la noblesse m’a été préparée. L’un de ceux présents a demandé : N’es-tu pas Abú’l-Fatḥ al-Iskanderí et ne t’ai-je pas vu en Irak aller dans les rues mendier [14] avec des lettres ? [15] Puis il a récité, en disant :
« En vérité, Dieu a des serviteurs [16]
Qui ont adopté une existence multiple [17],
[p. 35]
Le soir, ce sont des Arabes,
Au matin, les Nabatéens. » [18]
32:4 Balkh: L’ancienne Bactriane ou Zariaspa, autrefois appelée Alexandrie, était autrefois une grande ville, mais n’est aujourd’hui, pour la plupart, qu’un amas de ruines qui occupe un espace d’environ vingt milles de circonférence. C’était à une époque le grenier du Khurasan. Conquise par les Arabes sous le califat d’Uthman (644-56 après J.-C.). Yaqút, i, 713. ↩︎
32:5 … Première chasse d’eau : Littéralement, virginité. ↩︎
33:1 … Dictons errants : de … appliqué à un chameau fugueur et réfractaire, d’où des mots étranges et inconnus. ↩︎
33:2 … Attrayant : Littéralement, plein d’yeux. ↩︎
33:3 Avait absorbé les eaux: Elles étaient si liquides et limpides. ↩︎
33:4 … Les deux fleuves : appellation appliquée à l’Euphrate et au Tigre. De … un donneur ou un affluent, par exemple … un fleuve dans lequel se jettent deux autres fleuves. ↩︎
33:5 L’oiseau d’union: La huppe … suggérant … il le guida. Voir Meidání, i, (édition Bulak) et aussi les « Lettres d’Abú’l ‘Alá al-Ma‘arrí » du professeur Margoliouth, p. 42. ↩︎
33:6 L’oiseau de séparation: Le corbeau qui est appelé … le corbeau de séparation et dont l’apparence ou le croassement est de mauvais augure de la séparation. Voir Meidání, i, 337 (édition Bulak.) Metre, wafir. ↩︎
33:7 L’année prochaine : Littéralement, l’année à venir. ↩︎
33:8 Tu peux plier les robes et enrouler le fil. Figure utilisée par l’auteur pour exprimer l’idée de traverser en toute sécurité les étapes intermédiaires jusqu’à sa destination. Cf. p. 230 du Texte. ↩︎
34:1 Les deux-faces : Cf. De Sacy, Ḥarírí, i, 36. ↩︎
34:2 Ton plan est meilleur que ce que j’ai demandé : Mètre, basít. ↩︎
34:3 Puisses-tu continuer à être : Littéralement, que ton bois soit sain et ta générosité durable : figure de force de caractère. ↩︎
34:4 … Mendiant : de … mendier. De Sacy dit que le mot est arabisé du persan … un mendiant et … mendicité. (Chrestomathie Arabe, iii, 250.) Le fait que Badí‘ al-Zamán et Ḥarírí considéraient tous deux la profession de mendiant comme une profession d’origine persane — voir note sur les Fils de Sásán, (Texte p. 89) — appuie cette dérivation. Pour une utilisation antérieure du mot … mendicité, voir l’édition de Dieterici de Philosophie der Araber, Thier et Mensch, p. 32, lignes 10 seq. ↩︎
34:5 Avec lettres : Cf. De Sacy, Ḥarírí, p. 76. ↩︎
34:6 _En vérité, Dieu a des serviteurs : _Mètre, ramal. ↩︎
34:7 … Collectif : Littéralement, mélangé ou mêlé, par exemple … du lait sucré mélangé à du lait aigre, ↩︎
35:1 Nabatéens : Un peuple arabe bien connu. A l’époque de Josèphe, leurs colonies donnèrent le nom de Nabatéens à la région frontalière entre la Syrie et l’Arabie, de l’Euphrate à la mer Rouge. Avant leur apparition dans l’histoire, vers 312 av. J.-C., ils avaient déjà une certaine teinte de civilisation. Bien que véritables Arabes, ils furent influencés par la culture araméenne, et le syriaque fut la langue de leurs pièces de monnaie et de leurs inscriptions lorsque la tribu devint un royaume et profita du déclin des Sélucides pour s’étendre sur le pays à l’est du Jourdain. En tant qu’alliés des Romains, ils continuèrent à prospérer tout au long du premier siècle chrétien. Vers 105 apr. J.-C., Trajan, très imprudemment, démantela la nationalité nabatéenne. Encl. Bib., iii, 3254-5. ↩︎