‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous raconta ce qui se passait et dit : Un besoin pressant m’a poussé à me rendre à Sijistán. [1] Je mis donc ma résolution à exécution [2] et montai sur le chameau nécessaire. Je demandai la bénédiction de Dieu sur ma détermination que je m’étais fixée, tandis que je fis de la prudence mon guide jusqu’à ce qu’elle me conduise là. J’arrivai alors aux portes de la ville après le coucher du soleil et fus donc obligé de passer la nuit sur place. [3]
Or, lorsque la lame de l’aube fut levée et que l’armée du soleil sortit, je me rendis au quartier des affaires pour choisir un logement. Et lorsque j’eus quitté la circonférence de la ville pour son centre, et que j’eus marché le long du cercle des boutiques [36] jusqu’à ce que j’atteigne la principale, [4] une voix forte [5] pénétra mon oreille. Je m’approchai de l’orateur jusqu’à ce que je me tienne près de lui, et voici que c’était un homme monté sur son cheval et haletant. [6] Il avait tourné l’arrière de sa tête vers moi et disait : Celui qui me connaît me connaît bien, et celui qui ne me connaît pas, je me ferai connaître à lui. Je suis les prémices du Yémen, [7] celui dont on parle tant dans l’époque, l’énigme des hommes et le casse-tête des dames du harem. [8] Interroge-moi sur les pays et leurs forteresses, les montagnes et leurs hauteurs, les vallées et leurs cours d’eau, les mers et leurs sources, les chevaux et leurs dos. Qui a conquis leurs murailles, découvert les mystères de leurs hauteurs, exploré leurs sentiers et pénétré dans leurs collines de lave ? Interroge les rois et leurs trésors, les pierres précieuses et leurs mines, [9] les affaires et leur intériorité, [10] les sciences et leurs centres, les matières importantes et leurs obscurités, les guerres et leurs situations difficiles. Qui s’est emparé de leurs trésors sans en payer le prix ? Qui a pris possession de leurs clefs [11] et connu le chemin de la victoire ? Par le ciel ! c’est moi qui ai accompli tout cela. J’ai fait la paix [37] entre des rois puissants [12] et dévoilé les mystères des difficultés ténébreuses. Par le ciel ! j’ai été même dans le lieu où les amants sont renversés. J’ai été atteint de maladies, de maladies causées par la fatigue des yeux. J’ai embrassé des formes souples, j’ai cueilli des roses sur des joues pourpres. Mais malgré tout cela, j’ai fui le monde comme une nature généreuse fuit les visages vils. J’ai reculé devant les choses méprisables comme une oreille noble recule devant les paroles obscènes. Mais maintenant que l’aube des cheveux blancs s’est levée et que la dignité de la vieillesse est venue sur moi, j’ai résolu de prendre des dispositions sages pour mon voyage vers l’autre monde et je n’ai pas vu de voie meilleure pour me guider que celle que je suis en train de suivre. L’un d’entre vous me verra monter à cheval et parler à tort et à travers [13] et dira : « C’est le Père des merveilles » [14]. Non, mais je suis en effet le Père des merveilles, que j’ai vues et expérimentées, et la Mère des énormités que j’ai estimées et endurées. J’ai eu du mal à obtenir les clés des trésors [15], puis je les ai facilement rejetées. J’ai acheté cher et vendu bon marché. J’ai, par le ciel ! rejoint leurs défilés [38] et bousculé leurs épaules. J’ai observé les étoiles [16] et j’ai monté la chair de mes montures, j’ai été obligé de m’engager dans des entreprises dangereuses en jurant de ne pas priver les musulmans des avantages qui en découlent. Maintenant, je dois transférer le cordon de cette confiance de mon cou au vôtre et proposer à la vente dans vos rues ce remède qui est le mien. Que celui qui ne recule pas devant l’endroit où se tiennent les serviteurs de Dieu, ni devant la formule de l’unité, achète chez moi. Et que celui qui est de noble lignée [17] et de bonne éducation [18] conserve le remède. Said ‘Ísá ibn Hishám : Je suis passé devant lui pour savoir qui il était, et par le ciel ! c’était notre Cheikh Abú’l-Fatḥ al-Iskanderí. J’ai donc attendu que la foule se disperse [19] devant lui, puis je me suis adressé à lui
Je lui demandai : « Quelle ouverture faudra-t-il pour ton remède ? » Il répondit : « Ta bourse s’ouvrira autant que tu le désireras. » Je le quittai alors et m’en allai. [20]
35:2 Sijistán : à l’origine Sagistan, le pays des Sakas, arabisé en Sijistan, l’ancien Sacastane et le moderne Seistan, nom d’un district de la Perse et de sa principale ville. La capitale s’appelait autrefois Zaranj. Elle faisait partie de l’empire du calife et était un grand centre khárijite. Vers 860 après J.-C., après avoir subi de nombreux changements de gouvernement sous la conduite de lieutenants du calife de Bagdad ou d’audacieux aventuriers agissant pour leur propre compte, Yaqút ibn Laith al-Saffar en fit le siège de son pouvoir. En 901 après J.-C., elle tomba sous la puissance des Samanides et vers la fin du siècle sous celle des Ghaznavides. A l’époque de Hamadhání, Khalaf ibn Aḥmad était l’émir du Sijistán (354-93 H.). Yaqút dit que lorsque les habitants se soumirent à leurs conquérants arabes, ils stipulèrent qu’aucun hérisson ne devait être tué. La raison invoquée pour cela était que le pays était infesté de serpents et que les hérissons en réduisaient le nombre. Chaque maison avait son hérisson ! Yaqút, iii, 41. Encyclopædia Britannica, xxiv, 592. ↩︎
35:3 _J’ai mis ma résolution à exécution : _littéralement, j’en ai monté l’intention. Cf. De Sacy, Ḥarírí, i, 14. ↩︎
35:4 J’ai été obligé de passer la nuit sur place : Littéralement, le passage de la nuit a eu lieu par hasard là où je suis arrivé. ↩︎
36:1 … Le principal : Littéralement, le joyau au milieu d’un collier et qui en est le meilleur. ↩︎
36:2 … Fort ton: Littéralement, avec quelque chose de chaque racine, et donc bien nourri et fort. ↩︎
36:3 Haletant pour respirer : littéralement, s’étouffant. ↩︎
36:4 Les premiers fruits du Yémen: Ici Abú’l-Fatḥ commence à faire une allusion énigmatique à son nom. Le fruit de l’arbre … nab‘a ressemblant à celui du pistachi terebinthus, sauf qu’il est rouge, sucré et rond, est appelé … Fatḥ. C’est aussi une allusion à la conversion précoce à l’Islam du peuple du Yémen. Le nom du premier envoyé qui est venu du Yémen pour rendre visite au Prophète est dit avoir été Abú’l-Fatḥ. Al-Fatḥ signifie l’ouverture, le début, la victoire. ↩︎
36:5 … Dames du harem : … pl, de … une sorte de baldaquin à rideaux, ou de tente, ou de chambre pour une mariée.
Pour les expressions courtoises pour les dames, voir Jáḥiz, Ḥaywán, v. 103-110. ↩︎
36:6 Pierres précieuses et leurs mines : j’ai lu … au lieu de … car le premier donne le sens requis. ↩︎
36:7 … Intériorité : De … l’abdomen. Par conséquent, l’intérieur de toute chose. par exemple, … À chaque verset de celui-ci est un sens apparent … (littéralement arrière) et un sens nécessitant un développement. (…). ↩︎
36:8 Leurs clés : c’est-à-dire les clés des positions. ↩︎
37:1 … Rois puissants: … pl. de … un homme incapable de regarder de côté à cause d’une maladie, probablement un torticolis, et donc un roi, qui par fierté, ne tourne pas la tête à droite ou à gauche. Mais plus probablement … = le plus grand chasseur = le lion = le fort. Cf. Proverbes arabes, i, 748. Voir aussi Buḥturí, i. 224. ↩︎
37:4 … Parler au hasard … opposé à … dans tous les sens. ↩︎
37:5 Le Père des Merveilles : Cf. H. De Sacy, Ḥarírí, ii, 571. ↩︎
37:6 Car … encore lire … choses précieuses, ou trésors. ↩︎
37:7 J’ai observé les étoiles: attendu leur disparition à l’aube. ↩︎
38:1 De fière lignée : Littéralement, dont les grands-pères sont nobles. ↩︎
38:2 … Bonne élevage : Littéralement, dont le bois a été irrigué avec de l’eau pure. ↩︎
38:3 … La foule se disperse: Littéralement, jusqu’à ce que l’autruche s’enfuie. Le manuscrit de Paris a &ale qui donne un meilleur sens. Cf. De Sacy, Ḥarírí, ii, … ‘Il acheva son travail.’ ↩︎
38:4 Ce maqáma manque des lignes de conclusion habituelles de la poésie et se termine très brusquement. ↩︎