‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous raconta : J’ai passé une nuit avec un groupe [1] d’hommes intelligents parmi mes amis. Nous discutions de paroles chastes, et nous n’avions pas encore dit adieu à la conversation que l’on frappa à notre porte. Alors je demandai : « Qui est le visiteur nocturne ? » Il répondit : « L’envoyé de la nuit et son messager. [p. 145] Le vaincu de la faim et son paria, et un exilé dont la bête est maigre et fatiguée, dont la vie est dure, et entre qui et ses deux poussins se trouvent de vastes déserts. Un hôte dont l’ombre est lumière, [2] et dont l’égaré est un pain. Y a-t-il donc parmi vous une armée ? Nous nous hâtâmes d’ouvrir la porte, nous fîmes s’agenouiller son chameau, nous concentrâmes son propos et lui dîmes : « Tu es venu dans ta propre maison, tu es arrivé parmi les tiens et tu entres dans la maison. » Nous lui avons souri, nous l’avons accueilli et lui avons montré son animal errant. Nous l’avons aidé jusqu’à ce qu’il soit rassasié et nous lui avons parlé jusqu’à ce qu’il devienne amical, puis nous lui avons demandé : « Qui est cette étoile qui se lève de son orient, l’ensorceleur avec sa diction ? » Il répondit : « Personne ne connaît le bois comme celui qui mord. [3] Je suis connu populairement sous le nom de Nájim. [4] Je me suis associé au Temps pour pouvoir le tester. J’ai extrait ses essences et trait tous ses mamelles. [5] J’ai éprouvé les gens pour pouvoir les connaître – et je connais le maigre et le gras parmi eux – et l’exil pour pouvoir y goûter. « Aucun pays ne m’a regardé sans que je n’aie arraché un œil [6], et il n’y a pas de réunion d’amis où je n’aie participé. C’est pourquoi on parle de moi à l’Est et on ne me répudie pas à l’Ouest. Il n’y a pas de roi dont je n’aie foulé le tapis, pas de situation sérieuse dont je n’aie pénétré le flanc [7], et pas de guerre n’a cessé sans que je n’aie été envoyé. Le temps m’a éprouvé dans ses deux phases, l’aisance et la détresse, et il m’a rencontré avec ses deux visages, le souriant et le fronçant les sourcils, mais je ne me suis exposé à ses épreuves que sous son propre vêtement. »
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Et si le changement du Temps [8] m’a autrefois blessé,
Et m’a chargé de ses accidents maléfiques avec lesquels il charge,
Cela m’a vraiment apporté de la bienveillance quand il m’a posé
Dans un bon endroit d’où il n’y a pas d’éloignement.
Nous dîmes : « Que tes dents ne soient pas brisées ! » [9] Que toi et ton père êtes excellents ! Le silence n’est interdit qu’à toi et la parole n’est permise qu’à toi. D’où t’es-tu levé et où t’es-tu assis ? Qu’est-ce qui pousse ton désir devant toi et qui pousse ton but devant toi ? » Il dit : « Quant à la terre natale, c’est le Yémen ; quant au besoin, c’est la pluie ; quant au motif, c’est la détresse et la vie amère. » Nous dîmes : « Si seulement tu voulais rester ici, nous partagerions notre vie avec toi et tout le reste. Tu voudrais obtenir de la pluie pour cultiver, et de fortes pluies des étoiles de pluie [10] assez profondes pour boire, sans utiliser la main ou un récipient. » Il dit : « Je ne te préférerai aucun compagnon, car j’ai trouvé ta cour spacieuse, mais ta pluie est de l’eau et l’eau n’étanche pas les assoiffés. » Nous avons donc demandé : « Quelles pluies te rassasieront ? » Il répondit : « La pluie de Khalaf. » Et il écrivit en disant :
« Ô chameau rapide ! Vers le Sijistan ! [11]
Et à l’océan dont les rivages désirent se réparer.
Si tu visites Arjan, [12] tu iras à lui,
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Désirant un et revenant avec une centaine complète,
Et la supériorité de l’Amír sur Ibn al-‘Amíd [13]
C’est comme celui des Quraish [14] sur Bahila ! » [15]
Said ‘Isá ibn Hishám : Alors il sortit et nous lui fîmes nos adieux. Après son départ, nous continuâmes à le souhaiter longtemps, tandis que son absence nous faisait de la peine. Or, un jour nuageux, nous étions assis ensemble comme la chaîne des Pléiades, quand soudain des montures furent conduites, des chevaux de trait amenés, et voilà qu’un homme s’abattit sur nous. Nous demandâmes : « Qui est l’intrus ? » et voici que c’était notre Cheikh, le Nájim, marchant fièrement sous l’apparence de désirs réalisés et dans les basques de la richesse. Nous nous levâmes et, l’embrassant, lui demandâmes : « Qu’y a-t-il derrière toi, ô ‘Iṣám ? » [16] Il répondit : « Des chameaux chargés, des mulets chargés et des sacs fermés. » Et il dit :
« Ô mon maître, [17] quelle est la chose basse que Khalaf ne désapprouve pas ? [18]
Et quelle bonne chose n’y parvient-il pas ?
Les chercheurs de largesses n’entendent aucun mot sauf « Prends-le »,
Et il ne reçoit pas de réponse, sinon par « Donne-le ».
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En vérité, les actes nobles ont révélé leurs beaux visages,
Et il était le grain de beauté sur leurs joues.
Que mon père soit une rançon pour ses qualités qui manifestent la grandeur,
Et pour la main dans les mouvements de laquelle tu vois des bénédictions !
Quiconque les considère comme les bienfaits du siècle, en vérité,
Je suis de ceux qui considèrent l’âge comme l’un de leurs bienfaits.
Said ‘Isá ibn Hishám : Nous avons demandé à Dieu de l’épargner et de nous bénir de sa compagnie. Et le Nájim resta pendant des jours, limitant sa langue à exprimer sa gratitude pour sa [19] bonté, et n’employant sa parole qu’à louer ses jours et à parler de ses dons.
144:4 … Une compagnie : Littéralement, une force militaire, une troupe. ↩︎
145:1 … Dont l’ombre est lumière : Comparez ceci avec … d’ombre oppressante, c’est-à-dire désagréable ou incommode. Cf. Ḥarírí, i. 250. ↩︎
145:2 … Le mordeur : Un Arabe mord un morceau de bois pour tester sa solidité pour faire une flèche ou une lance. ↩︎
145:3 … Le Nájim : Littéralement, l’Étoile montante. ↩︎
145:4 … J’ai trait tous ses mamelles : Freytag, Proverbes arabes, i, 346. Une figure pour avoir expérimenté les variétés de fortune, sa rigueur et son ampleur, en comparaison de celui qui a trait tous les mamelles du chameau, ce qui donne beaucoup et ce qui ne donne pas. ↩︎
145:5 … Arrachait son œil : C’est-à-dire, foulait sa surface. ↩︎
145:6 … Son flanc : Littéralement, son rang. ↩︎
146:1 Et si le changement du Temps : Mètre, tawíl. ↩︎
146:2 Que tes dents (littéralement la bouche) ne soient pas brisées: La phrase utilisée par le Prophète est: … Que Dieu ne te brise pas la bouche. ↩︎
146:3 … Les étoiles de la pluie : pl. de … Le sens littéral de … est le coucher au petit matin de l’une des vingt-huit demeures de la lune, ou … pendant que la constellation opposée, appelée sa … ou veilleur, se levait. Les couchers auroraux de ces constellations servaient chez les Arabes à désigner les saisons de pluie, de vent ou de chaleur. Tout comme chez les Grecs et les Latins, le coucher des Hyades ou le lever de Sirius indiquaient des états particuliers du temps. Comme les Arabes, dans leurs observations des saisons, pensaient principalement à la pluie, qui devait humidifier leurs champs desséchés, le mot … devint équivalent à pluie. Ḥarírí, i, 215. La croyance des Arabes de l’Ignorance selon laquelle la pluie était produite par le coucher des étoiles fut découragée par les enseignants musulmans ; et d’après une anecdote rapportée de ‘Umar (voir Lane, article…) le Calife semble avoir considéré que l’approvisionnement en pluie était un signe que les péchés étaient pardonnés, basant son opinion sur le Coran, lxxi, 10. Traduction de Chenery de Ḥarírí, i, 443-5. ↩︎
146:4 O chameau rapide ! Vers Sijistan : Mètre, mutaqárib. ↩︎
146:5 Arjan et _Arrajan : une grande ville du Seistan, à soixante parasanges de Shiráz, célèbre pour ses palmiers, ses oliveraies et ses fruits. ↩︎
147:1 Ibn al-‘Amíd (ob. 359 ou 360 A.H.). ↩︎
147:2 Est comme celle des Quraish sur Bahila. C’était vraiment un éloge. Abú’l-Faḍl Muḥammad Ibn al-'Amíd, Wazír de Rukn Ad-Daula, le prince Buwayhid, était l’un des grands hommes du quatrième siècle de l’Hégire. C’était un érudit polyvalent et accompli et on l’appelait un deuxième Jáḥiz. Tha’álibí dit (Yatíma, iii, 3) que l’écriture épistolaire a commencé avec 'Abd al-Ḥamid (mort en 133 A.H.) Kátib, ou secrétaire, de Marwán, le dernier des califes omeyyades, et s’est terminée avec Ibn al-'Amíd. Parmi ceux qui ont étudié l’art épistolaire sous sa direction se trouvait Ṣáḥib Ibn 'Abbád. En tant que Wazír, son autorité et son influence étaient illimitées (Ibn Khallikan, iii, 256 ; on trouvera également dans Der Islám, iii, 323-5, une notice complète du Wazír par HF Ahmedroz). ↩︎
147:3 Bahilâ: La plus basse des tribus arabes. Les Arabes qui étaient membres de cette tribu avaient une répugnance extrême à porter ce nom de famille. Un poète a dit: «Si les mots « toi Bahilite » étaient adressés à un chien, il hurlerait de honte à cause d’une telle appellation. » (Ibn Khallikan, ii, 518.) Pour un autre exemple de cette répugnance, voir Aghâni, vii, 12. ↩︎
147:4 …. Qu’est-ce qui est derrière toi, 'Iṣám: Freytag, Proverbes arabes, ii, 589. On dit qu’il a été utilisé pour la première fois par Ḥárith ibn 'Amr roi de Kindeh et adressé à 'Iṣám, une femme intelligente de Kindeh, qu’il avait envoyée pour apporter une description de la belle et douée fille de 'Owf ibn Muhallam, Al-Shaibání qu’il souhaitait épouser. On dit que ce proverbe a une autre origine, voir Chenery’s Translation of Ḥarírí, i, 519. ↩︎
147:5 O mon maître : Mètre, kámil. ↩︎
147:6 Ne désapprouve pas : Page 195, ligne 7 du Texte, pour … lire …. ↩︎
148:1 Sa bonté_, c’est-à-dire celle de Khalaf. La partie de cette Maqáma où le Nájim se décrit lui-même a beaucoup en commun avec la quatrième Maqáma, pp. 16, 17. ↩︎