‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous a raconté : Il m’arrivait des maqámát et des paroles d’al-Iskanderí [1] qui arrêtaient le fugitif et agitaient le moineau. On nous a récité des poèmes de lui dont le raffinement imprègne l’âme dans toutes ses parties, et dont la subtilité est cachée à l’imagination des sorciers. [2] Et je prie Dieu de l’épargner afin que je puisse le rencontrer et m’émerveiller de son indifférence [3] à sa condition malgré son art [41] et sa fortune. La fortune avait éloigné ses bienfaits [4] en plaçant des barrières entre lui et eux et a continué à le faire jusqu’à ce que j’aie eu par hasard des affaires à Ḥimṣ. [5] J’ai donc aiguisé mon désir d’aller là-bas en compagnie de quelques individus, brillants comme les étoiles de la nuit et comme des tapis de selle collés au dos des chevaux. Nous nous sommes mis en route, éliminant la distance [6] et l’espace, et nous avons continué à traverser les bosses des hautes terres, montés sur ces nobles coursiers, jusqu’à ce qu’ils soient aussi maigres que des bâtons de marche et courbés comme des arcs. Maintenant, nous étions destinés à traverser une vallée au pied d’une montagne couverte de bosquets d’ala et de tamaris qui ressemblaient à des jeunes filles avec leurs tresses flottantes et leurs boucles pendantes. [7] La chaleur ardente de midi nous a poussés à chercher là un endroit abrité et une sieste de midi. Nous avions attaché nos chevaux et nous nous étions arrangés pour dormir avec les dormeurs, lorsque tout à coup le hennissement des chevaux nous a fait sursauter. Et je regardai vers mon coursier et voici qu’il avait dressé ses oreilles, il regardait fixement, rongeant les brins de la corde avec ses lèvres et rayant la surface du sol avec ses sabots. Alors les chevaux trépignèrent, [8] s’énervèrent, brisèrent les cordes et se dirigèrent vers les montagnes. Chacun de nous se précipita vers ses armes quand voici ! un lion, dans l’habit [9] du destin, sortit de sa tanière, avec la peau gonflée, [10] montrant les dents, avec un œil plein d’arrogance, un nez gonflé d’orgueil et une poitrine d’où le courage [11] ne quittait jamais et où la terreur n’habitait jamais. Nous dîmes : « C’est une affaire sérieuse et une affaire angoissante. » Un jeune homme s’avança à sa rencontre parmi les impétueux du groupe, [p. 42] « De peau fauve [12] de la famille qui comprend la noblesse des Arabes,
Qui remplit son seau jusqu’au nœud de la corde qui attache le milieu des barres transversales,
Le jeune homme se leva et lui frappa le ventre jusqu’à ce qu’il s’écroule de terreur. Le lion traversa alors le lieu de sa chute en direction de ceux qui étaient avec lui. La mort appela alors son compagnon de la même manière. Il avança, mais la terreur lui lia les mains, il tomba à terre et le lion s’accroupit sur sa poitrine. Mais je jetai mon turban sur lui et détournai sa bouche, empêchant ainsi l’effusion de sang du jeune homme. Alors le jeune homme se leva et lui frappa le ventre jusqu’à ce qu’il s’effondre de peur et que le lion meure de ses blessures au ventre. Nous partîmes alors à la poursuite des chevaux, trouvâmes ceux qui s’étaient arrêtés, abandonnâmes ceux qui s’étaient enfuis et retournâmes vers l’ami mort pour accomplir les derniers sacrements ! « Quand nous avons versé la terre sur notre défunt compagnon de voyage, nous étions affligés, oui, et quelle heure de chagrin ce fut. » [13]
Puis nous nous tournâmes de nouveau vers le désert et y entrâmes. Nous continuâmes notre route jusqu’à ce que le sac de provisions se rétrécisse et que les provisions soient presque épuisées. Nous ne pouvions ni avancer ni reculer, et nous redoutions les deux tueurs, la [43] soif et la faim, lorsqu’un cavalier apparut. Nous allâmes vers lui et nous nous dirigâmes dans sa direction. Lorsque nous l’eûmes atteint, il descendit de son noble destrier, [14] baisa le sol [15] et se prosterna. [16] Il vint alors vers moi, à l’exclusion de la compagnie, baisa mon étrier et chercha refuge à mes côtés. Je vis et voici ! un visage qui brillait comme l’éclat du nuage de pluie, et une belle stature,
« Lorsque l’œil du spectateur monte [17] jusqu’à sa tête et descend jusqu’à ses pieds,
Il est incapable de saisir toutes ses beautés.
une joue sur laquelle le duvet était apparu et une moustache qui venait de pousser ; un avant-bras rebondi, un corps souple et mince. [18] Son origine était turque [19] et son costume royal. [20] Nous disions : « Peurs ton père ! » [21] Que t’est-il arrivé ?
Il répondit : « Je suis le serviteur d’un roi qui a tenté de me tuer, et c’est pourquoi je me suis enfui, je ne savais où, comme vous me voyez maintenant. » Son apparence témoignait de la vérité de sa déclaration. Alors il dit : « Aujourd’hui, je suis ton serviteur et ce qui est à moi est à toi ! » Je dis : « Bonne nouvelle pour nous deux. Ton voyage t’a conduit dans une cour spacieuse et dans de nouveaux délices. » La compagnie me félicita, et [44] il commença à regarder et ses regards nous frappèrent ; il commença à parler et ses paroles nous fascinèrent. Il dit : « Ô maîtres ! au pied de cette montagne il y a une source et vous êtes entrés dans un désert sans eau, [22] alors prenez de l’eau de là. » Nous tournâmes donc dans la direction qu’il indiquait et nous y arrivâmes. La chaleur de midi avait fait fondre nos corps et les sauterelles avaient grimpé aux arbres. [23] Il dit : « Ne veux-tu pas faire la sieste de midi sous cet ombrage spacieux et près de cette eau fraîche ? » Nous répondîmes : « Comme tu veux. » Il descendit alors de son cheval, défit sa ceinture, ôta sa tunique [24] de sorte que rien ne le cachait à nos yeux, sauf un léger sous-vêtement qui ne faisait que dévoiler son corps. Nous ne doutions pas qu’il ne se soit querellé avec les anges tutélaires, [25] échappé aux gardes célestes et fui le gardien du Paradis. Il se dirigea vers les selles et les enleva, vers les chevaux et les nourrit, [26] vers les lieux de repos et les aspergea d’eau. La perception des hommes était déconcertée à son égard, et leurs yeux étaient fixés sur lui. Alors je dis : « Ô jeune homme, comme tu es courtois dans ton service et comme tu es généralement utile ! Malheur donc à celui que tu as abandonné, et bienheureux celui avec qui tu es devenu ami ! Comment est-il possible de remercier Dieu pour sa faveur à travers toi ? » Il dit : « Ce que tu verras bientôt de moi sera encore plus grand. Est-ce que mon activité dans le service et ma beauté générale te plaisent ? Et si tu me voyais en compagnie, montrant une partie de mon talent ? Cela augmenterait ton admiration [27] pour moi. » Nous avons dit : « Allez ! » Alors il prit un de nos arcs, le tendit, tendit la corde, l’introduisit dans l’encoche et le lança vers le ciel, puis [45] suivit d’un autre et le fendit dans l’air. Puis il dit : « Je vais te montrer un autre tour. » Il se dirigea alors vers mon carquois et le saisit, alla vers mon cheval et le monta, et tira sur l’un des nôtres une flèche qu’il lui planta dans la poitrine, puis une seconde qu’il lui transperça le dos. Je m’écriai : « Sirrah ! « Que fais-tu ? » répondit-il. « Tais-toi, scélérat ! Par le ciel, chacun de vous liera les mains de son compagnon, ou je ferai en sorte que sa salive l’étouffe. » Nov, nos chevaux attachés, nos selles enlevées, nos bras hors de notre portée, monta à cheval et nous à pied, son arc à la main prêt à nous tirer dans le dos, ou à nous percer le ventre et la poitrine, nous ne savions que faire. Mais, quand nous vîmes son sérieux, nous saisimes la courroie et nous nous liâmes les uns les autres. Je restai seul sans personne pour me lier les mains. Alors il me dit : « Déshabille-toi ! » [28] et je me déshabillai. Puis il descendit de cheval et se mit à nous gifler chacun, l’un après l’autre, et à nous ôter ses vêtements, et enfin il vint à moi. Maintenant, j’avais une paire de bottes neuves et alors il me dit : « Que ta mère périsse ! « Enlève-les », répondis-je. « J’ai mis ces bottes quand la peau était à vif et, par conséquent, je ne peux pas les enlever. » Il dit : « Je vais les enlever. » Alors il s’approcha de moi pour les enlever, et j’étendis la main pour saisir un couteau que j’avais caché dans une de mes bottes pendant qu’il était occupé à enlever l’autre. Je lui enfonçai le couteau dans le ventre avec une telle force, que je le fis apparaître derrière son dos, et il ne poussa qu’un cri [29] puis mordit la poussière. [30] Alors je me levai, j’allai vers mes compagnons et détachai leurs mains. Et nous partagâmes alors le butin [31] obtenu des deux morts. Nous trouvâmes notre ami ayant rendu l’âme et nous l’enterrassons. [32] Puis nous continuâmes notre route et arrivâmes à Ḥimṣ après cinq nuits de voyage. Lorsque nous arrivâmes à un espace ouvert du marché, nous vîmes un homme avec un portefeuille et une petite canne à la main, debout devant son fils et sa petite fille, et il disait :
[p. 46]
« Que Dieu bénisse celui qui remplit mon portefeuille [33] de ses généreux dons,
Que Dieu bénisse celui qui est ému de pitié pour Sa’id et Fatimah,
En vérité, il sera ton serviteur et elle ta servante.
Said ‘Isá ibn Hishám : Cet homme est sûrement al-Iskanderí dont j’ai entendu parler, et au sujet duquel j’ai posé des questions ; et voilà que c’était lui ! [34] Alors je m’approchai doucement de lui et dis : « Commande ce qui est à toi. » Il répondit : « Un dirhem. » Je dis :
« Tu peux avoir un dirhem [35] multiplié par son équivalent
Aussi longtemps que je vivrai.
Alors fais ton compte et demande
Afin que je puisse donner ce qui est demandé.
Et je lui dis : « Un dinar en deux, en trois, en quatre, en cinq, jusqu’à ce que j’atteigne vingt. » Alors je dis : « Combien en fais-tu ? » Il répondit : « Vingt pains. » [36] Alors j’ordonnai qu’on lui donne cette somme et dis : « Rien ne sert sans l’aide de Dieu [37] et il n’y a pas de moyen contre le malheur. »
« En vérité, Yemák a (par sa mort) laissé dans mes entrailles une affection.
Pour chaque immigrant d’origine turque », Mutanabbí, p. 467.
40:4 Le Maqámát d’al-Iskanderí. Le premier exemple de l’utilisation du mot Maqámát par l’auteur. ↩︎
40:5 … Sorciers : pl. de … Héb. כּהֵן prêtre au sens dégradé. A l’époque du Prophète, ce mot signifiait diseur de bonne aventure, interprète de rêves, etc. Voir Coran, lii, 29 et lxix, 42. C’est un mot dont l’origine n’est pas connue. ↩︎
40:6 Son indifférence, etc.: Littéralement, l’assimilation de sa résolution à son état. ↩︎
41:1 Ses avantages : littéralement, ses affaires, ou ses affaires. ↩︎
41:2 Ḥiṃs (Emessa): Cité bien connue située à mi-chemin entre Damas et Alep. Les habitants de cette ville furent les plus fervents adversaires d’Alí dans l’armée de Mu’awiya lors de la bataille de Siffín (657 ap. J.-C.). Yaqút, ii, 334. ↩︎
41:3 Éliminer sa distance : piller littéralement sa distance. ↩︎
41:4 … Les boucles et les tresses : … sont censées appartenir aux femmes et … aux hommes. ↩︎
41:5 Stampeded: Littéralement, est devenu agité. ↩︎
41:6 … garb : appliqué à un vêtement lorsqu’il est fourré, un type de vêtement bien connu pour la préservation du froid. ↩︎
41:7 Avec la peau gonflée : Littéralement, gonflé dans sa peau. ↩︎
41:8 … courage : Littéralement, le cœur. ↩︎
42:1 Fauve de peau, etc. : Mètre, ramal.
…
« Et je suis le fauve : et qui me connaît ?
Le fauve de peau (de race pure) de la famille qui comprend la noblesse des Arabes.
…
« Celui qui lutte pour la supériorité (littéralement rivalise avec moi pour remplir des seaux) avec moi, lutte avec celui qui possède la gloire.
Qui remplit le seau jusqu’à l’attache de la corde attachée au milieu de ses traverses.
Ces vers sont d’al-Faḍl Ibn 'Abbás al-Lahabí, Aghání, xiv, 171. Ce poète était contemporain de Farazdaq (m. 170), Aghání, xv, 2-11. ↩︎
42:3 Oui et quelle heure de chagrin ce fut ! Mètre, ṭawíl. Cf. la ligne de Ka’ah, Ḥamasah (Freytag), p. 95, ligne 3. ↩︎
43:1 … Son noble destrier : L’adjectif est placé avant au lieu d’après le nom. ↩︎
43:2 Embra la terre : Littéralement, il gravait la terre avec ses lèvres. ↩︎
43:3 Prosterné lui-même : Littéralement, il a rencontré le sol avec ses deux mains. ↩︎
43:4 … Quand l’œil monte : Citation d’Imral-Qais, p. 25, ligne 69. Édition de Lyall du Mu’allaqát. Le texte est mal vocalisé : pour … lire …. ↩︎
43:5 … Un corps souple et mince : littéralement, une branche bien irriguée, une branche coupée et donc une tige. ↩︎
43:6 Son origine était turque : Probablement une allusion à la ligne.
… ↩︎
43:7 … angélique, devrait être vocalisé … royal. ↩︎
43:8 Péris ton père : Littéralement, tu n’as pas de père. Terme d’imprécation ludique exprimant la surprise ou l’admiration. Al-Hamadhání ne pense pas que cette phrase soit indigne d’être éclaircie. Il explique : « Les Arabes disent que tu n’as pas de père concernant tout ce qui est parfait, mais cela dépend de qui le dit. » (Lettres, p. 249.) Pour l’explication de l’utilisation de l’accusatif dans cette expression et d’autres similaires, voir Wright’s Arabic Grammar, ii, 94-5. ↩︎
44:1 Désert sans eau : Littéralement, un désert aveugle, sans … œil, ni source. ↩︎
44:2 Les sauterelles avaient monté sur les arbres : Elles étaient rendues actives par la chaleur intense. ↩︎
44:3 … une tunique, un gilet ou une veste, arabisé du persan … ↩︎
44:4 … anges tutélaires : Probablement … une espèce d’anges qui étaient les gardiens de la terre et des jardins du Paradis (Voir Lane, art : … p. 462). ↩︎
44:5 … Les a nourris : littéralement, les a nourris. ↩︎
44:6 … admiration: de … le péricarde et puis l’amour qui est censé déchirer le péricarde. ↩︎
45:1 Strip: Littéralement, sors ta peau de tes vêtements. ↩︎
45:2 Il ne poussa qu’un seul cri : littéralement, il ouvrit seulement la bouche. ↩︎
45:3 Il a mordu la poussière : Littéralement, mettre la pierre dans sa bouche. Autre lecture… Je l’ai fait taire. Cf. Freytag, Proverbes arabes, i, 120. ↩︎
45:4 Nous avons partagé le butin : une manière plutôt indigne de disposer des biens de leur ami décédé. ↩︎
45:5 Nous l’avons enterré : Littéralement, il est allé à son tombeau. ↩︎
46:1 Que Dieu bénisse celui qui remplit mes portefeuilles, etc. Mètre, khafif. ↩︎
46:2 … ‘Et voici que c’était lui !’ Il y eut une controverse entre les écoles de Baṣra et de Kúfa quant à savoir si cette phrase ou … Et voici que c’était lui\— était correcte. Les Baṣriens soutenaient que la première, celle utilisée par al-Hamadhání, était correcte. Cette phrase rappellerait la dispute lancée par Sibawayh, le plus grand des grammairiens, au temps du calife Harín al-Rashid (Yaqút, Dictionnaire des savants, vi, 83). Cf. l’anglais, It is me, et le français, c’est moi. ↩︎
46:3 Tu peux avoir un dirhem. Mètre, kámil. ↩︎
46:4 Vingt pains : arithmétique très défectueuse qui évoque une réprimande bien méritée de 'Ísá ibn Hishám dans les phrases finales du Maqáma. ↩︎
46:5 … Sans l’aide de Dieu : Voir Coran, iii, 154. ↩︎