‘ÍSÁ IBN HISHÁM m’a raconté et dit : « Tandis que nous étions à Jurján dans une de nos réunions en train de discuter, il y avait avec nous [47] ce savant en chef et narrateur des Arabes, ‘Ismat ibn Badr, le Fazarite’. [2] La conversation nous a finalement amené à discuter de ceux qui pardonnent à leurs ennemis par gentillesse et de ceux qui leur pardonnent par mépris, jusqu’à ce que nous mentionnions As-Ṣalatan, al-‘Abdí, [3] et al-Ba‘ith, [4] et le mépris de Jarír et al-Farazdaq à leur égard.
'Ismat a dit : « Je vais te raconter ce que mes yeux ont vu et non ce que j’ai appris d’un autre. Alors que je voyageais dans le pays de Tamím, monté sur un noble chameau et menant une monture de rechange, apparut devant moi un cavalier sur un chameau brun, écumant abondamment à la bouche. Il continua d’avancer vers moi jusqu’à ce que nos corps se heurtent, [5] lorsqu’il cria : « Que la paix soit avec toi ! » Je dis : « Et sur toi la paix, la miséricorde et la bénédiction de Dieu ! Qui est le cavalier à la voix forte qui salue avec la salutation de l’Islam ? » Il répondit : « Je suis Ghailan, ibn 'Uqba. » Alors j’ai dit : « Bienvenue à lui de belle renommée et de lignée célèbre dont la diction est bien connue. » Il répondit : « Que ta vallée soit large et tes associés puissants ! Mais qui es-tu ? » Je répondis : « Je suis 'Ismat ibn Badr, le Fazarite. » Il dit : « Que Dieu prolonge ta vie ! Quel excellent ami, associé et compagnon ! » Puis nous voyagâmes ensemble. Lorsque nous eûmes voyagé jusqu’à midi, il dit : « Ismat, ne devrions-nous pas faire une sieste, car le soleil a fondu notre cerveau ? » Je dis : « Comme tu veux. » Nous nous dirigâmes alors vers [48] quelques āla comme si elles étaient des jeunes filles [6] aux cheveux détachés, étalant leurs charmes, et vers un groupe de tamaris en face d’elles. Puis nous desserrâmes nos selles et mangâmes quelque chose. Or Dhú’l-Rumma était un petit mangeur. Après cela, nous priâmes. Puis chacun de nous se rendit à l’ombre d’un tamaris, dans l’intention de faire la sieste de midi. Dhú’l-Rumma s’allongea et je désirai faire comme lui. Je me couchai donc sur le dos, mais aucun sommeil ne prit possession de mes yeux. Je regardai et vis à une courte distance un chameau à grosse bosse, blasé par le soleil, avec sa selle renversée, et voici qu’un homme comme un mercenaire ou un esclave se tenait debout pour la surveiller. Mais je me détournai d’eux, car qu’avais-je à faire de m’enquérir de ce qui ne me concernait pas ? Dhú’l-Rumma dormit un peu [7] puis se réveilla. Or, c’était à l’époque où il satirisait la tribu de Murrí, alors il éleva la voix [8] et récita en disant :
« Les traces de Maiya [9] se trouvent-elles sur la surface effacée de la dune de sable
Que la tempête a constamment recouvert ?
Il ne reste plus qu’un piquet de tente cabossé,
Et une cheminée sans preneur de feu,
Une citerne dont les deux côtés sont brisés,
[p. 49]
Et un rassemblement dont les traces ont été enlevées et effacées.
Mais je m’en souviens avec ses habitants,
Maiya et l’amie sociable.
Mes relations avec Maiya étaient comme celles de quelqu’un qui fait peur,
Les gazelles quand elles lui apparaissent à l’aube ; [10]
Quand je venais vers elle, un observateur au visage boudeur, son gardien et son gardien, se détournait de moi.
Bientôt parviendra à Imr al-Qais [11] un poème largement diffusé
Quel voyageur et casanier chantera.
Ne vois-tu pas qu’Imr al-Qais
S’accroche à sa plainte chronique ?
C’est un peuple insensible à la satire,
Mais la pierre sèche peut-elle ressentir la douleur ? [12]
En éminence ils n’ont aucun chevalier, et à la guerre aucun cavalier.
Ils sont barbouillés et saturés dans les citernes du reproche,
Comme la peau est saturée par le tanneur.
Quand les hommes s’attendent à ce qu’ils accomplissent des actes généreux,
Baissés et lourds sont leurs yeux.
Les nobles détestent épouser leurs femmes,
Et donc toutes leurs célibataires [13] « restent vieilles filles ».
[p. 50]
Quand il arriva à ce verset, le dormeur se réveilla, se mit à se frotter les yeux et à dire : « Est-ce que le petit Dhú al-Rumma [14] me prive de sommeil avec un poème incorrect [15] et impopulaire ? » Je dis : « Ô Ghailan, qui est-ce ? » Il répondit : « al-Farazdaq ? » Alors Dhú al-Rumma s’échauffa et dit :
« Quant aux hommes vils de Majásh‘a [16]
Jamais le nuage d’orage n’a arrosé leurs pâturages.
Bientôt, ils seront enchaînés et empêchés de se lancer dans de nobles entreprises,
Et le restricteur les restreindra !
Alors j’ai dit : « Maintenant, il va s’étouffer, s’agiter et se moquer complètement de lui et de sa tribu. »
Mais par le ciel ! al-Farazdaq dit seulement : « Fi de toi, petit Dhú al-Rumma, tu t’opposes à quelqu’un comme moi avec des vers volés ? » [17] Puis il se rendormit, comme s’il n’avait rien entendu. Dhú al-Rumma s’en alla et je partis avec lui, et en vérité j’ai perçu en lui de l’humiliation jusqu’à ce que nous nous séparions.
46:6 Abú’l-Ḥaríth Ghailan Ibn ‘Uqba Ibn Buhaish, généralement connu sous le nom de Dhú’l-Rumma (le vieux cordier) est considéré comme le dernier des poètes Bedawín. Il mourut en 117 A.H. (735-6 apr. J.-C.) et était donc contemporain de Jarír et de Farazdaq, voir Ibn Khallikan, ii, 447, et Ibn Qutaiba, Kitáb al-Sh‘ir wa’l-Shu‘ará (De Geoje), p. 333. (Les Presses universitaires de Cambridge publient pour la première fois une édition de l’œuvre de ce poète. L’éditeur est M. C. H. H. Macartney du Clare College, Cambridge.) ↩︎
47:1 ‘Ismat ibn Badr le Fazárite : Je pense que ce personnage peut être identifié à Abú ‘Abdu’lláh Marwán ibn Mu‘awiyah ibn Badr al-Fazarí (mort en 193 ou 194 A.H.). Parmi ceux qui ont appris des traditions de lui se trouvait Ibn Ḥanbal (164-241 A.H.) Ansab d’al-Sam‘áni, p. 427, Gibb Memorial Series. ↩︎
47:2 As-Ṣalatan, al-‘Abdí était un contemporain d’al-Farazdaq et de Jarír comme le montre l’incident suivant : « Quand as-Salatan, al-‘Abdí a déclaré al-Farazdaq supérieur à Jarír en point de lignée, et Jarír supérieur à al-Farazdaq en tant que poète, Jarír a rapporté ce proverbe :
…
« Quand la sagesse de Dieu était-elle dans les cultivateurs et les possesseurs de palmiers ? » (Freytag, Proverbe arabe, ii, 628 ; Lane, p. 2602 art…) Le point de ceci réside dans le fait que la région de la tribu d’as-Ṣalatan abondait en palmiers. ↩︎
47:3 Al-Ba’ith :_ contemporain de Jarír. Il fut l’un de ceux qui eurent la témérité de satiriser la tribu du grand poète, les Kulayb. Aghání, vii, 41. ↩︎
47:4 Corps entrés en collision : littéralement, forme avec forme. ↩︎
48:1 Comme si elles étaient des jeunes filles: Cf. Texte, p. 26. ↩︎
48:2 … Un peu : Littéralement, pénurie de lait d’une chamelle et appliqué ensuite au manque de sommeil dans ce dernier sens il est utilisé par al-Farazdaq, … Leur sommeil est peu (Lane, p. 2239, art…) Cf. Proverbes arabes, i, 613 : … Son flux de lait abondant a précédé sa pénurie de celui-ci. ↩︎
48:3 … Il éleva la voix : Peut-être lié à l’origine à l’hébreu קרר. Pour des exemples similaires de transposition, cf. arabe … = hébreu רקע; arabe … = hébreu קרע. ↩︎
48:4 A l’époque où il satirisa la tribu de Murrí: L’occasion de cette satire amère fut le traitement inhospitalier de Dhú’l-Rumma par Hishám al-Murr’í au village de Mar’at. Voir Aghání, vii, 57.
Où trouve-t-on les traces de Maiya. Mètre, mutaqárib. Maiya\—La bien-aimée de Dhú’l-Rumma dont il a souvent vanté la beauté dans ses poèmes, voir Ibn Qutaibas Sh‘ir wa Shu‘ará, p. 334. M. Macartney, l’éditeur du Diwán de Dhú’l-Rumma, à la courtoisie duquel je suis redevable de beaucoup d’informations utiles concernant ce poète, dit : « Bien que ces vers mis dans la bouche de Dhú’l-Rumma n’existent pas dans les manuscrits du Diwán, ils ont néanmoins une résonance authentique et les idées ont leurs correspondances dans le Diwán. » ↩︎
49:1 … dawn: Littéralement, l’éternuement; également une gazelle venant devant soi. ↩︎
49:2 Bientôt arrivera Imr al-Qais: Ceci se réfère à la tribu d’Imr al-Qais, une branche des Tamím descendant d’Imr al-Qais ibn Sa’ad ibn Manát ibn Tamím, et non au poète de la tribu de Kindeh.
Cette Qaṣída commence par le prologue érotique conventionnel sur le campement abandonné de la bien-aimée, prélude qui fut condamné au temps même du poète. On raconte que, tandis que Dhú al-Rumma récitait ses vers sur le marché aux chameaux, il dit à al-Farazdaq qui s’arrêta pour l’écouter : « Eh bien, Abú Firás ! que penses-tu de ce que tu as entendu ? » Al-Farazdaq répondit : « Ce que tu as dit est vraiment admirable. » « Pourquoi alors », dit l’autre, « mon nom n’est-il pas mentionné avec ceux des poètes de premier ordre ? » « Tu as été empêché d’atteindre leur éminence », répondit al-Farazdaq « par tes lamentations sur les tas de fumier et tes descriptions des excréments des bovins et de leurs enclos. » Ibn Khallikan, ii, 447. ↩︎
49:3 La pierre sèche peut-elle ressentir la douleur : Un jeu de mots plutôt pauvre sur … une pierre et … le nom de l’ancêtre tribal. ↩︎
49:4 … Célibataires : pl. de … une célibataire ou une veuve. Une autre lecture … leurs femmes. ↩︎
50:1 Petit Dhú al-Rumma : Le diminutif est utilisé pour exprimer le mépris. ↩︎
50:2 … incorrect: Littéralement tordu, de … lit., une lance redressée ou rendue régulière. ↩︎
50:3 Et les hommes vils de Majásh’a: Metre mutaqárib; Majásh’a: Le nom d’un des ancêtres d’al-Farazdaq. ↩︎
50 : 4 Versets volés. Ce n’était pas une diffamation : Dhú al-Rumma était connu pour s’approprier les versets des autres, Voir Ibn Qutaiba, Sh’ir wa’l Shu’ará, p. 338.
Ce n’est pas la seule réprimande adressée à Dhúal-Rumma par al-Farazdaq. Voir note sur la condamnation du prélude conventionnel, p. 49, supra. ↩︎