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AU NOM DE DIEU, LE TOUT MISÉRICORDIEUX, LE TRÈS COMPASSIONNANT.
De la flûte de roseau[1], entendez l’histoire qu’elle raconte ;
Quelle plainte il fait des maux de l’absence :
« Depuis que je suis sorti du lit de la jungle, ils m’ont arraché,
Les yeux des hommes et des femmes ont pleuré à chaudes larmes.
Je déchire et déchire ma poitrine en deux,
Pour donner, par des soupirs, évacuer ma douleur.
Qui est de sa maison arrachée au loin,
Désire revenir un jour futur.
Je sanglote et soupire à chaque retraite,
5 Soit la joie ou le chagrin pour lesquels les hommes se rencontrent.
Ils s’imaginent qu’ils peuvent lire dans mon cœur ;
Je ne partage les secrets du deuil avec personne.
Mes affres et mes gémissements ne forment qu’une seule chaîne,
Les yeux et les oreilles des hommes ne captent pas leur train.
Bien que l’âme et le corps soient comme un,
Aucun homme n’a gagné la vue de son âme.
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Une flamme est le gémissement de la flûte; pas un souffle,
Cette flamme qui ne ressent rien, la condamne à la mort.
La flamme de l’amour, c’est elle qui fait vibrer la flûte,
10 Le vin fermente, l’amour ; sa langue n’est pas muette.
La flûte de l’amant absent n’est pas un jouet ;
Ses trilles proclament sa douleur, sa joie.
Ou fléau, ou remède, la flûte est toujours;
Content, se plaignant, comme vous voulez.
Il raconte son histoire de chagrin brûlant ;
Raconte comment l’amour est fou, en bref.
L’amant connaît mieux les affres de l’amant ;
Comme l’oreille reçoit la plainte de la langue qui nous fait part de ses malheurs.
À travers le chagrin, son jour n’est qu’une aube ;
15 Chaque jour de chagrin, le pion du tourment.
Mes jours sont perdus; ne fais pas attention,
Tu es toujours là, ma joie, vraiment.
Des mers entières, aucun poisson ne se noiera jamais ;
La journée d’un pauvre homme semble se résumer à un froncement de sourcils.
Quelle botte de conseil pour un imbécile ?
Ne gaspille pas tes paroles, laisse ta colère se calmer.
Débarrassez-vous des liens de la luxure et restez libre de tout.
Ne soyez pas esclave pour le gain, ne soyez pas l’esclave de la cupidité.
Verser des rivières dans une petite branchie,
20 Il ne peut que contenir son petit contenu.
L’œil est un vase qui n’est jamais satisfait ;
L’huître est remplie avant que la perle ne soit envoyée.[2]
Le cœur qui saigne sous le coup de l’amour,
Du vice de la cupidité est tenu à l’écart.
Alors viens, mon amour, en invité bienvenu ;
Médecin, viens apaiser ma poitrine.
Tu as guéri mon orgueil et ma honte;
L’habileté du vieux Galen n’était rien pour toi
Par l’amour, cette structure terrestre s’élève
25 Au paradis ; une colline, pour sauter fait semblant.
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En transe d’amour, le mont Sinaï tremble,
À la descente de Dieu ; « et Moïse tremble. »[3]
J’ai trouvé l’ami que j’adore,
J’émulerais la douce note de la flûte.
Mais de mon amour, tandis qu’arraché,
Je dis seulement des mots dénués de sens.
Le printemps est fini, la rose est partie ;
La chanson de Philomèle est terminée.
Son amour était tout, lui-même, une note.
30 Son amour, vivant ; lui-même, grain de poussière mort.
Qui ne ressent pas la flamme vivifiante de l’amour,
C’est comme l’oiseau dont l’aile est boiteuse.
Puis-je être calme, facile, heureux,
Quand mon plaisir est parti ?Non !Triste.
L’amour ordonne à ma plainte de briser tous les liens.
Mon cœur se briserait, avec le silence maudit.
Un miroir donne un meilleur portrait lorsqu’il est brillant ;
Encrassé par la rouille, son éclat devient faible.
Ensuite, essuyez cet alliage sale ;
35 Il sera brillant, ainsi, reflétera chaque rayon.
Tu as entendu ce que la flûte peut raconter;
Tel est mon cas, trop bien chanté.
m1:1 La flûte de roseau est l’instrument de musique sacré des derviches Mevlevī, communément appelés les derviches danseurs, à cause de leur valse religieuse particulière au son de la flûte de roseau, etc., avec les bras étendus et la tête inclinée, dans leurs services publics spéciaux de commémoration. Ils aiment la flûte de roseau comme symbole d’un amant absent et soupirant. ↩︎
m2:1 Il existe une notion poétique orientale selon laquelle les perles se forment dans les huîtres à une certaine saison à partir des gouttes de rosée ou de pluie qui tombent dans celles-ci. ↩︎
m3:1 Coran vii. 139, où les mots sont : « Et Moïse tomba, évanoui. » ↩︎