VII. Nous devons nous méfier du platonisme | Page de titre | IX. Les trois états dans l'éducation de soi |
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Sur la véritable nature de la poésie et la réforme de la littérature islamique.
C’est la marque du désir qui fait chauffer le sang de l’homme,
C’est par la lampe du désir que cette poussière est allumée.
676 Par le désir, la coupe de la vie est remplie de vin,
Pour que la vie se lève d’un bond et continue sa route d’un pas rapide.
La vie est occupée uniquement par la conquête,
Et le seul charme de la conquête est le désir.
La vie est le chasseur et le désir le piège,
680 Le Désir est le message de l’Amour à la Beauté.
Pourquoi le désir grandit-il continuellement ?
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Les basses et les aigus de la chanson de la vie ?
Tout ce qui est bon, juste et beau
Il est notre guide dans le désert de la recherche.
685 Son image s’imprime dans ton cœur,
Cela crée des désirs dans ton cœur.
La beauté est la créatrice du désir printanier,
Le désir se nourrit de l’étalage de la Beauté.
C’est dans le sein du poète que la Beauté se dévoile,
690 C’est de son Sinaï que surgissent les rayons de la Beauté.
Par son regard la belle devient plus belle,
Grâce à ses enchantements, la nature est davantage aimée.
De ses lèvres le rossignol a appris son chant,
Et son rouge a illuminé la joue de la rose.
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695 C’est sa passion qui brûle au cœur du papillon,
C’est lui qui donne des couleurs éclatantes aux histoires d’amour.
La mer et la terre sont cachées dans son eau et son argile, [1]
Cent nouveaux mondes sont cachés dans son cœur.
Avant que les tulipes fleurissent dans son cerveau
700 On n’entendit aucune note de joie ou de chagrin.
Sa musique respire sur nous un merveilleux enchantement,
Sa plume dessine une montagne avec un seul cheveu.
Ses pensées demeurent avec la lune et les étoiles,
Il crée la beauté dans ce qui est laid et étrange.
705 Il est un Khizr, et au milieu de ses ténèbres se trouve la Fontaine de Vie : [2]
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Toutes les choses qui existent sont rendues plus vivantes par ses larmes.
Nous y allons lourdement, comme des novices bruts,
Trébuchant sur le chemin vers le but.
Son rossignol a joué un air
710 Et a ourdi un complot pour nous séduire,
Qu’il nous conduise au paradis de la vie,
Et que l’arc de la vie puisse devenir un cercle complet.
Les caravanes défilent au son de sa cloche
Et suis la voix de sa flûte;
715 Mais quand son zéphyr souffle dans nos jardins,
Nous restons flânant parmi les tulipes et les roses.
Sa sorcellerie fait que la vie se développe
Et devenez impatient et interrogez-vous.
Il invite le monde entier à sa table ;
720 Il prodigue son feu comme s’il était bon marché comme l’air.
Malheur à un peuple qui se résigne à la mort,
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Et quel poète se détourne de la joie de vivre !
Son miroir montre la beauté comme la laideur,
Son miel laisse cent piqûres dans le cœur.
725 Son baiser prive la rose de sa fraîcheur,
Il enlève au cœur du rossignol la joie de voler.
Tes tendons sont détendus par son opium,
Tu paies son chant de ta vie.
Il prive le cyprès du plaisir de sa beauté,
730 Son souffle froid fait du faucon mâle un faisan.
C’est un poisson, et depuis la poitrine jusqu’en haut c’est un homme,
Comme les sirènes dans l’océan.
Avec sa chanson il enchante le pilote
Et jette le navire au fond de la mer.
735 Ses mélodies volent la fermeté de ton cœur,
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Sa magie te persuade que la mort est la vie.
Il enlève à ton âme le désir d’exister,
Il extrait de ta mine le rubis rougissant.
Il habille le gain avec le vêtement de la perte,
740 Il rend tout ce qui est louable blâmable.
Il te plonge dans une mer de pensées,
Il te rend étranger à l’action.
Il est malade, et par ses paroles notre maladie s’aggrave.
Plus sa coupe tourne, plus ceux qui la boivent sont malades.
745 Il n’y a pas de pluies éclairs en avril,
Son jardin est un mirage de couleurs et de parfums.
Sa beauté n’a rien à voir avec la Vérité,
Il n’y a que des perles imparfaites dans sa mer.
Il trouvait le sommeil plus doux que le réveil :
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750 Notre feu a été éteint par son souffle.
Par le chant de son rossignol le cœur était empoisonné :
Sous son tas de roses se cachait un serpent.
Méfiez-vous de sa carafe et de sa coupe !
Attention à son vin mousseux !
755 Ô toi que son vin a abattu
Et qui regardes dans ton miroir ton aube naissante,
Ô toi dont le cœur a été glacé par ses mélodies,
Tu as bu un poison mortel par l’oreille !
Ton mode de vie est une preuve de ta dégénérescence,
760 Les cordes de ton instrument sont désaccordées.
C’est ce confort choyé qui t’a rendu si misérable,
Une honte pour l’Islam dans le monde entier.
On peut te lier avec la veine d’une rose,
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On peut te blesser avec un zéphyr.
765 L’amour a été confondu par tes gémissements,
Son beau portrait a été sali par ton pinceau.
Tes mauvais traitements ont fait pâlir ses joues,
Ta froideur a ôté l’éclat de son feu.
Il a le cœur brisé par tes maladies de cœur,
770 Et affaibli par tes faiblesses.
Sa coupe est pleine de larmes d’enfant,
Sa maison est meublée de soupirs de détresse. [3]
C’est un ivrogne qui mendie à la porte des tavernes,
Volant des aperçus de beauté à travers les treillis,
775 Malheureux, mélancolique, blessé,
Frappé à mort par le gardien ;
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Dévoré comme un roseau par les chagrins,
Sur ses lèvres, un trésor de plaintes contre le Ciel.
La flatterie et le dépit sont la force de son miroir,
780 L’impuissance de son ancien camarade ;
Un misérable subalterne de basse naissance
Sans valeur, ni espoir, ni objet,
Dont les lamentations ont sucé la moelle de ton âme
Et chasse le doux sommeil des yeux de tes voisins.
785 Hélas pour un amour dont le feu est éteint,
Un amour qui est né dans le Saint
Place et mort dans la maison des idoles !
Oh, si tu as la pièce de la poésie dans ta bourse,
Frottez-le sur la pierre de touche de la Vie !
La pensée claire montre la voie vers l’action,
790 Comme l’éclair précède le tonnerre.
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Il te convient de bien méditer sur la littérature,
Il te faut retourner vers les Arabes :
Tu dois nécessairement donner ton cœur à la Salmá d’Arabie, [4]
Pour que l’aube du Hijaz puisse fleurir
de la nuit du Kurdistan. [5]
795 Tu as cueilli des roses du jardin de Perse
Et vu le printemps de l’Inde et de l’Iran :
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Goûtez maintenant un peu de la chaleur du désert,
Buvez le vieux vin de datte !
Pose ta tête une fois sur sa poitrine brûlante,
800 Abandonne un instant ton corps à son vent brûlant !
Pendant longtemps tu as tourné sur un lit de soie :
Habituez-vous maintenant au coton rugueux !
Depuis des générations tu danses sur des tulipes
Et j’ai baigné ta joue dans la rosée, comme la rose :
805 Jette-toi maintenant sur le sable brûlant
Et plongez dans la fontaine de Zemzem !
Combien de temps continueras-tu à te lamenter comme le rossignol ?
Jusqu’à quand feras-tu ta demeure dans les jardins ?
Ô toi dont le piège propice ferait honneur au Phénix,
810 Construisez un nid sur les hautes montagnes,
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Un nid enfoui dans la foudre et le tonnerre,
Plus élevé que l’aire de l’aigle,
Pour que tu sois apte à la bataille de la vie,
Que ton corps et ton âme brûlent dans le feu de la Vie !
VII. Nous devons nous méfier du platonisme | Page de titre | IX. Les trois états dans l'éducation de soi |
62:1 C’est-à-dire dans son corps. ↩︎
62:2 Khizr, selon la légende, a découvert la Fontaine de Vie dans le Pays des Ténèbres. ↩︎
67:1 Dans ce passage, l’auteur attaque la poésie persane et ourdou si en faveur auprès de ses contemporains. ↩︎
69:1 Les odes arabes commencent généralement par un prélude dans lequel le poète fait mention de sa bien-aimée ; et son nom est souvent Salmá. Ici, « la Salmá d’Arabie » fait référence au Coran et aux idéaux qu’il représente. ↩︎
69:2 On raconte qu’un Kurde ignorant vint trouver des étudiants et les supplia de l’instruire dans les mystères du soufisme. Ils lui dirent qu’il devait attacher une corde au toit de sa maison, puis attacher le bout libre à ses pieds et se suspendre, la tête en bas ; et qu’il devait rester dans cette posture le plus longtemps possible, en récitant continuellement quelques paroles de charabia qu’ils lui enseignaient. Le pauvre homme ne s’aperçut pas qu’on se moquait de lui. Il suivit leurs instructions et passa toute la nuit à répéter les paroles qui lui étaient données. Dieu récompensa sa foi et sa sincérité en lui accordant l’illumination, de sorte qu’il devint un saint et put discourir avec érudition sur les sujets les plus abscons de la théologie mystique. Il avait l’habitude de dire ensuite : « Le soir, j’étais un Kurde, mais le lendemain matin, j’étais un Arabe. » ↩︎