Trente-sixième leçon. Sur les êtres vivants et les choses sans vie | Page de titre | Livre 1, Leçon 1, Chapitre 2 |
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SÛTRAKRI TÂṄGA.
PREMIER LIVRE [^670].
PREMIÈRE CONFÉRENCE, APPELÉE LA DOCTRINE [^671].
PREMIER CHAPITRE.
Il faut savoir ce qui cause l’esclavage de l’âme, et le sachant, il faut l’éliminer [^672].
(Gambûsvämin a demandé à Sudharman) :
Qu’est-ce qui cause l’esclavage (de l’âme) selon Mahâvîra ? et que faut-il savoir pour le supprimer ? (1)
(Sudharman a répondu) :
Celui qui possède même une petite propriété en choses vivantes ou inertes [^673], ou qui consent à ce que d’autres la détiennent, ne sera pas délivré de la misère. (2)
[ p. 236 ]
Si un homme tue des êtres vivants, ou fait en sorte que d’autres hommes les tuent, ou consent à ce qu’ils les tuent, son iniquité ne fera qu’augmenter. (3)
Un pécheur qui fait siens les intérêts de ses proches [1] et de ses compagnons souffrira beaucoup, car le nombre de ceux dont il prend l’intérêt à cœur augmente constamment. (4)
Tout cela, sa richesse et ses proches ne peuvent pas le protéger (de la misère future) ; connaissant (cela) et (la valeur de) la vie, il se débarrassera de Karman. (5)
Certains hommes [2], Sramanas et Brâhmanas, qui ignorent et nient ces vraies paroles [3], adhèrent (à leurs propres principes) et s’adonnent aux plaisirs. (6)
Certains [4] professent (la croyance exclusive dans) les cinq éléments grossiers : la terre, l’eau, le feu, le vent et l’air. (7)
« Ces cinq éléments grossiers (sont les causes originelles des choses), d’eux naît une autre (chose, à savoir âtman) [5] ; car à la dissolution des (cinq éléments) les êtres vivants cessent d’exister. » (8)
[ p. 237 ]
« Et comme la Terre, bien qu’elle ne soit qu’un amas, présente de nombreuses formes, ainsi l’intelligent (principe, à savoir l’âtman) apparaît sous diverses formes comme l’univers [6]. » (9)
Ainsi parlent certains insensés. (Mais comment peuvent-ils expliquer, selon leur théorie, que) l’homme qui s’engage dans des entreprises, et qui a commis un péché, souffrira lui-même une douleur sévère. [7] ? (10)
« Chacun, fou ou sage, possède une âme individuelle. Ces âmes existent (aussi longtemps que le corps), mais après la mort, elles disparaissent ; il n’y a pas d’âmes qui naissent de nouveau. » (11)
« Il n’y a ni vertu ni vice, il n’y a pas de monde au-delà ; à la dissolution du corps, l’individu cesse d’être. » (12)
« Lorsqu’un homme agit ou fait agir un autre, ce n’est pas son âme (âtman) qui agit ou fait agir [8]. » Ainsi proclament-ils hardiment (c’est-à-dire les adeptes de la philosophie Sâṅkhya). (13)
Comment ceux qui tiennent de telles opinions peuvent-ils expliquer la diversité de l’existence dans le monde ? Ils vont de l’obscurité à l’obscurité la plus totale, étant fous et se livrant à des œuvres. (14)
Certains [9] disent qu’il y a cinq éléments et que [ p. 238 ] l’âme est une sixième (substance), mais ils soutiennent que l’âme et le monde (c’est-à-dire les cinq éléments) sont éternels. (15)
« Ces (six substances) ne périssent pas non plus (sans ou avec une cause) ; le non-existant ne vient pas à l’existence, mais toutes choses sont éternelles par leur nature même [10]. » (16)
Certains sots [11] affirment qu’il existe cinq skandhas d’existence momentanée. Ils n’admettent pas que l’âme soit différente ni identique [12] aux éléments, qu’elle soit produite par une cause (c’est-à-dire les éléments), ni qu’elle soit sans cause (c’est-à-dire éternelle). (17)
Les Gânayas [13] disent qu’il y a quatre éléments : la terre, l’eau, le feu et le vent, qui combinés forment le corps (ou l’âme ?). (18)
(Tous ces hérétiques disent) : « Ceux qui habitent dans des maisons, dans des bois ou sur des collines, seront délivrés de toute misère s’ils adoptent notre credo. » (19)
[ p. 239 ]
Mais ceux qui, ignorant la véritable relation des choses et n’étant pas versés dans la vraie Loi, soutiennent les opinions hérétiques ci-dessus ne traversent pas le Déluge de la Vie. (20)
Ils n’atteignent pas la fin du Samsâra, qui, ignorant, etc. (21)
Ceux-là n’atteignent pas la fin de la transmigration, qui, etc. (22)
Ils ne mettent pas fin à la naissance, qui, etc. (23)
Ceux-là ne mettent pas fin à la misère, etc. (24)
Ils ne mettent pas fin à la mort, ceux qui, etc. (25)
Ils éprouveront encore et encore de multiples souffrances dans ce cercle [14] de la terre, qui est plein de mort, de maladie et de vieillesse. (26)
Le plus haut Gina, Mahâvîra le Gñâtriputra, a dit qu’ils connaîtront des renaissances sans nombre, étant placés dans toutes sortes d’existences. (27)
Ainsi je dis.
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[^691] : 239:1 Kakravala.
235:1 Srutaskandha. Son titre sanskrit mentionné par Sîlâṅka est Gâthâshôdasaka, c’est-à-dire le livre dont la seizième leçon est intitulée Gâthâ. Il est mentionné dans l’Uttarâdhyayana XXXI, 13 sous le nom des seize Gâthas ; voir ci-dessus, p. 182. ↩︎
235:2 Samaya. Ce titre ne figure pas dans les manuscrits à la fin de la leçon, mais il est donné par l’auteur du Niryukti (verset 29). Le sujet de cette leçon est traité plus en détail aux §§ 15-33 de la Première Leçon du Deuxième Livre. ↩︎
235:3 Tiuttiggâ. Les commentateurs traduisent ce mot par trôtayêt, mais le véritable original sanskrit est ativartêta, comme le montre la forme atiuttanti dans I, 2, 22. ↩︎
235:4 Les choses vivantes et sans vie telles que nous les comprenons, et non p. 236 comme le font les Gaïnas. L’original dit : kittamanta, akitta vâ, êtres doués d’intellect, et choses sans intellect. Ces dernières sont, selon les notions gaïnas, des êtres vivants gîva ainsi que de la matière inanimée. ↩︎
236:1 Littéralement, ceux dans la famille desquels il est né. Sîlâṅka, l’auteur du plus ancien Tîkâ sur le Sûtrakritâṅga, nomme les Râshtrakûtas ou Râthors afin d’illustrer ce que l’on entend par famille. ↩︎
236:2 Selon Sîlâṅka, les Bauddhas, les Bârhaspatyas et d’autres sont visés. ↩︎
236:3 Grantha, passage dans un livre. Les versets 2 à 5 sont intentionnels. ↩︎
236:4 Ce sont les Nâstikas ou Kârvâkas. ↩︎
236:5 Autrement dit : l’Atman est produit par les éléments. Or, il semble qu’il n’y ait qu’un seul Atman, car aux versets 11 et 12, nous avons une autre philosophie hérétique qui reconnaît une pluralité d’Atmans transitoires. ↩︎
237:1 C’est la doctrine des Vêdântins. ↩︎
237:2 S’il n’y avait qu’un seul âtman commun à tous les hommes, le fruit des œuvres accomplies par l’un pourrait revenir à l’autre. Car l’âtman est le substrat du mérite et du démérite. ↩︎
237:3 Bien qu’il n’y ait aucun doute sur le sens de ce passage, la construction est si elliptique que je n’ai peut-être pas compris la connexion des parties de la phrase. ↩︎
237:4 C’est l’opinion exprimée par Karaka et dans les premiers livres de droit, voir l’article du professeur Jolly dans les Transactions du Neuvième Congrès international des orientalistes, vol. i, p. 456. Sîlâṅka l’attribue aux Sâṅkhyas et aux Saivâdhikârins. ↩︎
238:1 Niyatîbhâvam âgayâ. Niyatî est expliqué par nityabhâva. ↩︎