DEUXIÈME CHAPITRE.
Certains [^688] disent encore : « Il est prouvé qu’il existe des âmes individuelles ; elles éprouvent du plaisir et de la douleur ; et (en mourant) elles perdent leur état de vie. » (1)
« Mais la misère (et le plaisir) ne sont pas causés par (les âmes) elles-mêmes ; comment pourraient-ils être causés par d’autres (agents, comme le temps, etc.) ? Le plaisir et la misère, la béatitude finale [^689] et le temporel (plaisir et douleur) ne sont pas causés par (les âmes) elles-mêmes, ni par d’autres ; mais les âmes individuelles les éprouvent ; c’est le sort qui leur est assigné par le destin. » Voilà ce qu’ils (c’est-à-dire les fatalistes) disent. (2, 3)
Ceux qui proclament ces opinions sont des imbéciles qui se croient savants ; ils n’ont aucune connaissance et ne comprennent pas que les choses dépendent en partie du destin et en partie de l’effort humain [^690]. (4)
Ainsi (disent) certains hérétiques [^691] ; ce sont des hommes très audacieux ; s’ils agissent selon leurs principes, ils ne seront jamais délivrés de la misère. (5)
Comme les cerfs rapides, dépourvus de protection, sont effrayés là où il n’y a pas de danger, et ne sont pas effrayés là où il y a du danger ; (6)
(Comme) ils redoutent les endroits sûrs, mais ne redoutent pas les pièges; ils sont déconcertés par l’ignorance et la peur, et courent çà et là; (7)
S’ils sautaient par-dessus le nœud coulant ou passaient en dessous, ils échapperaient au piège ; mais l’animal stupide ne le remarque pas [1] ; (8)
Le malheureux animal, étant d’un intellect faible, court dans le lieu dangereux, est pris dans le piège, etc., et est tué là ; (9)
Ainsi, certains Sramanas indignes qui détiennent de fausses doctrines ont peur de ce qui est exempt de danger et n’ont pas peur des vrais dangers.
Les insensés redoutent la prédication de la Loi, mais ils ne craignent pas les œuvres, étant dépourvus de discernement et de connaissance. (11)
En se débarrassant de l’avidité [2], de l’orgueil [3], de la tromperie [4] et de la colère [5], on se libère du Karman. C’est un sujet auquel l’ignorant, comme l’animal, ne prête pas attention. (12)
Les hérétiques indignes qui ne reconnaissent pas cela encourront la mort un nombre infini de fois, comme un cerf pris au piège. (13)
Tous les Brâhmanas et les Sramanas prétendent posséder la connaissance (de la vérité), mais les créatures du monde entier ne savent rien. (14)
De même qu’un Mlêkkha [^697] répète ce qu’un Ârya a dit, mais n’en comprend pas le sens, se contentant de répéter ses paroles, de même l’ignorant, bien que prétendant posséder la connaissance, ne connaît pas la vérité, tout comme un Mlêkkha non instruit. (15, 16)
Les spéculations des agnostiques ne peuvent pas conduire à la connaissance ; ils ne peuvent pas atteindre la vérité par eux-mêmes, et encore moins l’enseigner aux autres hommes. (17)
Comme lorsqu’un homme dans une forêt qui ne la connaît pas, suit un guide qui ne la connaît pas non plus, tous deux ne connaissant pas (l’endroit), et se retrouvent dans une grande difficulté ; (18)
Comme lorsqu’un aveugle est le guide d’un autre, l’homme marche sur une grande distance, s’égare ou suit un mauvais chemin ; (19)
Ainsi, certains qui recherchent le salut et prétendent pratiquer la (vraie) Loi, suivent la fausse Loi et n’arrivent pas à la chose tout à fait juste, à savoir la maîtrise de soi. (20)
Ainsi, certains (mauvais philosophes) ne s’adressent pas aux autres pour leurs arguments, mais ils continuent à se tromper parce qu’ils croient que leurs propres arguments sont justes [^698]. (21)
Ainsi, argumentant selon leur lumière et ignorant ce qui est bien et ce qui est mal, ils ne sortent pas de la misère comme les oiseaux ne sortent pas de leur cage. (22)
Ils vantent leur propre croyance et blâment celle de leurs adversaires, mais ceux qui agissent à cet égard en philosophes seront maintenus confinés dans le Cercle des Naissances [6]. (23)
Il y a la doctrine des Kriyâvâdins [^700], qui a été expliquée précédemment ; elle augmente la misère de l’existence mondaine de ceux qui ne considèrent pas bien la nature des actes. (24)
« Celui qui a l’intention de tuer un être vivant mais ne le fait pas par son corps, et celui qui en tue un sans le savoir, tous deux sont affectés par cet acte par un léger contact seulement, mais le démérite (dans leur cas) n’est pas pleinement développé [7]. » (25)
[ p. 243 ]
« Il y a trois manières de commettre des péchés : par sa propre activité, par commission, par approbation (de l’acte). » (26)
« Voilà les trois manières de commettre des péchés. Ainsi, par la pureté du cœur, on atteint le Nirvânâ. » (27)
« Un laïc peut tuer son fils (pendant une famine) et le manger ; un sage (moine) qui prend part à la viande ne sera pas souillé par le péché [8]. » (28)
L’esprit de ceux qui pèchent en pensées n’est pas pur ; ils sont dans l’erreur, ils ne se conduisent pas avec prudence [9]. (29)
Les hommes attachés au plaisir, qui pensent que les doctrines mentionnées ci-dessus les sauveront, commettent des péchés. (30)
Comme un aveugle-né qui monte dans une barque qui fait eau veut atteindre le rivage, mais se noie pendant la traversée [10], ainsi certains Sramanas indignes et hérétiques souhaitent dépasser le Cercle des Naissances, mais ils y sont emportés. (31, 32)
Ainsi je dis.
[^697] : 241:1 Savvappaga = sarvâtmaka, lôbha.
[^698] : 241:2 Viukkassa = vyutkarsha, mâna.
[^700] : 241:4 Appattiya = krôdha.
239:2 Ce sont les fatalistes dont les opinions particulières sont énoncées dans les versets 2 et 3. ↩︎
239:3 Sêhiyam = saiddhikam, c’est-à-dire môkshê bhavam sukham. Une autre explication du commentateur fait des saiddhika les plaisirs qui dépendent de causes externes, comme les couronnes, les sandales, etc., et des asaiddhika les plaisirs de l’esprit. ↩︎
240:1 Pour rendre niyatâniyatam. ↩︎
240:2 Pâsattha, généralement traduit par pârsvastha « étranger », ceux qui ne reconnaissent pas les vrais arguments ; une autre traduction est pâsastha « tenu en esclavage ». ↩︎
240:3 Dêhati = pasyati. La forme dekkhati apparaît dans le Prâkrit des pièces de théâtre. ↩︎
241:3 Nûma = mâyâ. ↩︎
241:5 Il convient de noter que les Mlêkkhas sont ici représentés comme ne comprenant pas la langue des Âryas. ↩︎
242:1 La dernière partie du verset pourrait également être traduite par : « parce que ces imbéciles croient que le sujet est éclairci (mañgû) par leurs propres arguments. » ↩︎
242:2 Il y a un jeu de mots entre viussanti et viussiyâ, dans la dernière ligne de ce verset viussanti est un verbe dénominatif de viusa = vidvân, et est traduit par vidvân ivâ karati. Viussiya = vi + ut + srita. ↩︎
242:3 Voir ci-dessus, p. 83. Sîlâṅka définit ici les Kriyâvâdins comme des hommes qui soutiennent que le principal moyen d’atteindre Môksha est le kaityakarma, la construction de sanctuaires. ↩︎