TRENTE-DEUXIÈME CONFÉRENCE. LES CAUSES DE L’INSOUCIANCE.
Avec un esprit attentif, écoutez-moi vous expliquer la délivrance du temps sans commencement, ainsi que ses causes [^519], et de toute misère : un sujet vraiment salutaire. (1)
Par l’enseignement de la vraie [^520] connaissance, par l’évitement de l’ignorance et de l’illusion, et par la destruction de l’amour et de la haine, on parvient à la délivrance finale qui n’est rien d’autre que la félicité. (2)
Voici le chemin qui y mène : servir les gourous et les anciens (enseignants), éviter partout les gens insensés, [ p. 185 ] s’appliquer sérieusement à l’étude et méditer avec zèle sur la signification des Sûtras. (3)
Un Sraman engagé dans des austérités, qui aspire à la justice [^521], devrait manger la quantité appropriée de nourriture autorisée, devrait choisir un compagnon de bonne compréhension et devrait vivre dans un endroit propice à la réclusion. (4)
S’il ne rencontre pas un compagnon intelligent qui le surpasse ou l’égale en vertu, il doit vivre seul, s’abstenir de péchés et ne pas se livrer aux plaisirs. (5)
Comme la grue [1] est produite à partir d’un œuf, et l’œuf est produit à partir d’une grue, ainsi ils appellent le désir [2] l’origine de l’illusion, et l’illusion l’origine du désir. (6)
L’amour et la haine sont causés par le Karman, et ils disent que le Karman a son origine dans l’illusion ; le Karman est la racine de la naissance et de la mort, et la naissance et la mort sont appelées misère. (7)
La misère cesse en l’absence d’illusion, l’illusion cesse en l’absence de désir, le désir cesse en l’absence d’avidité, l’avidité cesse en l’absence de propriété. (8)
J’expliquerai dans l’ordre les moyens que doit adopter celui qui veut déraciner complètement l’amour, la haine et l’illusion. (9)
Il ne faut pas savourer avec préférence une nourriture agréable [3], car elle rend généralement les hommes trop forts [4] ; et les désirs se précipitent sur les forts, comme les oiseaux sur un arbre aux fruits sucrés. (10)
[ p. 186 ]
Comme dans une forêt pleine de combustible, un feu attisé par le vent ne peut être éteint, ainsi le feu (pour ainsi dire) des sens de celui qui mange à sa guise ; il ne profite à aucun homme chaste. (11)
L’esprit de ceux qui vivent toujours dans des logements peu fréquentés, qui mangent de la nourriture médiocre et qui soumettent leurs sens, ne sera pas attaqué par l’ennemi, l’Amour, qui est vaincu comme la maladie par la médecine. (12)
De même qu’il n’est pas sûr pour les souris de vivre près de l’habitation d’un chat, un chaste (moine) ne peut pas rester dans une maison habitée par des femmes. (13)
Un Sramana, engagé dans la pénitence, ne doit pas se permettre d’observer la forme, la beauté, la coquetterie, le rire, le bavardage, les gestes et les regards des femmes, ni d’en conserver le souvenir dans son esprit. (14)
Ne pas regarder, ni désirer, ni penser à, ni louer la femme : telle est la méditation des nobles, et elle est toujours salutaire à ceux qui se complaisent dans la chasteté. (15)
Bien que ceux qui possèdent les trois Guptis ne puissent être dérangés même par des déesses bien parées, il est néanmoins recommandé aux moines de vivre seuls, car cela est sain à tous égards. (16)
À un homme qui aspire à la libération, qui a peur du Samsâra et qui vit selon la Loi, rien au monde n’offre autant de difficultés [5] que les femmes qui ravissent l’esprit des ignorants. (17)
À ceux qui ont surmonté l’attachement (aux femmes), tous les autres n’offriront aucune difficulté [6] ; même à ceux qui ont traversé le grand océan, aucun fleuve, aussi grand que le Gange, (n’offrira aucune difficulté). (18)
[ p. 187 ]
Du désir du plaisir naît la misère du monde entier, y compris celle des dieux ; quelle que soit la misère du corps et de l’esprit, celui qui est impartial y mettra fin. (19)
Comme le fruit du Kimpâka [^528] est beau en goût et en couleur, lorsqu’il est mangé ; mais détruit la vie lorsqu’il est digéré, (étant) un poison ; semblables dans leur effet sont les plaisirs. (20)
Un Sramana, engagé dans des austérités, qui aspire à la justice [7], ne devrait pas fixer ses pensées sur les objets agréables des sens, ni détourner son esprit d’eux, s’ils sont désagréables. (21)
La « couleur » attire le regard ; elle est la cause agréable de l’amour, mais la cause désagréable de la haine [8] ; celui qui leur est indifférent (c’est-à-dire les couleurs) est appelé impartial. (22)
L’œil perçoit la « couleur », et la « couleur » attire l’œil ; la cause de l’Amour est agréable, et la cause de la Haine est désagréable. (23)
Celui qui aime passionnément les « couleurs » connaîtra une ruine prématurée, tout comme un papillon passionné attiré par la lumière se précipite vers la mort. (24)
Celui qui hait passionnément (une couleur) souffrira au même instant. C’est la faute d’un homme indiscipliné s’il est agacé (par une couleur) ; ce n’est pas la « couleur » elle-même qui l’agace. (25)
[ p. 188 ]
Celui qui aime beaucoup une belle « couleur » déteste toutes les autres ; c’est pourquoi un fou souffrira de la misère, mais un sage impartial n’en sera pas affecté. (26)
Celui qui a une passion pour les « couleurs [^531] » tuera beaucoup d’êtres mobiles et immobiles ; un fou passionné, absorbé par son intérêt personnel, fait souffrir et tourmente ces êtres de plusieurs manières. (27)
Comment un homme qui désire passionnément des « couleurs » [9] peut-il être heureux s’il obtient, conserve, utilise, perd et regrette ces choses ? Même lorsqu’il en profite, il n’est jamais satisfait. (28)
Quand il n’est pas satisfait de ces « couleurs », et que son désir pour elles devient de plus en plus fort, il deviendra mécontent et malheureux à cause de son mécontentement ; trompé par la cupidité, il prendra la propriété d’autrui. (29)
Lorsqu’il est envahi par un désir violent, qu’il prend la propriété d’autrui et qu’il n’est pas satisfait de ces « couleurs » et de leur possession, alors sa tromperie et son mensonge augmentent à cause de sa cupidité ; pourtant il ne se débarrassera pas de sa misère. (30)
Avant et après avoir menti [10], et lorsqu’il est sur le point de mentir, il se sent infiniment malheureux. Ainsi, lorsqu’il prend le bien d’autrui et qu’il n’est (après tout) pas satisfait des « couleurs » (qu’il a obtenues), il devient malheureux, et personne ne le protège [11]. (31)
Comment, alors, un homme passionné par les « couleurs » pourrait-il tirer un quelconque bonheur de quoi que ce soit ? Il souffre au moment même où il jouit de ces couleurs, alors qu’il a enduré tant de misère pour les obtenir. (32)
De la même manière, celui qui hait les « couleurs » encourt une longue succession de souffrances ; lorsque son esprit est rempli de haine, il accumule du Karman qui, à la fin, produit à nouveau de la misère. (33)
Mais un homme qui est indifférent aux « couleurs » est exempt de chagrins ; bien qu’il soit encore dans le Samsâra, il n’est pas affecté par cette longue succession de douleurs, tout comme la feuille du Lotus (n’est pas humidifiée) par l’eau. (34)
[L’ensemble des versets 22 à 34 est, avec quelques modifications, répété cinq fois dans l’original afin de s’appliquer aux autres organes des sens.
Les versets 35 à 47 traitent des sons ; « son » doit remplacer « couleur », « oreille » remplace « œil ».
La dernière ligne du verset 37, qui correspond au verset 24, est ainsi rédigée :
Comme un cerf passionné, attiré (par un chant), se précipite vers la mort, sans être satisfait du bruit.
De la même manière, les versets 48 à 60 s’appliquent aux odeurs ; remplacez par « odeur » et « organe de l’odorat ».
Les versets 61 à 73 s’appliquent aux goûts ; remplacez « goûts » par « langue ».
Les versets 74 à 86 s’appliquent aux touches ; remplacez-les par « touches » et « corps ».
Les versets 87 à 99 s’appliquent aux sentiments ; remplacez « sentiments » par « esprit ».
[ p. 190 ]
Les lignes correspondant à la comparaison du verset 24 sont les suivantes :
Tout comme un serpent passionné qui est attiré par l’odeur d’une drogue, lorsqu’il sort de son trou. (50)
Tout comme un poisson passionné qui est impatient d’avaler l’appât, a son corps transpercé par un hameçon. (63)
Tout comme un buffle passionné qui plonge dans l’eau froide, est attrapé par un crocodile et meurt. (76)
Tout comme un éléphant passionné, enflammé par des désirs charnels, est détourné de son chemin par une éléphante (et est capturé et finalement tué au combat). (89)]
Ainsi, les objets des sens et de l’esprit causent de la douleur aux hommes passionnés, mais ils ne causent jamais la moindre douleur aux hommes impassibles. (100)
Les choses agréables (en elles-mêmes) ne provoquent ni indifférence ni émotions (comme la colère, etc.) ; mais en les haïssant ou en les aimant, un homme subit un tel changement par illusion. (101)
Colère, orgueil, tromperie, cupidité ; dégoût, aversion pour la maîtrise de soi et plaisir dans les choses sensuelles [12] ; gaieté, peur, tristesse, désir charnel pour les femmes, les hommes ou les deux ; toutes ces passions multiples surgissent chez celui qui est attaché aux plaisirs ; et ainsi d’autres émotions produites par celles (mentionnées ci-dessus) surgissent chez celui qui est à plaindre, qui (devrait avoir) honte de lui-même et qui est haïssable. (102, 103)
[ p. 191 ]
Un moine ne devrait pas désirer un compagnon, même capable d’accomplir ses devoirs religieux ; ni, s’il regrette d’avoir prononcé ses vœux, désirer une récompense matérielle pour ses austérités [13]. De telles émotions, d’une variété infinie, surgissent chez celui qui est esclave de ses sens. (104)
Désirant le bonheur et étant submergé par l’océan de l’illusion, il forme de nombreux plans pour conjurer la misère ; et pour eux, un homme passionné s’efforce. (105)
Mais toutes sortes d’objets des sens, les sons, etc., ne causeront à l’indifférent ni une sensation agréable ni une sensation désagréable. (106)
Celui qui s’efforce de reconnaître la vanité de tous les désirs [14] parviendra à l’indifférence parfaite. Lorsqu’il cessera de désirer les objets (des sens), son désir de plaisirs s’éteindra. (107)
L’homme impartial qui a accompli tous ses devoirs éliminera rapidement les obstacles à la bonne connaissance et à la bonne foi, ainsi que tout ce que Karman produit comme obstacle (à la droiture). (108)
Alors il connaît et voit toutes choses, il est libre de toute illusion et de tout obstacle, ses Âsravas sont partis, [ p. 192 ] et il est compétent dans la méditation et la concentration des pensées, et étant pur, il parviendra à la béatitude lorsque sa vie sera terminée. (109)
Il se débarrassera de toute la misère qui afflige toujours l’humanité ; remis de la longue maladie, pour ainsi dire, et glorieux, il devient infiniment heureux, et atteint le but (final). (110)
Nous avons enseigné la voie pour être exempt de toute misère qui surgit depuis des temps sans commencement ; les êtres qui la suivent deviendront en leur temps infiniment heureux. (111)
Ainsi je dis.
[^528] : 185:5 Driptikara.
[^531] : 187 : 1 Trichosanthes Palmata, ou Cucumis Colocynthus.
[^540] : 191:2 Samkalpavikalpanâsu upasthitasya.
184:3 Par temps sans commencement on entend le Samsâra ; ses causes sont les kashâyas ou passions cardinales, et avirati. ↩︎
184:4 Sakkassa = satyasya. Il s’agit d’une interprétation variée ; le texte reçu contient savvassa. Les commentateurs donnent l’explication suivante : par la propriété de la connaissance de tout faire connaître, cela indique que la connaissance est la cause de môksha. ↩︎
185:1 Samâdhi; le Dîpikâ l’explique par gñânadarsanakâritralâbha. ↩︎
185:2 Balâka. ↩︎
185:3 Trishnâ. ↩︎
185:4 Rasâ. ↩︎
186:1 Duttara. ↩︎
186:2 Suuttara. ↩︎
187:2 Comparez le verset 4. ↩︎
187:3 Amour et Haine doivent bien sûr être compris dans leur sens le plus large. La même remarque s’applique au terme « couleur », qui, selon la terminologie hindoue, désigne tout ce qui est perçu par l’œil. Les trois premières phrases, dans l’original, dépendent de verbes tels que vadanti et âhus. Je les ai, ici et ailleurs, supprimés dans la traduction. ↩︎
188:1 Rûvânugâsânuga = rûpa-anuga-âsâ-anuga. Cette division du composé semble artificielle ; je préférerais diviser rûva-anugâsa-anuga = rûpa-anukarsha-anuga ; littéralement, possédé de l’attraction par les couleurs. ↩︎
188:2 Rûvanuvâêna parigrahana. Parigraha est expliqué comme le désir de les posséder. ↩︎
188:3 Au lieu de « mentir », nous pouvons également adopter la traduction « voler », car le mot dans le môsa original peut signifier soit mrishâ, soit môsha. ↩︎
189:1 Anissa = anisra. Nisrâ n’apparaît pas en sanskrit courant ; il est rendu par avashtambha par les commentateurs. ↩︎