Emil Schürer écrit (La littérature du peuple juif au temps de Jésus, pp. 329-331) :
Alors que cette explication plus courte sous forme catéchétique [Questions et réponses sur la Genèse] était destinée à des cercles plus larges, l’œuvre scientifique principale et spéciale de Philon est son grand commentaire allégorique sur la Genèse, Νομων ιερων αλληγοριαι (tel est le titre qui lui est donné dans Eusèbe Hist. eccl. ii. 18. 1, et Photius, Bibliotheca cod. 103. Comp. aussi Origène, Comment. in Matth. vol. xvii. c. 17 ; contra Celsum, iv. 51). Ces deux œuvres se rapprochent fréquemment quant à leur contenu. Car dans les Quaestiones et solutiones aussi, la signification allégorique plus profonde est donnée aussi bien que le sens littéral. Dans le grand commentaire allégorique, au contraire, l’interprétation allégorique prévaut exclusivement. Le sens allégorique profond de la lettre sacrée est établi dans une discussion longue et prolixe qui, en raison de l’ajout abondant de passages parallèles, semble souvent s’éloigner du texte. Ainsi, toute la méthode exégétique, avec son intégration des passages les plus hétérogènes pour éclaircir l’idée supposée se trouver dans le texte, rappelle fortement la méthode du Midrash rabbinique. Cette interprétation allégorique comporte cependant, malgré son arbitraire, ses règles et ses lois, le sens allégorique, autrefois établi pour certaines personnes, objets et événements, étant ensuite respecté avec une cohérence acceptable. C’est notamment une idée fondamentale, dont l’exposé est partout déduit, que l’histoire de l’humanité telle que relatée dans la Genèse n’est en réalité rien d’autre qu’un système de psychologie et d’éthique. Les différents individus qui apparaissent ici désignent les différents états d’âme (τροποι της ψυχης) qui se manifestent chez les hommes. Analyser ces états dans leur diversité et leurs relations, tant entre eux qu’avec la Divinité et le monde sensible, et en déduire des doctrines morales, tel est le but principal de ce grand commentaire allégorique. On perçoit ainsi que l’intérêt principal de Philon n’est pas – comme on pourrait le supposer d’après l’ensemble de son système – la théologie spéculative en soi, mais au contraire la psychologie et l’éthique. À en juger par son objectif ultime, il n’est pas un théologien spéculatif, mais un psychologue et un moraliste (cf. note 183).
Le commentaire suit d’abord le texte de la Genèse verset par verset. Ensuite, des sections isolées sont sélectionnées, et certaines d’entre elles sont traitées de manière si complète qu’elles deviennent de véritables monographies. Ainsi, Philon, par exemple, s’inspire de l’histoire de Noé pour écrire deux livres sur l’ivresse (περι μεθης), avec une telle minutie qu’un recueil des opinions d’autres philosophes sur ce sujet remplit le premier de ces livres perdus (Mangey, i. 357).
L’ouvrage, tel que nous le connaissons, commence à Gen. ii. 1 ; Και ετελεσθησαν οι ουρανοι και η γη. La création du monde n’est donc pas traitée. Car le texte De opificio mundi, qui le précède dans nos éditions, est un ouvrage d’un caractère entièrement différent, n’étant pas un commentaire allégorique sur l’histoire de la création, mais un récit de cette histoire elle-même. Le premier livre du Legum allegoriae ne rejoint en aucune façon l’ouvrage De opificio mundi ; car le premier commence à Gen. ii. 1, tandis que dans De opif. mundi, la création de l’homme aussi, selon Gen. ii, est déjà traitée. Ainsi, comme l’affirme à juste titre Gfrörer en réponse à Dähne, le commentaire allégorique ne peut être combiné avec De opif. mundi comme si les deux ne faisaient partie que d’une seule et même œuvre. On peut tout au plus se demander si Philon n’a pas également écrit un commentaire allégorique sur Gen. I. Cela est cependant improbable. Car le commentaire allégorique se propose de traiter de l’histoire de l’humanité, et celle-ci ne commence qu’à Gen. II. I. Le début abrupt de Leg. alleg. i ne paraît pas étrange, car cette manière de commencer immédiatement par le texte à expliquer correspond parfaitement à la méthode du Midrash rabbinique. Les livres ultérieurs du commentaire de Philon lui-même commencent d’ailleurs de la même manière abrupte. Dans nos manuscrits et éditions, seuls les premiers livres portent le titre propre à l’ouvrage entier : Νομων ιερων αλληγοριαι. Tous les livres ultérieurs portent des titres spécifiques, ce qui donne l’impression qu’il s’agit d’ouvrages indépendants. En réalité, tout le contenu du premier volume de Mangey, à savoir les ouvrages qui suivent, appartient au livre en question (à la seule exception de De opificio mundi).
Emil Schürer commente : « Νομων ιερων αλληγοριαι πρωται των μετα την εξαημερον. Legum allegoriarum liber i. (Mangey, i. 43-65). Sur Gen. ii. Oui. Legum allegoriarum liber ii. (Mangey, je. 66-86). Sur le général ii. 18-iii. 1a.—Νομων ιερων αλληγοριαι τριται των μετα την εξαημερον. Legum allegoriarum liber iii. (Mangey, je. 87-137). Sur le général iii. 8b-19. — Les titres donnés ici des trois premiers livres, comme c’est l’usage dans les éditions depuis Mangey, nécessitent une correction importante. Même l’étendue différente des Livres i. et ii. nous amène à supposer qu’il ne s’agit peut-être que d’un seul livre. Mangey remarque d’ailleurs au début du troisième livre (i. 87, note) : in omnibus codicibus opusculum hoc inscribitur αλληγορια δευτερα. Nous n’avons donc en réalité que deux livres. Il existe cependant un vide entre les deux, le commentaire sur Gen. iii. 1b-8a étant absent. Le commentaire sur Gen. iii. 20-23 fait également défaut, car le livre suivant commence par Gen. iii. 24. Comme Philon suit le texte étape par étape dans ces premiers livres, il faut supposer que chacune des deux parties a été élaborée en un livre à part entière, et cela est même certain pour le second. Par conséquent, la condition initiale était très probablement la suivante : Livre i. sur Gen. ii. 1-3, 1a, Livre ii. sur Gen. iii. 1b-3, 8a, Livre III. sur Gen. iii. 8b-19, Livre IV. sur Gen. iii. 20-23. Ceci coïncide avec le fait que, dans le soi-disant Johannes Monachus ineditus, le commentaire sur Gen. iii. 8b-19 est en effet plus souvent cité comme « το γ της των νομων ιερων αλληγοριας » (Mangey, i. 87, note). Alors que, d’un autre côté, le même livre est intitulé comme montrant que le deuxième livre était déjà absent de l’archétype de ces manuscrits. (La Littérature du peuple juif au temps de Jésus, p. 331-332)
FH Colson et GH Whitaker écrivent (Philo, vol. 1, pp. 140-145) :
Dans les versets 1 à 18, Philon traite de Genèse ii, 1 à 3, qui parle d’abord de l’achèvement du Ciel et de la Terre. Il les considère comme les origines de l’Esprit et de la Perception Sensible, et s’appuie sur la version grecque pour opposer les nombres 6 et 7, le premier représentant les choses terrestres et le second les choses célestes.
Dans Gen. ii. 2, il trouve l’origine de l’Esprit et de la perception sensorielle attribuée d’abord à un Livre, puis à un Jour, le Livre et le Jour signifiant tous deux l’Esprit ou la Raison de Dieu. (19-21.)
Dans la répétition du mot « champ » dans Gen. ii. 5, il voit deux champs donnant, respectivement, ce qui est intellectuellement et ce qui est sensiblement perceptible : dans la pluie, le pouvoir donné aux sens d’appréhender les objets qui leur sont présentés, un pouvoir qui n’était pas nécessaire lorsque les objets matériels n’existaient pas, et en l’absence duquel l’Esprit est sans emploi. (22-27.)
Gen. ii. 6 raconte comment l’Esprit, la « source », arrose les sens, « la face de la terre », et montre l’interdépendance de l’Esprit, de la perception sensorielle et de l’objet des sens, et la dépendance de l’Esprit envers Dieu ; ainsi que la supériorité de la créature vivante dans sa capacité à absorber et à sortir vers un objet extérieur. (28-30.)
Passant à Genèse ii. 7, il oppose l’homme terrestre, modelé d’argile par l’Artisan divin, à l’Homme céleste, marqué de l’image de Dieu, et s’attarde sur le changement opéré en lui par l’inspiration de la Vie. Il répond ensuite à quatre questions.
À la question de savoir pourquoi le Souffle Divin est donné, non pas à l’Homme céleste, mais à l’Homme terrestre, il répond (a) que Dieu aime donner, même à l’imparfait ; (b) que l’inspiration est comparable à l’injonction d’un devoir « positif », qui n’est un devoir que parce qu’il est injonctionné.
À la question de savoir ce que signifie « insufflé », il répond que c’est un terme significatif pour « inspiré » et que son but est de nous permettre de concevoir Dieu.
À la question de savoir pourquoi l’inspiration se fait « dans le visage », il répond (a) que le visage est la partie où se situent principalement les sens ; (b) que le visage représente l’esprit, qui agit comme le représentant de Dieu pour inspirer les organes et les sens. Tel était Moïse auprès de Pharaon. Il est ainsi amené à parler de l’utilisation d’agents par Dieu. Enfin, il dit que πνοη suggère un don moins puissant que celui qu’aurait suggéré πνευμα. (31-42.)
Nous arrivons maintenant à Genèse ii. 8. Dieu plantant un Jardin montre que la sagesse terrestre est une copie de la sagesse céleste, car cela signifie que Dieu fait prendre racine sur terre. Le « Jardin » est la Vertu. « Éden » évoque son abondant bonheur. Il est « vers le soleil levant », car la raison juste, ou vertu, s’élève toujours pour dissiper les ténèbres. L’homme est placé dans le Jardin « pour le cultiver », c’est-à-dire pour consacrer tout son esprit à la vertu.
Le fait que Dieu plante ne justifie pas que l’homme plante un bosquet près de l’autel, ce qui est interdit dans Deut. xvi. 21, car (a) l’homme ne peut pas, comme Dieu, planter des vertus dans l’âme ; (b) un bosquet contient des arbres sauvages ; © ce qui est interdit, c’est de planter « pour nous-mêmes » (cf. 2e Commandement).
Il est quelque peu surprenant d’apprendre que l’Homme placé dans le Jardin de Genèse ii. 15 n’est pas l’Homme de Genèse ii. 8, mais celui de Genèse 1. 27. Seul ce dernier peut cultiver et préserver les vertus. Le premier ne les voit que pour en être chassé. L’un est « fait », l’autre « modelé ». L’Homme de ii. 8 n’a que la facilité à appréhender (comme l’indiquent les mots « placé dans le Jardin »). L’Homme de ii. 15 a aussi la persévérance à agir (« cultiver ») et la ténacité à conserver (« préserver »). (43-55.)
Genèse ii. 9 parle des Arbres, qui sont des vertus particulières, et de leurs activités. La vertu théorique est désignée par « belle à voir » ; la vertu pratique par « bonne à manger ». L’Arbre de Vie est la bonté, la vertu, et non (comme les médecins pourraient le supposer) le cœur. Il est « au milieu du Jardin ». Où se trouve « l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal », on ne nous le dit pas. En réalité, il est dans le Jardin, pratiquement à l’extérieur, car notre partie dominante est effectivement dans le Jardin de Dieu en recevant l’empreinte de la bonté, pratiquement à l’extérieur en recevant celle de la méchanceté. De même, mon corps peut être ici, mon esprit ailleurs. (56-62.)
Le thème de Gen. ii. 10-14 est celui des Fleuves. Les quatre Fleuves sont les Vertus particulières, efflux de la Vertu générique, le Fleuve qui jaillit de « l’Éden », qui est la Sagesse ou la Raison de Dieu. « Têtes » implique la souveraineté des Vertus : « séparées » ; leur action limitée et déterminante. « Pheison » est la Prudence, le plus beau trésor de Dieu, brillant comme l’or, et encerclant « Evilat » ou la Grâce. « Geon » est le Courage, assiégeant l’Éthiopie, qui est la Bassesse ou la Lâcheté. « Tigre » est la Maîtrise de Soi, opposée à « l’Assyrie », la force directrice revendiquée par le Désir. La Prudence, le Courage et la Maîtrise de Soi occupent des places dans l’âme correspondant à leurs sphères d’action dans le corps, la tête, la poitrine et l’abdomen, sièges de la Raison, de l’Esprit Supérieur et de la Luxure. « Euphrate » (= fécondité) est la Justice, ou l’harmonie des trois parties de l’âme.
On nous montre ensuite une autre voie pour parvenir à la même vérité concernant les quatre Fleuves. « Pheison » signifie « changement de bouche », c’est-à-dire la transformation de la parole en action, véritable signe de la Prudence. « Evilat » signifie « en travail », comme l’est toujours la Folie dans sa futilité. (63-76.)
Les huit sections suivantes (Gen. ii. 12) constituent une Note sur l’or et les pierres précieuses. La Prudence, l’or, appartient toujours à Dieu, Philon prenant « où » (ου) pour « à qui ». « L’or de ce pays » est universel, par opposition à la Prudence particulière, et lui vaut l’épithète « bon ». Le « rubis » et l’« émeraude » représentent respectivement le fait d’avoir et d’exercer le bon sens. Ou bien les deux pierres sont peut-être Juda et Issacar, représentant, l’une, la reconnaissance, l’autre, les nobles actions. Ainsi, dans les vêtements du grand prêtre, le rubis devait, de par sa position, porter le nom de Juda, et le saphir celui d’Issacar. Le mot « pierre » n’est pas ajouté après « rubis », car la louange et l’action de grâce élèvent l’homme au-dessus de lui-même et de tout ce qui est terrestre. Le rouge sied à Juda, le vert à Issacar. (77-84.)
Voici maintenant une brève note sur la Compassion (Gen. ii. 11 et 13). « Pheison » et « Géon » sont censés « entourer » les comtés, car la Prudence et le Courage encerclent et capturent la Folie et la Lâcheté. « Tigre » est dit être « en face des Assyriens », car la Maîtrise de Soi ne peut qu’affronter et combattre le Plaisir. « Euphrate », ou la Justice, n’encercle ni ne résiste, mais rend des jugements. (85-87).
Dans 88 s., nous voyons l’Homme céleste, l’Homme que Dieu a « fait » et non « modelé », placé dans le jardin. Cet Esprit pur et moins matériel est placé parmi les Vertus (« plantes ») pour les pratiquer (« cultiver ») et s’en souvenir (« garder »).
Le reste du traité traite de l’injonction à « Adam » dans Gen. ii. 16 et suiv.
Puisque « Adam », nom qui ne s’est pas imposé lui-même, signifie « terre », il s’agit probablement de « l’homme terrestre et modelé ». De plus, l’Homme céleste n’a besoin ni d’injonction pour cultiver ni de protection ; encore moins d’interdiction ni d’exhortation.
La commana est donnée par « le Seigneur Dieu ». L’obéissance au « Seigneur » ou au « Maître » nous prépare aux bienfaits de « Dieu », le « Bienfaiteur ». Ainsi, dans Genèse iii. 23, la punition est infligée par « le Seigneur Dieu » avec une sévérité bienveillante.
« Chaque arbre » signifie toutes les vertus. L’adjonction de « nourrir » à « manger » évoque la mastication spirituelle. Manger représente une obéissance superficielle : « se nourrir de », une obéissance réfléchie et sincère.
Concernant la position de l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, des illustrations de présence réelle et virtuelle sont données en 100.
Le fait que l’interdiction s’adresse à plus d’une personne s’explique en disant que (a) les hommes inférieurs sont très nombreux ; (b) l’homme inférieur dépourvu de concentration n’est pas une unité.
Le traité se termine par l’établissement d’une distinction entre la mort dont tous meurent et la mort de l’âme.
* Titre de Yonge, Le Premier Livre du Traité sur les Allégories des Lois Sacrées, d’après l’Œuvre des Six Jours de la Création.
I. (1) « Et le ciel, la terre et tout leur monde furent achevés. »[1] Ayant précédemment relaté la création de l’esprit et des sens, Moïse décrit maintenant la perfection qui fut apportée par l’un et l’autre. Et il dit que ni l’esprit indivisible ni les sensations particulières n’ont reçu la perfection, mais seulement les idées, l’une l’idée de l’esprit, l’autre de la sensation. Et, parlant symboliquement, il appelle l’esprit ciel, puisque les natures qui ne peuvent être comprises que par l’intellect sont dans le ciel. Et il appelle sensation terre, parce que c’est la sensation qui a obtenu une constitution corporelle et quelque peu terrestre. Les ornements de l’esprit sont toutes les choses incorporelles, qui ne sont perceptibles que par l’intellect. Ceux de la sensation sont les choses corporelles, et en bref tout ce qui est perceptible par les sens externes.
II. (2) « Et le sixième jour, Dieu acheva son œuvre qu’il avait faite. » Ce serait un signe de grande simplicité de penser que le monde a été créé en six jours, ou même dans le temps ; car tout le temps n’est que l’espace des jours et des nuits, et ces choses sont nécessairement produites par le mouvement du soleil lorsqu’il passe sur la terre et sous la terre. Or, le soleil est une portion du ciel, de sorte qu’il faut avouer que le temps est une chose postérieure au monde. On pourrait donc dire à juste titre que le monde n’a pas été créé dans le temps, mais que le temps a eu son existence en conséquence du monde. Car c’est le mouvement du ciel qui a manifesté la nature du temps.
(3) Lorsque donc Moïse dit : « Dieu acheva ses œuvres le sixième jour », nous devons comprendre qu’il ne parle pas d’un nombre de jours, mais qu’il prend six comme un nombre parfait. Puisque c’est le premier nombre qui est égal dans ses parties, dans la moitié, et les troisième et sixième parties, et puisqu’il est produit par la multiplication de deux facteurs inégaux, deux et trois. Et les nombres deux et trois excèdent l’incorporalité qui existe dans l’unité ; car le nombre deux est une image de la matière divisée en deux parties et disséquée comme la matière. Et le nombre trois est une image d’un corps solide, car un solide peut être divisé selon une division triple. (4) Non pas que cela ne soit aussi apparenté aux mouvements des animaux organiques. Car un corps organique est naturellement capable de se déplacer dans six directions, en avant, en arrière, en haut, en bas, à droite et à gauche. Et en tout cas, il désire montrer que les races des mortels, et aussi de tous les êtres immortels, existent selon leurs nombres appropriés ; mesurant les êtres mortels, comme je l’ai dit, par le nombre six, et les êtres bienheureux et immortels par le nombre sept. (5) D’abord donc, ayant abandonné la création des créatures mortelles le septième jour, il commença la formation d’autres êtres plus divins.
III. Car Dieu ne cesse jamais de faire telle ou telle chose ; mais, comme le propre du feu est de brûler et celui de la neige de refroidir, de même le propre de Dieu est de créer. Et cela d’autant plus qu’il est lui-même, pour tous les êtres, l’auteur de leur œuvre. (6) C’est pourquoi l’expression « il laissa reposer » est ici très juste, et non « il se reposa ». Car il laisse reposer des choses qui semblent en produire d’autres, mais qui en réalité n’ont aucun effet ; mais lui-même ne cesse jamais de créer. C’est pourquoi Moïse dit : « Il laissa reposer ce qu’il avait commencé. » Car toutes les œuvres de notre art, une fois achevées, demeurent immobiles ; mais toutes celles qui sont accomplies par la connaissance de Dieu sont mues ultérieurement. Car leurs fins sont les commencements d’autres choses ; par exemple, la fin du jour est le commencement de la nuit. De même, nous devons considérer les mois et les années, lorsqu’ils se terminent, comme le commencement de ceux qui vont les suivre. (7) Et ainsi la génération des autres choses qui sont détruites, et la destruction des autres qui sont générées sont achevées, de sorte que ce qui est dit est vrai que—
Et rien de ce qui est créé entièrement ne meurt ;
Mais une chose s’est séparée et combinée avec d’autres
Produit une forme fraîche.
IV. (8) Mais la nature se complaît dans le nombre sept. Car il y a sept planètes, allant en opposition constante avec le cours quotidien du ciel, qui procède toujours dans la même direction. De même, la constellation de l’Ourse est composée de sept étoiles, constellation qui est la cause de la communication et de l’unité entre les hommes, et pas seulement du trafic. De plus, les changements périodiques de la lune se produisent selon le nombre sept, cette étoile ayant la plus grande sympathie pour les choses sur terre. Et les changements que la lune opère dans l’air, elle les perfectionne principalement selon ses propres configurations chaque septième jour. (9) Quoi qu’il en soit, toutes les choses mortelles, comme je l’ai déjà dit, tirant leur nature la plus divine du ciel, sont mues d’une manière qui tend à leur conservation selon ce nombre sept. Car qui ignore que les enfants qui naissent à la fin du septième mois ont de bonnes chances de vivre, mais que ceux qui ont mis plus de temps, de manière à être restés huit mois dans le ventre maternel, sont pour la plupart des naissances avortées ? (10) Et ils disent que l’homme est un être raisonnable dans ses sept premières années, époque à laquelle il est un interprète compétent des noms et des verbes ordinaires, se rendant maître de la faculté de parler. Et dans sa deuxième période de sept ans, il atteint la perfection de sa nature ; et cette perfection est le pouvoir d’engendrer un être comme lui-même ; car vers l’âge de quatorze ans, nous sommes capables d’engendrer une créature qui nous ressemble. De plus, la troisième période de sept ans est la fin de sa croissance ; car jusqu’à l’âge de vingt et un ans, l’homme continue de croître en taille, et cette période est appelée par beaucoup la maturité. (11) De même, la partie irrationnelle de l’âme est divisible en sept parties : les cinq sens, l’organe de la parole et la puissance de génération. (12) De même, les mouvements du corps sont au nombre de sept : les six mouvements organiques et le mouvement rotatoire. Les entrailles sont également au nombre de sept : l’estomac, le cœur, la rate, le foie, les poumons et les deux reins. De même, les membres du corps sont en nombre égal : la tête, le cou, la poitrine, les deux mains, le ventre, les deux pieds. De même, la partie la plus importante de l’animal, le visage, est divisible selon une division septuple : les deux yeux, les deux oreilles, et autant de narines, et au septième endroit, la bouche. (13) De plus, les sécrétions sont au nombre de sept : les larmes, le mucus nasal, la salive, le liquide génital, les deux excréments et la sueur qui s’écoule de chaque partie du corps. De plus, en cas de maladie, le septième jour est la période la plus critique, et chez les femmes, les purifications cataméniales se prolongent jusqu’au septième jour.
V. (14) Et la puissance de ce nombre s’est étendue aussi au plus utile des arts, à savoir la grammaire. En tout cas, en grammaire, les éléments les plus excellents et ceux qui ont le plus de pouvoir sont les sept voyelles. De même, en musique, la lyre à sept cordes est presque le meilleur de tous les instruments, car le principe euharmonique, le plus noble de tous les principes de la mélodie, est particulièrement perçu en relation avec elle. De plus, il arrive que les tons de la voix soient au nombre de sept : l’aigu, le grave, le contracté, l’aspiré, le lène, le son long et le son bref. (15) Le nombre sept est aussi le premier nombre composé du nombre parfait, c’est-à-dire du six, et de l’unité. Et, en un sens, les nombres inférieurs à dix sont engendrés par, ou engendrent eux-mêmes, ces nombres inférieurs à dix, et le nombre dix lui-même. Or, le nombre sept n’engendre aucun des nombres inférieurs à dix, et il n’est engendré par aucun d’eux. C’est pourquoi les Pythagoriciens comparent ce nombre à la Déesse toujours vierge, née sans mère, [2], car il n’a été engendré par aucun autre, et n’engendrera aucun autre.
VI. (16) « Ainsi, le septième jour, Dieu fit reposer de toutes ses œuvres qu’il avait faites. »[3] Or, le sens de cette phrase est quelque peu de ce genre. Dieu cesse de former les races de créatures mortelles lorsqu’il commence à créer les races divines, qui sont apparentées à la nature du nombre sept. Et la référence qui est contenue ici à leur caractère moral est de la nature suivante. Lorsque cette raison qui est sainte selon le nombre sept est entrée dans l’âme, le nombre six est alors arrêté, et toutes les choses mortelles que ce nombre semble créer.
VII. (17) « Et Dieu bénit le septième jour et le sanctifia. » Dieu bénit les mœurs qui sont formées selon la septième lumière divine, comme étant véritablement lumière, et les déclare immédiatement saintes. Car ce qui est béni et ce qui est saint sont étroitement liés l’un à l’autre. C’est pourquoi il dit, à propos de celui qui a fait un grand vœu, que « si un changement soudain survient en lui et souille son esprit, il ne sera plus saint. »[4] Mais les jours précédents n’étaient pas pris en compte dans le calcul, comme il était naturel. Car les mœurs qui ne sont pas saintes ne sont pas comptées, de sorte que seule celle qui est bénie est sainte. (18) C’est donc à juste titre que Moïse a dit que « Dieu bénit le septième jour et le sanctifia », car en ce jour il « se reposa de toutes les œuvres qu’il avait commencées ». Et c’est pourquoi celui qui vit et se conduit selon la septième et parfaite lumière est béni et saint, car c’est conformément à sa nature que la création des êtres mortels s’est achevée. En effet, lorsque la lumière de la vertu, éclatante et véritablement divine, se lève, la génération de la nature contraire est arrêtée. Et nous avons montré que Dieu ne cesse jamais de créer quelque chose, mais que lorsqu’il apparaît ainsi, il ne fait que commencer la création d’autre chose, étant non seulement le Créateur, mais aussi le Père de tout ce qui existe.
VIII. (19) « Ceci est le livre de la génération du ciel et de la terre, lorsqu’ils furent créés. »[5] C’est la raison parfaite, qui est mise en mouvement conformément au nombre sept, étant le commencement de la création de cet esprit qui a été agencé selon les idées, et aussi de la sensation agencée selon les idées, et perceptible seulement par l’intellect, si l’on peut parler de cette manière. Et Moïse appelle la parole de Dieu un livre, dans lequel il est arrivé que les formations des autres choses sont écrites et gravées. (20) Mais de peur que vous n’imaginiez que la Divinité fait quoi que ce soit selon des périodes de temps définies, alors que vous devriez plutôt penser que tout ce qu’elle fait est impénétrable dans sa nature, incertain, inconnu et incompréhensible pour la race des hommes mortels. Moïse ajoute les mots « quand ils furent créés », sans définir précisément le moment, car ce qui a été fait par l’Auteur de toutes choses est sans limite. De cette façon, l’idée que l’univers ait été créé en six jours est exclue.
IX. (21) « Ce jour-là, Dieu créa le ciel et la terre, et toute herbe verte des champs avant qu’elle paraisse sur la terre, et toute l’herbe des champs avant qu’elle pousse. Car Dieu n’a pas fait pleuvoir sur la terre, et l’homme n’était pas là pour cultiver la terre. » Moïse a déjà appelé ce jour un livre, puisqu’il décrit au moins la génération du ciel et de la terre en chaque lieu. Car par sa parole la plus remarquable et la plus brillante, par un seul commandement, Dieu fait les deux choses : l’idée de l’esprit, qu’il appelle symboliquement le ciel, et l’idée de la sensation, qu’il nomme terre par un signe. (22) Et il compare l’idée de l’esprit et l’idée de la sensation à deux champs ; car l’esprit produit des fruits, qui consistent à avoir une perception intellectuelle ; et la sensation produit d’autres fruits qui consistent à percevoir par l’intermédiaire des sens externes. Et ce qu’il dit a le sens suivant ; — Comme il existait une idée préexistante de l’esprit particulier, et aussi des esprits indivisibles, servant d’archétype et de modèle à l’un et à l’autre ; et aussi une idée préexistante de la sensation particulière, étant, pour ainsi dire, une sorte de sceau qui donnait des impressions de formes, de même, avant que les choses particulières perceptibles seulement par l’intellect n’existent, il existait une idée abstraite préexistante de ce qui n’était perceptible que par l’intellect, par participation à laquelle les autres choses recevaient également leurs noms ; et avant que les objets particuliers perceptibles par les sens externes n’existent, il existait aussi quelque chose de générique perceptible par les sens externes, conformément à une participation à laquelle les autres choses perceptibles par les sens externes furent créées. (23) Par « l’herbe verte des champs », Moïse désigne la partie de l’esprit qui n’est perceptible que par l’intellect. Car, de même que dans les champs les choses vertes poussent et fleurissent, de même ce qui n’est perceptible que par l’intellect est le fruit de l’esprit. Ainsi, avant que le particulier, perceptible seulement par l’intellect, existe, Dieu a créé le général, perceptible seulement par l’intellect, qu’il a aussi appelé à juste titre l’univers. Car, puisque le particulier, perceptible seulement par l’intellect, est incomplet, il n’est pas l’univers ; mais ce qui est générique est l’univers, en tant qu’il est complet.
X. (24) « Et toute l’herbe des champs », poursuit-il, « avant qu’elle ne pousse. » C’est-à-dire qu’avant que les choses particulières perceptibles par les sens externes ne poussent, existait ce quelque chose de générique perceptible par les sens externes par la prescience du Créateur, qu’il appelle encore « l’univers ». Et tout naturellement, il assimile les choses perceptibles par les sens externes à l’herbe. Car, de même que l’herbe est la nourriture des animaux irrationnels, de même ce qui est perceptible par les sens externes est attribué à la partie irrationnelle de l’âme. Car pourquoi, après avoir mentionné précédemment « l’herbe verte des champs », ajoute-t-il aussi « et toute l’herbe », comme si l’herbe n’était pas verte du tout ? Mais en vérité, par l’herbe verte des champs, il entend ce qui n’est perceptible que par l’intellect, le bourgeonnement de l’esprit. Or, l’herbe désigne ce qui est perceptible par les sens externes, qui est également le produit de la partie irrationnelle de l’âme. (25) « Car Dieu n’a pas fait pleuvoir sur la terre, et l’homme n’a pas été là pour cultiver la terre », parlant dans le plus strict accord avec la philosophie naturelle. Car si Dieu ne répandait pas les perceptions des choses qui lui sont soumises, comme la pluie sur les sens, alors l’esprit non plus ne travaillerait pas ni ne s’occuperait de la sensation. Car lui-même serait incapable d’effectuer quoi que ce soit par lui-même, à moins de déverser, comme la pluie ou la rosée, des couleurs sur la vue, des sons sur l’ouïe, des saveurs sur le goût et sur tous les autres sens, les choses propres à produire les effets requis. (26) Mais lorsque Dieu commence à faire pleuvoir la sensation sur les choses perceptibles par les sens externes, alors l’esprit est également perçu comme agissant comme le cultivateur d’un sol fertile. Or, l’idée de sensation, qu’il a appelée terre au sens figuré, n’a pas besoin de nourriture. Or, la nourriture des sens, ce sont les objets particuliers perceptibles par les sens externes ; et ces objets sont les corps. Or, une idée est autre chose que les corps. Avant donc qu’il y ait des substances individuelles composées, Dieu n’a pas fait pleuvoir sur cette idée de sensation à laquelle il a donné le nom de terre. Et cela signifie qu’il ne lui a fourni aucune nourriture ; car, en effet, elle n’avait absolument besoin d’aucun objet perceptible par les sens externes. (27) Or, lorsque Moïse dit : « Et l’homme n’existait pas pour cultiver la terre », cela signifie que l’idée d’intellect n’a pas agi sur l’idée des sensations. Car mon intellect et le vôtre élaborent les sensations au moyen de choses perceptibles par les sens externes ; mais l’idée d’esprit, comme il doit en être ainsi tant qu’aucun corps individuel ne lui est associé, n’agit pas sur l’idée de sensation. Car si cela fonctionnait, ce serait bien sûr au moyen d’objets,perceptible par les sens externes. Or, un tel objet n’existe pas dans les idées.
XI. (28) « Mais une source monta sur la terre et arrosa toute la surface de la terre. » Il appelle ici l’esprit la source de la terre, et les sensations la surface de la terre, parce que c’est là que se trouve la place la plus appropriée dans tout le corps pour elles, en référence à leurs énergies appropriées, une place que la nature qui préconnaît tout, leur a assignée. Et l’esprit arrose les sensations comme une fontaine, envoyant des ruisseaux appropriés sur chacune d’elles. Voyez maintenant comment toutes les facultés d’un animal vivant dépendent les unes des autres comme une chaîne. Car comme l’esprit, les sensations et l’objet perceptible par le sens externe sont trois choses différentes, le terme moyen est la sensation ; et l’esprit et l’objet perceptible par le sens externe sont les deux extrêmes. (29) Mais l’esprit est incapable de travailler ; c’est-à-dire, dynamiser selon la sensation, à moins que Dieu ne fasse pleuvoir et irriguer l’objet perceptible par les sens externes, et il n’y a aucun avantage à ce que l’objet perceptible par le sens externe une fois arrosé, à moins que l’esprit, comme une fontaine, s’étendant jusqu’à la sensation, ne la mette en mouvement lorsqu’elle est calme et ne la conduise à une compréhension du sujet. De sorte que l’esprit et l’objet perceptible par les sens externes s’efforcent toujours de se rendre la pareille, l’un étant soumis aux sensations comme le serait une sorte de matière, et l’esprit suscitant les sensations vers l’objet externe, comme le ferait un ouvrier, afin de créer un appétit. (30) Car un animal vivant est supérieur à ce qui n’est pas un animal vivant sur deux points, l’imagination et l’appétit. En conséquence, l’imagination consiste dans l’approche de l’objet externe frappant l’esprit au moyen des sensations. Et l’appétit est le frère de l’imagination, selon la puissance intensive de l’esprit, que l’esprit maintient en éveil, au moyen de la sensation, et touche ainsi le sujet, et y parvient, étant désireux d’y parvenir et de le comprendre.
XII. (31) « Dieu créa l’homme, prenant de la terre une motte d’argile, et souffla sur son visage un souffle de vie : et l’homme devint une âme vivante. » Les races humaines sont doubles ; l’une est l’homme céleste, l’autre l’homme terrestre. Or, l’homme céleste, étant né à l’image de Dieu, n’a part à aucune essence corruptible ou terrestre. Mais l’homme terrestre est fait d’une matière meuble, qu’il appelle une motte d’argile. C’est pourquoi il ne dit pas que l’homme céleste a été fait, mais qu’il a été façonné à l’image de Dieu ; mais l’homme terrestre, il l’appelle une créature faite, et non engendrée par le Créateur. (32) Et nous devons considérer que l’homme qui a été formé de terre, signifie l’esprit qui doit être infusé dans le corps, mais qui n’a pas encore été ainsi infusé. Et cet esprit serait réellement terrestre et corruptible, si Dieu ne lui avait pas insufflé l’esprit de vie véritable ; car alors il « existe » et n’est plus transformé en âme ; et son âme n’est pas inactive et incapable de formation adéquate, mais véritablement intellectuelle et vivante. « Car l’homme », dit Moïse, « est devenu une âme vivante ».
XIII. (33) Mais quelqu’un peut demander pourquoi Dieu a pensé qu’un esprit né de la terre, qui était entièrement consacré au corps, était digne d’inspiration divine, et pourtant n’a pas traité de la même manière celui qui a été fait selon sa propre idée et image. En deuxième lieu, il peut demander, quel est le sens de l’expression « insufflé ». Et troisièmement, pourquoi il a soufflé sur son visage ; quatrièmement aussi, pourquoi, puisqu’il connaissait le nom de l’Esprit lorsqu’il dit : « Et l’Esprit de Dieu se mouvait sur la surface des eaux »,[6] il parle maintenant de souffle, et non de l’Esprit. (34) Or, en réponse à la première question, nous devons dire ceci : Dieu étant très généreux donne ses biens à tous les hommes, même à ceux qui ne sont pas parfaits ; Il les invite à participer et à rivaliser en vertu, tout en étalant ses abondantes richesses et en montrant qu’elles suffisent à ceux qui n’en tireront pas grand profit. Il le montre aussi de la manière la plus évidente dans d’autres cas. Car lorsqu’il fait pleuvoir sur la mer, qu’il fait jaillir des sources dans les lieux déserts, qu’il arrose des terres peu profondes, rocailleuses et stériles, faisant déborder les fleuves, que fait-il d’autre que d’étaler l’abondance de ses richesses et de sa bonté ? C’est pourquoi il n’a créé aucune âme dans un état où elle serait totalement dépourvue de bien, même si l’exercice de ce bien est hors de portée de certains. (35) Nous devons aussi donner une seconde raison, qui est celle-ci : Moïse a voulu représenter toutes les actions de la Divinité comme justes ; c’est pourquoi un homme qui n’avait pas eu de vie réelle insufflée en lui, mais qui était ignorant de la vertu, lorsqu’il était châtié pour les péchés qu’il avait commis, dirait qu’il a été puni injustement, en ce que c’est seulement par ignorance de ce qui était bien qu’il s’est trompé à son égard ; et que celui qui ne lui avait pas insufflé une sagesse appropriée était à blâmer ; et peut-être dira-t-il même qu’il n’a absolument commis aucune offense, puisque certaines personnes affirment que les actions faites involontairement et dans l’ignorance n’ont pas la nature d’offenses. (36) Or, l’expression « insufflé dans » est équivalente à « inspiré » ou « donné la vie à » des choses inanimées : car prenons garde de ne jamais nous laisser aller à une telle absurdité que de penser que Dieu emploie les organes de la bouche ou des narines pour insuffler quoi que ce soit ; car Dieu est non seulement dépourvu de qualités particulières, mais il n’a pas non plus la forme de l’homme, et l’emploi de ces mots révèle un mystère plus secret de la nature ; (37) car il doit y avoir trois choses, ce qui inspire, ce qui reçoit ce qui est inspiré, et ce qui est inspiré. Or, ce qui inspire, c’est Dieu, ce qui reçoit ce qui est inspiré, c’est l’esprit, et ce qui est inspiré, c’est l’esprit.Que recueille donc ces trois choses ? Une union des trois a lieu, par Dieu étendant la puissance, qui procède de lui par l’esprit, qui est le moyen terme, jusqu’au sujet. Pourquoi fait-il cela, sinon pour que nous puissions ainsi en tirer une notion appropriée ? (38) Car comment l’âme aurait-elle pu percevoir Dieu s’il ne l’avait inspirée et touchée selon sa puissance ? Car l’intellect humain n’aurait pas osé s’élever jusqu’à prétendre à la nature de Dieu, si Dieu lui-même ne l’avait attirée à lui, autant qu’il était possible à l’esprit de l’homme de l’être, et s’il ne l’avait formée selon les puissances qui peuvent être comprises. (39) Et Dieu souffla dans le visage de l’homme à la fois physiquement et moralement. Physiquement, lorsqu’il plaça les sens dans le visage : et cette partie du corps, plus que toutes les autres, est vivifiée et inspirée ; et moralement, de même que le visage est la partie dominante du corps, de même l’esprit est la partie dominante de l’âme. C’est dans lui seul que Dieu souffle ; mais les autres parties, les sensations, le pouvoir de parole et le pouvoir de génération, il ne les juge pas dignes de son souffle, car elles sont inférieures en puissance. (40) Par quoi donc ces parties subordonnées ont-elles été inspirées ? Sans aucun doute par l’esprit ; car des qualités que l’esprit a reçues de Dieu, il en donne une part à la partie irrationnelle de l’âme, de sorte que l’esprit est vivifié par Dieu, et la partie irrationnelle de l’âme par l’esprit ; Français car l’esprit est comme un dieu pour la partie irrationnelle de l’âme, c’est pourquoi Moïse n’a pas hésité à l’appeler « le dieu de Pharaon ».[7] (41) Car de toutes les choses créées, certaines sont créées par Dieu et par lui ; d’autres non pas par Dieu, mais par lui ; et les autres ont leur existence à la fois par lui et par lui. En tout cas, Moïse, en poursuivant, dit que Dieu a planté un paradis, et que parmi les meilleures choses faites à la fois par Dieu et par Dieu, se trouve l’esprit. Mais la partie irrationnelle de l’âme a été faite en effet par Dieu, mais non par Dieu, mais par la puissance de raisonnement qui porte la règle et la souveraineté dans l’âme ; (42) et Moïse a utilisé le mot « souffle », et non « esprit », car il y a une différence entre les deux mots ; car l’esprit est conçu selon la force, l’intensité et la puissance ; mais le souffle est une sorte de brise et d’exhalaison douce et modérée ; c’est pourquoi l’esprit, qui a été créé conformément à l’image et à l’idée de Dieu, peut être justement dit participant de son esprit, car son raisonnement a de la force : mais ce qui est dérivé de la matière n’est que participant d’un air ténu et très léger, étant pour ainsi dire une sorte d’exhalaison, telle que celle qui provient des épices ; car elles, bien qu’elles soient conservées intactes,et ne sont pas exposés au feu ou à la fumigation, mais dégagent néanmoins un certain parfum.
XIV. (43) « Et Dieu planta un paradis en Éden, à l’orient : et il y plaça l’homme qu’il avait formé »[8] : car il appela cette sagesse divine et céleste par plusieurs noms ; et il rendit manifeste qu’elle avait plusieurs appellations ; car il l’appela le commencement, l’image et la vue de Dieu. Et maintenant il expose la sagesse qui connaît les choses de la terre (comme étant une imitation de cette sagesse archétypale), dans la plantation de ce paradis. Car ne devons jamais nous laisser aller à une telle impiété que de supposer que Dieu cultive la terre et plante des paradis, car si nous le faisions, nous nous demanderions immédiatement pourquoi il le fait : car il ne se pourrait pas qu’il se procure des lieux agréables de récréation et de passe-temps, ou de divertissement. (44) Que de telles absurdités ne nous viennent jamais à l’esprit ; Car même le monde entier ne serait pas un lieu digne d’être habité par Dieu, puisqu’il est un lieu pour lui-même, qu’il est lui-même plein de lui-même et qu’il se suffit à lui-même, remplissant et entourant tout ce qui manque, est désert ou vide. Or, lui-même n’est entouré de rien d’autre, étant lui-même un et l’univers. (45) Dieu sème et implante donc la vertu terrestre dans la race humaine, imitation et représentation de la vertu céleste. Car, prenant notre race en pitié et la voyant exposée à d’innombrables maux, il a fermement implanté la vertu terrestre comme aide contre et préservateur des maladies de l’âme ; étant, comme je l’ai déjà dit, une imitation de la sagesse céleste et archétypique qu’il appelle de divers noms. Or, la vertu est appelée métaphoriquement paradis, et le lieu approprié pour le paradis est l’Éden ; ce qui signifie luxe : et le domaine le plus approprié pour la vertu est la paix, le bien-être et la joie ; en quoi consiste particulièrement le véritable luxe. (46) De plus, la plantation de ce paradis est représentée à l’est ; pour une bonne raison, elle ne se couche jamais et ne s’éteint jamais, mais il est de sa nature de toujours se lever. Et comme je l’imagine, le soleil levant remplit de lumière les ténèbres de l’air, de même la vertu, lorsqu’elle s’est élevée dans l’âme, irradie sa brume et dissipe l’obscurité épaisse. (47) « Et là », dit Moïse, « il plaça l’homme qu’il avait formé » : car Dieu étant bon, et ayant formé notre race pour la vertu, comme son œuvre la plus proche de lui-même, place l’esprit dans la vertu, évidemment afin qu’il, comme un bon époux, ne cultive et ne s’occupe de rien d’autre que de la vertu.
XV. (48) Et quelqu’un pourrait demander ici, pourquoi, puisque c’est une action pieuse d’imiter les œuvres de Dieu, il m’est interdit de planter un bosquet près de l’autel, et pourtant Dieu plante un paradis ? Car Moïse dit : « Tu ne planteras pas de bosquet pour toi ; tu ne te feras pas d’arbre qui soit près de l’autel de l’Éternel, ton Dieu. »[9] Que devons-nous donc dire ? Qu’il est juste que Dieu plante et édifie les vertus dans l’âme. (49) Mais l’esprit égoïste et athée, se croyant égal à Dieu alors qu’il semble faire quelque chose, se trouve en réalité plutôt souffrant. Et bien que Dieu sème et plante de bonnes choses dans l’âme, l’esprit qui dit : « Je plante », agit de manière impie. Tu ne planteras donc pas là où Dieu plante. Mais si, ô esprit, tu fixe des plantes dans l’âme, veille à ne planter que des arbres fruitiers, et non un bosquet ; car dans un bosquet, il y a des arbres aptes à la culture, et aussi des arbres sauvages. Mais planter le vice, improductif dans l’âme, avec une vertu cultivée et fertile, est l’acte d’une lèpre double et confuse. (50) Si, cependant, tu mets au même endroit des choses qui ne doivent pas être mélangées, tu dois les séparer et les disjoindre de la nature pure et incorruptible qui a coutume de faire des offrandes irréprochables à Dieu ; et c’est son autel. Car il est incompatible avec cela de dire qu’il existe une œuvre de l’âme, lorsque tout est rapporté à Dieu, et de mêler les choses stériles à celles qui sont productives ; car ce serait une erreur : or, ce sont des choses irréprochables qui sont offertes à Dieu. (51) Si donc tu transgresses l’une de ces lois, ô âme ! tu nuiras à toi-même, et non à Dieu. C’est pourquoi Dieu dit : « Tu ne feras pas de plantations pour toi-même », car personne ne travaille pour Dieu, et surtout ce qui est mauvais ne le fait pas. Et encore, Moïse ajoute : « Tu ne feras pas pour toi-même. » Et ailleurs, il dit : « Vous ne vous ferez pas de dieux d’argent avec moi, et vous ne vous ferez pas de dieux d’or. » Car celui qui conçoit que Dieu a une qualité distinctive, ou qu’il n’est pas un, ou qu’il n’est pas incréé et impérissable, ou qu’il n’est pas immuable, se nuit à lui-même et non à Dieu. « Car vous ne les ferez pas pour vous-mêmes », dit-il. Car nous devons concevoir que Dieu est exempt de qualités distinctives, et qu’il est impérissable et immuable ; et celui qui ne le conçoit pas ainsi remplit son âme d’opinions fausses et athées. (52) Ne voyez-vous pas que, quand même Dieu nous conduirait à la vertu, et quand même, après avoir été ainsi conduits, nous ne planterions aucun arbre stérile, mais seulement ceux qui produisent du fruit, il nous commanderait néanmoins de purifier son impureté, c’est-à-dire de paraître planter.Car il nous ordonne ici de retrancher les vaines opinions ; et les vaines opinions sont une chose impure par nature.
XVI. (53) « Et l’homme qu’il avait formé », dit Moïse, « Dieu le plaça dans le Paradis »,[10] pour le moment seulement. Quel est donc celui à propos duquel il dit ensuite que « Le Seigneur Dieu prit l’homme qu’il avait formé et le plaça dans le Paradis pour le cultiver et le garder »[11]. Cet homme créé à l’image et à l’idée de Dieu ne devait-il pas être un homme différent de l’autre, de sorte que deux hommes ont dû être introduits ensemble dans le Paradis, l’un un homme fictif, l’autre modelé à l’image de Dieu ? (54) Par conséquent, l’homme modelé à l’image de Dieu est perçu non seulement au milieu de la plantation des vertus, mais, en outre, il en est le cultivateur et le gardien ; c’est-à-dire qu’il se souvient des choses qu’il a entendues et pratiquées. Mais l’homme factice ne cultive ni ne garde les vertus, mais est seulement introduit dans les opinions par l’abondante libéralité de Dieu, étant sur le point de devenir immédiatement un exilé de la vertu. (55) C’est pourquoi il appelle factice celui qu’il place seulement au Paradis ; mais celui qu’il désigne pour en être le cultivateur et le gardien, il l’appelle non factice, mais « l’homme qu’il a fait ». Et celui-là, il le prend, mais l’autre, il le chasse. Et celui qu’il prend, il le juge digne de trois choses, en lesquelles consiste spécialement la bonté de la nature : à savoir, l’expertise, la persévérance et la mémoire. Or, l’expertise est sa position au Paradis ; la mémoire est la garde et la préservation des saintes opinions ; la persévérance est l’accomplissement du bien, l’accomplissement d’actions vertueuses. Mais l’esprit factice ne se souvient pas du bien, ni ne le fait, mais est seulement expert, et rien de plus ; c’est pourquoi, après avoir été placé au Paradis, peu de temps après, il s’enfuit et est chassé.
XVII. (56) « Et Dieu fit pousser de la terre tout arbre agréable à la vue et bon à manger, et il fit pousser l’arbre de vie au milieu du Paradis, ainsi que l’arbre de la connaissance du bien et du mal. » Il donne ici un aperçu des arbres de vertu qu’il plante dans l’âme. Et ce sont les vertus particulières, et les énergies qui leur sont associées, et les actions bonnes et réussies, et les choses que les philosophes appellent convenables ; (57) ce sont les plantes du Paradis. Néanmoins, il décrit les caractéristiques de ces mêmes arbres, montrant que ce qui est désirable à voir est également très excellent à apprécier. Car parmi les arts, certains sont théoriques et non pratiques, comme la géométrie et l’astronomie. Certains, encore, sont pratiques et non théoriques, comme l’art de l’architecte, du forgeron, et tous ceux qu’on appelle arts mécaniques. Mais la vertu est à la fois théorique et pratique ; car elle englobe la théorie, puisque la voie qui y mène est la philosophie en trois de ses parties : le raisonnement, la morale et la partie physique. Elle inclut aussi l’action ; car la vertu est l’art qui connaît la vie entière ; et dans la vie toutes les actions sont exposées. (58) Pourtant, bien qu’elle englobe à la fois la théorie et la pratique, elle n’en est pas moins excellente dans chaque point. Car la théorie de la vertu est tout à fait excellente, et sa pratique et son observation sont un objet digne d’être défendu. C’est pourquoi Moïse dit que l’arbre était agréable à la vue, ce qui est un symbole d’excellence théorique ; et également bon à manger, ce qui est un signe de bien utile et pratique.
XVIII. (59) Mais l’arbre de vie est cette vertu la plus générale que certains appellent bonté ; d’où dérivent les vertus particulières et dont elles sont composées. Et c’est pour cette raison qu’il est placé au centre du Paradis, occupant la place la plus complète de toutes, afin que, comme un roi, il puisse être gardé par les arbres de chaque côté. Mais certains disent que c’est le cœur qui est désigné par l’arbre de vie, puisqu’il est la cause de la vie, et puisqu’il a sa position au milieu du corps, comme étant, selon eux, la partie dominante du corps. Mais ces hommes doivent être conscients qu’ils exposent une doctrine qui se rapporte davantage à la médecine qu’à la science naturelle. Mais nous, comme il a été dit précédemment, affirmons que par l’arbre de vie est désignée la vertu la plus générale. (60) Et de cet arbre, Moïse dit expressément qu’il est placé au milieu du paradis ; mais quant à l’autre arbre, celui de la connaissance du bien et du mal, il n’a pas précisé s’il est à l’intérieur ou à l’extérieur du Paradis ; mais après avoir utilisé l’expression suivante, « et l’arbre de la connaissance du bien et du mal », il n’en dit pas plus, ne mentionnant pas où il est placé, afin que quiconque n’est pas initié aux principes de la philosophie naturelle ne soit pas amené à s’émerveiller de sa connaissance. (61) Que devons-nous donc dire ? Que cet arbre est à la fois dans le Paradis et aussi hors de lui. Quant à son essence, en effet, en lui ; mais quant à sa puissance, hors de lui. Comment cela ? La partie dominante de nous est capable de tout recevoir, et ressemble à la cire, qui est capable de recevoir toute impression, qu’elle soit bonne ou mauvaise. À ce propos, Jacob, ce supplanteur, confesse : « Toutes ces choses ont été faites pour moi. »[12] Car les formations et les empreintes indicibles de toutes les choses de l’univers sont toutes portées et comprises par l’âme, qui est une. Lorsque celle-ci reçoit l’empreinte de la vertu parfaite, elle devient l’arbre de vie ; mais lorsqu’elle reçoit l’empreinte du vice, elle devient alors l’arbre de la connaissance du bien et du mal, et le vice et tout mal sont bannis de la compagnie divine. Par conséquent, la puissance dominante qui l’a reçue est dans le Paradis selon son essence ; car elle contient ce caractère de la vertu, qui est apparenté au Paradis. Mais de plus, selon sa puissance, elle n’y est pas, car la forme de la vertu est incompatible avec les opérations divines ; (62) et ce que je dis ici, chacun peut le comprendre de cette manière. En ce moment, la partie dominante est dans mon corps, selon son essence, mais selon sa puissance, elle est en Italie, ou en Sicile, lorsqu’elle applique sa considération à ces pays, et dans le ciel lorsqu’elle contemple le ciel.C’est pourquoi il arrive souvent que certaines personnes, qui sont dans des lieux profanes par essence, se trouvent dans les lieux les plus sacrés, pensant à des choses qui se rapportent à la vertu. D’autres, qui sont dans les temples des dieux, sont profanes par leur esprit, parce que leur esprit subit une transformation et des impressions mauvaises. De sorte que le vice n’est ni au Paradis, ni absent. Car il est possible qu’il y soit par essence, mais il est impossible qu’il y soit par sa puissance.
XIX. (63) « Et un fleuve sort d’Éden pour arroser le Paradis. De là, il se divise en quatre bras : le nom de l’un est Pheison. C’est celui qui entoure tout le pays d’Evilat. Là est le pays où il y a de l’or, et l’or de ce pays est bon. Là sont aussi l’escarboucle et la pierre de saphir. Et le nom du second fleuve est Guihon ; c’est celui qui entoure tout le pays d’Éthiopie. Et le troisième fleuve est le Tigre. C’est le fleuve qui coule devant les Assyriens. Et le quatrième fleuve est l’Euphrate. »[13] Par ces mots, Moïse entend esquisser les vertus particulières. Et elles sont également au nombre de quatre : la prudence, la tempérance, le courage et la justice. Or, le plus grand fleuve d’où partent les quatre bras est la vertu générique, que nous avons déjà appelée bonté ; et les quatre branches représentent le même nombre de vertus. (64) La vertu générique tire donc son commencement de l’Éden, qui est la sagesse de Dieu ; qui se réjouit, exulte et triomphe, n’étant ravie et honorée pour rien d’autre, si ce n’est son Père, Dieu, et les quatre vertus particulières, sont des branches de la vertu générique, qui, comme un fleuve, arrose toutes les bonnes actions de chacun, d’un flot abondant de bienfaits. (65) Examinons les expressions de l’écrivain : « Un fleuve », dit-il, « sort de l’Éden, pour arroser le Paradis. » Ce fleuve est la bonté générique ; et celle-ci sort de l’Éden de la sagesse de Dieu, et c’est la parole de Dieu. Car c’est selon la parole de Dieu que la vertu générique a été créée. Et la vertu générique arrose le Paradis : c’est-à-dire qu’elle arrose les vertus particulières. Mais elle ne tire pas ses commencements d’un principe de localité, mais d’un principe de prééminence. Car chacune des vertus est véritablement une maîtresse et une reine. Et l’expression « est séparée » équivaut à « est délimitée par des limites fixes », car la sagesse leur assigne des limites fixes quant à ce qui doit être fait. Le courage quant à ce qui doit être enduré ; la tempérance quant à ce qui doit être choisi ; et la justice quant à ce qui doit être distribué.
XX. (66) « Le nom d’un fleuve est Pheison. C’est ce fleuve qui entoure tout le pays d’Evilat ; là est le pays où il y a de l’or. Et l’or de ce pays est bon ; là sont aussi l’escarboucle et la pierre de saphir. » L’une des quatre vertus est la prudence, que Moïse appelle ici Pheison : parce que l’âme s’abstient [14] et se prémunit contre les actes d’iniquité. Et elle serpente en cercle et coule tout autour du pays d’Evilat ; c’est-à-dire qu’elle conserve une constitution douce, bienveillante et favorable. Et comme de toutes les essences fusibles, la plus excellente et la plus illustre est l’or, de même la vertu de l’âme qui jouit de la plus haute réputation est la prudence. (67) Et quand il utilise l’expression « c’est le pays où il y a de l’or », il ne parle pas géographiquement, c’est-à-dire là où se trouve l’or, mais c’est le pays dans lequel existe ce bien précieux, brillant comme l’or, éprouvé par le feu, et précieux, à savoir la prudence. Et cela est reconnu comme étant le bien le plus précieux de Dieu.
Mais en ce qui concerne la position géographique de la vertu, il y a deux personnages, chacun doté de qualités distinctes. L’un, l’être qui possède la prudence, l’autre, l’être qui l’exerce ; et il les compare à l’escarboucle et à l’émeraude.
XXI. (68) « Le nom du second fleuve est Guihon. C’est lui qui entoure tout le pays d’Éthiopie. » Sous le symbole de ce fleuve est le courage. Car le nom de Guihon, interprété comme signifiant poitrine, ou animal qui attaque avec ses cornes ; chacune de ces interprétations est emblématique du courage. Car le courage a sa demeure près de la poitrine, où se trouve aussi le siège du cœur, et où l’homme est prêt à se défendre. Car le courage est la connaissance de ce à quoi il faut résister, de ce à quoi il ne faut pas résister, et de ce qui est indifférent. Et il encercle et entoure l’Éthiopie, lui faisant des démonstrations de guerre ; et le nom d’Éthiopie, interprété comme signifiant humiliation. Et la lâcheté est une chose humiliante ; mais le courage est contraire à l’humiliation et à la lâcheté. (69) « Et le troisième fleuve est le Tigre ; c’est celui qui coule devant l’Assyrie. » La troisième vertu est la tempérance, qui s’oppose résolument à ce genre de plaisir qui semble être la directrice de l’infirmité humaine. Car la traduction du nom Assyriens en grec est euthynontes, (directeurs). Et il a comparé le désir à un tigre, qui est la plus indomptable des bêtes ; c’est le désir dont la tempérance s’occupe.
XXII. (70) Il convient donc de se demander pourquoi le courage a été présenté comme la seconde vertu, la tempérance comme la troisième, et la prudence comme la première ; et pourquoi Moïse n’a pas également expliqué le cours de l’action des autres vertus. Or, il faut comprendre que notre âme est divisée en trois parties : l’une est rhétorique ; l’autre passionnelle ; et la troisième, celle où naissent les désirs. Or, nous constatons que la place et la demeure propres à la partie raisonnante de l’âme sont la tête ; la partie passionnée, la poitrine ; et la partie où naissent les désirs, l’estomac. Et nous constatons que des vertus appropriées sont adaptées à chacune de ces parties. À la partie rationnelle, la prudence ; en elle réside la raison, qui a pour fonction de savoir ce que l’on peut faire et ce que l’on ne doit pas faire. La vertu de la partie passionnée de l’âme est le courage ; et celle de la partie appétitive, la tempérance. Car c’est par la tempérance que nous remédions et guérissons les appétits. (71) Car, comme la tête est la partie principale et supérieure de l’animal, la poitrine la deuxième, et le foie la troisième, tant par son importance que par sa position ; de même, dans l’âme, la première est la partie rationnelle, la seconde la partie passionnée, et la troisième la partie appétitive. De même encore, parmi les vertus ; la première est celle qui s’occupe de la première partie de l’âme, qui est la partie raisonnante, et qui en même temps a sa demeure dans la tête du corps ; en bref, c’est la prudence. Et la seconde des vertus est le courage, car elle s’occupe de la seconde partie de l’âme, à savoir la passion, et a sa demeure dans la seconde partie du corps, à savoir, dans la poitrine. Et la troisième vertu est la tempérance, qui est placée dans l’estomac qui est la troisième partie du corps, et elle s’occupe de la partie appétitive, à laquelle a été attribuée la troisième partie de l’âme, comme étant son sujet.
XXIII. (72) « Et le quatrième fleuve », poursuit Moïse, « est le fleuve Euphrate. » Et ce nom Euphrate signifie fertilité ; et pris symboliquement, il s’agit de la quatrième vertu, à savoir la justice, qui est véritablement une vertu productive et qui réjouit l’intellect. Quand donc cela se produit-il ? Lorsque les trois parties de l’âme sont toutes en harmonie les unes avec les autres ; et l’harmonie entre elles est en réalité la prédominance de la plus importante ; comme par exemple, lorsque les deux parties inférieures, la partie passionnée et la partie appétitive, sont disposées à céder le pas à la partie supérieure, alors la justice existe. Car il est juste que la meilleure partie règne en tout temps et en tout lieu, et que la partie inférieure soit gouvernée. Or, la partie rationnelle est la meilleure partie, et les parties appétitive et passionnée sont les parties inférieures. (73) Mais lorsque, au contraire, la passion et l’appétit s’emportent et désobéissent aux rênes, et que, par la violence de leur impétuosité, ils rejettent et négligent le cocher, c’est-à-dire la raison, et que chacune de ces passions s’empare elle-même des rênes, alors il y a injustice. Car il est inévitable que, par l’ignorance ou le vice du cocher, le char soit entraîné dans des précipices et tombe dans l’abîme ; tout comme il doit être sauvé lorsque le cocher est doué d’habileté et de vertu.
XXIV. (74) Examinons à nouveau le sujet sous cet angle. Pheison, interprété comme le changement de la bouche ; et Evilat signifie enfanter, et ces deux noms désignent la prudence. Car on pense généralement qu’un homme est prudent, inventeur d’expressions sophistiques et habile à expliquer ce qu’il a conçu dans son esprit. Mais Moïse considérait un tel homme comme un homme friand de mots, mais nullement comme un homme prudent. Car dans le changement de la bouche, c’est-à-dire dans la capacité de parler et d’expliquer ses idées, se manifeste la prudence. Or, la prudence n’est pas un certain degré d’acuité dans le langage, mais une habileté qui se manifeste dans les actes et dans les actions sérieuses. (75) Et la prudence entoure Evilat, qui est en travail, comme d’une muraille, afin de l’assiéger et de la détruire. Et « enfanter » est un nom particulièrement approprié pour la folie, car l’esprit insensé, toujours désireux de l’inatteignable, est en tout temps en travail. Lorsqu’il désire l’argent, il est en travail, de même lorsqu’il a soif de gloire, ou lorsqu’il est avide de plaisir, ou de toute autre chose. (76) Mais, bien que toujours en travail, il n’enfante jamais. Car l’âme de l’homme sans valeur n’est pas calculée par nature pour amener à la perfection quoi que ce soit qui soit susceptible de vivre. Mais tout ce qu’elle semble enfanter se révèle être avorté et immature. « Mangeant la moitié de sa chair, et étant comme une mort de l’âme. »[15] C’est pourquoi cette sainte parole d’Aaron supplie le pieux Moïse, qui était aimé de Dieu, de guérir la lèpre de Myriam, afin que son âme ne soit pas occupée à enfanter des choses mauvaises. Et en conséquence il dit : « Qu’elle ne devienne pas semblable à la mort, comme un avorton sortant du ventre de sa mère, et qu’elle ne dévore pas la moitié de sa propre chair. »[16]
XXV. (77) « C’est là, dit Moïse, le pays où il y a de l’or. » Il ne dit pas que c’est le seul endroit où il y a de l’or, mais simplement que c’est le pays où il y a de l’or. Car la prudence, qu’il a comparée à l’or, étant d’une nature exempte de tromperie, et pure, et éprouvée par le feu, et entièrement éprouvée, et honorable, existe là dans la sagesse de Dieu. Et étant là, elle n’est pas une possession de la sagesse, mais quelque chose appartenant au Dieu qui en est le créateur et le propriétaire, dont cette sagesse est également l’œuvre et la possession. (78) « Et l’or de ce pays est bon. » Y a-t-il donc un autre or qui ne soit pas bon ? Sans aucun doute ; car la nature de la prudence est double, il y a une prudence générale, et une autre particulière. C’est pourquoi la prudence qui est en moi, étant une prudence particulière, n’est pas bonne ; car lorsque je périrai, elle périra aussi avec moi ; mais la prudence générale ou universelle, dont la demeure est la sagesse de Dieu et la maison de Dieu, est bonne ; car elle est elle-même impérissable, et elle habite dans une demeure impérissable.
XXVI. (79) « Il y a aussi l’escarboucle et l’émeraude. » Les deux êtres dotés de qualités distinctes, l’homme prudent et l’homme qui agit prudemment, ddiffèrent l’une de l’autre ; l’une agissant selon la prudence, l’autre agissant avec sagesse selon les règles de la sagesse. Car c’est à cause de ces deux êtres ainsi dotés de qualités distinctes que Dieu a implanté la prudence et la vertu dans l’homme né sur terre. À quoi cela aurait-il servi, s’il n’y avait pas eu de facultés de raisonnement pour la recevoir et en imprimer la forme ? Ainsi, la vertu est très justement associée à la prudence, et l’homme prudent est justement associé à celui qui fait preuve de prudence dans ses actions ; les deux sont comme deux pierres précieuses. (80) Et ne pourraient-ils pas être Juda et Issacar ? Car l’homme qui met en pratique la prudence de Dieu se reconnaît tenu d’éprouver de la gratitude, et de la ressentir envers celui qui lui a donné le bien sans réticence ; et il accomplit également des actions honorables et vertueuses. Ainsi, Juda est le symbole d’un homme qui fait cette confession « à l’égard de qui Léa a cessé d’avoir des enfants ».[17] Mais Issacar est le symbole de l’homme qui fait de bonnes actions, « Car il a tendu[18] son épaule pour travailler et est devenu un homme qui cultive la terre. » À propos de celui dont Moïse dit que le salaire est dans son âme après qu’il a été semé et planté, de sorte que son travail n’est pas imparfait, mais est plutôt couronné et honoré d’une récompense par Dieu. (81) Et qu’il fait mention de ces choses, il le montre en parlant d’autres sujets ; en décrivant le vêtement, qui arrivait aux pieds, il dit : « Et tu y tisseras des ensembles de pierres sur quatre rangées. La rangée de pierres sera la pierre de sardoine, la topaze et l’émeraude seront la première rangée. » Ruben, Siméon et Lévi sont ici visés. « Et la deuxième rangée », dit-il, « sont l’escarboucle et le saphir. »[19] Et le saphir est la même chose que la pierre verte. Et sur l’escarboucle était inscrit le nom de Juda, car il était le quatrième fils ; et sur le saphir le nom d’Issacar. (82) Pourquoi alors, comme il avait appelé le saphir la pierre verte, n’a-t-il pas aussi parlé de la pierre rouge ? Parce que Juda, en tant que type d’une disposition encline à la confession, est un être immatériel et incorporel. Car le nom même de confession (exomologe—seo—s) montre qu’il s’agit d’une chose extérieure à (ektos) lui-même. Car lorsque l’esprit est hors de lui-même et s’élève vers Dieu, comme le fit le rire d’Isaac, alors il fait une confession à celui qui seul a une existence réelle. Mais tant qu’il se considère comme la cause de quelque chose, il est loin de s’abandonner à Dieu et de se confesser à lui. Car cet acte même de confession doit être considéré comme l’œuvre non de l’âme, mais de Dieu qui lui enseigne ce sentiment de gratitude. Ainsi, Juda, qui pratique la confession, est un être immatériel.(83) Or, Issacar, qui sortait de l’accouchement, avait besoin de matière corporelle ; car, s’il en était autrement, comment un homme studieux pourrait-il lire sans ses yeux ? Et comment quelqu’un pourrait-il entendre des paroles l’exhortant à une cause quelconque, s’il n’était pas doué d’ouïe ? Et comment pourrait-il se procurer de la nourriture et de la boisson sans un ventre, et sans un art prodigieux exercé à cela ? Et c’est pour cela qu’il a été comparé à une pierre précieuse. (84) De plus, les couleurs des deux sont différentes. Car la couleur d’un charbon en feu est semblable à celle de l’homme qui est enclin à la confession : car il est enflammé par la gratitude envers Dieu, et il est enivré d’une certaine ivresse sobre ; mais la couleur de la pierre verte est plus appropriée à l’homme qui travaille encore : car ceux qui se consacrent à un travail constant sont pâles à cause de la nature épuisante du travail, et aussi à cause de leur peur de ne peut-être pas atteindre le but de leur souhait tel qu’il est souhaité dans leurs prières.
XXVII. (85) Il convient de se demander pourquoi les deux fleuves, le Pheison et le Guihon, entourent certains pays, l’un entourant Evilat, et l’autre l’Éthiopie, alors qu’aucun des deux autres fleuves n’est représenté comme englobant un pays. On dit en effet que le Tigre coule devant le pays des Assyriens, mais l’Euphrate n’est mentionné en rapport avec aucun pays. Et pourtant, en réalité, l’Euphrate entoure certains pays, et en a plusieurs également devant lui. Mais la vérité est que l’écrivain sacré ne parle pas ici du fleuve, mais de la correction des mœurs. (86) Il est donc nécessaire de dire que la prudence et le courage sont capables d’élever un mur et un cercle de fortification contre les maux opposés, la folie et la lâcheté, et de les faire prisonniers : car tous deux sont impuissants et faciles à prendre. Car l’insensé est facilement vaincu par le prudent ; et le lâche succombe devant l’homme vaillant. Mais la tempérance est incapable de maîtriser l’appétit et le plaisir ; ce sont des adversaires redoutables et difficiles à dompter. Ne voyez-vous pas que même les hommes les plus tempérants sont contraints par les nécessités de leur corps mortel à rechercher la nourriture et la boisson ; et c’est dans ces choses que résident les plaisirs du ventre. Il faut donc se contenter de lutter contre le genre appétit. (87) Et c’est pour cette raison que le Tigre est représenté comme coulant devant les Assyriens, c’est-à-dire que la tempérance est en face du plaisir. Mais la justice, selon laquelle l’Euphrate est représenté, n’assiège personne, ne trace aucune ligne de circonvallation autour de personne, et ne s’oppose à personne ; pourquoi ? Car la justice s’occupe de la répartition des biens selon le mérite, et ne se pose ni en accusateur ni en défendeur, mais agit en juge. Ainsi, de même qu’un juge ne cherche à vaincre personne, ni à s’opposer ni à faire la guerre à qui que ce soit, mais donne son avis et juge en statuant selon le droit, de même la justice, n’étant l’adversaire de personne, distribue à chacun ce qui lui est dû.
XXVIII. (88) « Et le Seigneur Dieu prit l’homme qu’il avait fait et le plaça dans le paradis, pour le cultiver et le garder. » L’homme que Dieu a fait diffère de l’homme factice, comme je l’ai dit précédemment. Car l’esprit factice est quelque peu terrestre ; mais l’esprit créé est plus pur et plus immatériel, n’ayant aucune participation à aucune matière périssable, mais ayant reçu une constitution plus pure et plus simple. (89) C’est pourquoi Dieu prend cet esprit pur, ne lui permettant pas de sortir de lui-même, et après l’avoir pris, il le place parmi les vertus qui sont fermement enracinées et qui bourgeonnent bien, afin qu’il les cultive et les garde. Car beaucoup d’hommes qui étaient à l’origine des pratiquants de la vertu, lorsqu’ils arrivent à la fin, tombent ; Mais celui à qui Dieu donne une connaissance durable est également doté par lui de ces deux qualités : la disposition à cultiver les vertus et la résolution de ne jamais les abandonner, mais de toujours les cultiver et les préserver. Moïse utilise donc ici l’expression « cultiver » comme équivalent à « agir », et le mot « préserver » au lieu de « se souvenir ».
XXIX. (90) « L’Éternel Dieu donna cet ordre à Adam : Tu pourras manger de tous les arbres du paradis ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ; mais le jour où tu en mangeras, tu mourras. » On peut se demander ici à quel genre d’Adam il a donné cet ordre et qui était cet Adam. Car Moïse ne l’a jamais mentionné auparavant ; mais c’est la première fois qu’il le nomme. Devons-nous alors penser qu’il désire vous fournir le nom de l’homme factice ? « Et il l’appelle », poursuit Moïse, « Terre ». Car c’est l’interprétation du nom d’Adam. Par conséquent, lorsque vous entendez le nom d’Adam, vous devez penser qu’il est un être terrestre et périssable ; car il est fait selon une image, n’étant pas terrestre mais céleste. (91) Mais il faut se demander comment, après avoir donné des noms à tous les autres animaux, il ne s’en est pas donné un à lui-même. Que dire alors de cela ? L’esprit qui est en chacun de nous est capable de comprendre toutes les autres choses, mais n’a pas la capacité de se comprendre lui-même. Car, comme l’œil voit toutes les autres choses, mais ne peut se voir lui-même, de même l’esprit perçoit la nature des autres choses, mais ne peut se comprendre lui-même. Car s’il le fait, qu’il nous dise ce que c’est, ou de quelle sorte de chose il s’agit, si c’est un esprit, ou du sang, ou du feu, ou de l’air, ou toute autre substance ; ou même seulement si c’est une substance tout court, ou quelque chose d’incorporel. Ne sont-ils donc pas naïfs ceux qui spéculent sur l’essence de Dieu ? Car comment ceux qui ignorent la nature de l’essence de leur propre âme pourraient-ils avoir une connaissance exacte de l’âme de l’univers ? Car l’âme de l’univers est, selon notre définition, Dieu.
XXX. (92) Il est donc tout naturel qu’Adam, c’est-à-dire l’esprit, lorsqu’il donnait des noms aux autres animaux et manifestait sa compréhension de ceux-ci, ne se soit pas donné de nom à lui-même, car il ignorait lui-même et sa propre nature. Un commandement est certes donné à l’homme, mais non à l’homme créé à l’image et à l’idée de Dieu ; car cet être possède la vertu sans aucun besoin d’exhortation, par sa propre nature instinctive, mais cet autre n’aurait pas la sagesse si elle ne lui avait pas été enseignée : (93) et ces trois choses sont différentes : commandement, interdiction et recommandation. Car l’interdiction s’occupe des erreurs et s’adresse aux hommes mauvais, mais le commandement s’occupe des choses bien faites ; la recommandation, quant à elle, s’adresse aux hommes de caractère intermédiaire, ni mauvais ni bons. Car un tel homme ne pèche pas au point d’être défendu, et il n’agit pas toujours conformément à la droite raison. Mais il a besoin d’une recommandation qui lui enseigne à s’abstenir du mal et l’exhorte à tendre au bien. (94) Il n’est donc pas nécessaire d’adresser ni commandement, ni interdiction, ni recommandation à l’homme parfait, créé à l’image de Dieu, car l’homme parfait n’a besoin de rien de tout cela ; mais il est nécessaire d’adresser à la fois commandement et interdiction au méchant, et recommandation et instruction à l’ignorant. De même que le parfait grammairien ou le parfait musicien n’ont besoin d’aucune instruction dans les matières qui appartiennent à leur art, l’homme dont les théories sur ces sujets sont imparfaites a besoin de certaines règles, pour ainsi dire, qui contiennent en elles-mêmes commandements et interdictions, et celui qui ne fait qu’apprendre l’art a besoin d’instruction. (95) Il est donc tout naturel que Dieu adresse actuellement ses commandements et ses recommandations à l’esprit terrestre, qui n’est ni bon ni mauvais, mais d’un caractère intermédiaire. Et recommandation est employée dans les deux noms, celui du Seigneur et celui de Dieu. Car le Seigneur Dieu a ordonné que si l’homme obéissait à ses recommandations, il serait jugé digne de recevoir des bienfaits de Dieu ; mais s’il rejetait ses avertissements, il serait alors chassé et détruit par le Seigneur, comme son Maître et celui qui avait autorité sur lui. (96) C’est pourquoi, lorsqu’il est chassé du Paradis, Moïse répète les mêmes noms ; car il dit : « Et le Seigneur Dieu le renvoya du Paradis de félicité, pour cultiver la terre d’où il avait été enlevé. »[20] Afin que, puisque le Seigneur lui avait imposé ses commandements comme son Maître, et Dieu comme son Bienfaiteur, il puisse maintenant, sous ces deux caractères, le châtier pour leur avoir désobéi ; car ainsi,par la même puissance par laquelle il l’avait exhorté, il le bannit aussi, maintenant qu’il est désobéissant.
XXXI. (97) Et les recommandations qu’il lui adresse sont les suivantes : « De tout arbre qui est dans le Paradis, tu peux manger librement. »[21] Il exhorte l’âme de l’homme à tirer profit non pas d’un seul arbre ni d’une seule vertu, mais de toutes les vertus ; car manger est un symbole de la nourriture de l’âme, et l’âme est nourrie par la réception de bonnes choses et par la réalisation d’actions louables. (98) Et Moïse ne dit pas seulement : « tu peux manger », mais il ajoute aussi « librement » ; c’est-à-dire qu’après avoir moulu et préparé ta nourriture, non pas comme un individu ordinaire, mais comme un lutteur, tu acquerras ainsi force et vigueur. Car les entraîneurs recommandent aux lutteurs de ne pas couper leur nourriture en gros morceaux, mais de la mastiquer lentement, afin qu’elle contribue à leur force ; car moi et un athlète sommes nourris de manières différentes. Car moi, je mange uniquement pour vivre, tandis que le lutteur mange pour se nourrir et en tirer des forces ; c’est pourquoi l’une de ses règles d’entraînement est de mastiquer sa nourriture. C’est le sens de l’expression : « Tu peux manger librement. » (99) Essayons encore de l’expliquer de manière encore plus précise. Honorer ses parents est une chose nourrissante et précieuse. Mais les bons et les méchants les honorent de manières différentes. Car l’un le fait par habitude, comme mangent ceux qui ne mangent pas librement, mais qui se contentent de manger. Quand donc mangent-ils aussi librement ? Lorsqu’après avoir examiné et développé les causes des choses, ils forment un jugement volontaire que cela est bon, et les causes de leur alimentation libre, c’est-à-dire de leur honneur envers leurs parents dans un esprit convenable, sont : ils sont devenus nos parents ; ils nous ont nourris ; ils nous ont instruits ; ils ont été pour nous la cause de tous nos biens. De nouveau, honorer le Dieu vivant est symboliquement représenté par manger. Mais manger « librement » signifie manger avec une explication claire et précise de la situation et des causes exactes.
XXXII. (100) « Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, il ne mangera pas. » Cet arbre n’est donc pas au Paradis. Car Dieu les encourage à manger de tout arbre qui est au Paradis. Mais lorsqu’il leur interdit de manger de cet arbre, il est clair qu’il n’est pas au Paradis ; et cela est conforme à la philosophie naturelle. Car il y est par essence, comme je l’ai déjà dit, et il n’y est pas par puissance. Car, comme dans la cire il y a potentiellement plusieurs sceaux, mais en réalité un seul qui y a été gravé, de même dans l’âme, qui ressemble à la cire, toutes les empreintes sont potentiellement contenues ; mais en réalité, une seule caractéristique qui y est imprimée la possède, jusqu’à ce qu’elle soit effacée par une autre qui laisse une empreinte plus profonde et plus visible. (101) Là encore, cela aussi peut faire l’objet d’une question. Lorsque Dieu recommande aux hommes de manger de tous les arbres du Paradis, il adresse son exhortation à un seul individu ; mais lorsqu’il lui interdit de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, il lui parle comme à plusieurs. Car dans le premier cas, il dit : « Tu peux manger de tous » ; mais dans le second cas : « Vous n’en mangerez pas » ; et « Le jour où vous mangerez », et non « tu mangeras » ; et « Vous mourrez », et non « Tu mourras ». (102) Nous devons donc dire ceci : le premier bien est rare, accordé à peu de personnes ; mais le mal est vaste. C’est pourquoi il est difficile de trouver un seul homme sage et fidèle, mais le nombre des hommes mauvais est incalculable. C’est donc très justement que Dieu n’adresse pas à un seul individu son exhortation à se nourrir des vertus, mais qu’il encourage beaucoup à s’abstenir de toute méchanceté extravagante ; car d’innombrables hommes y sont adonnés. (103) En second lieu, pour comprendre et adopter la vertu, l’homme n’a besoin que d’une seule chose : la raison. Or, le corps non seulement n’y coopère pas du tout, mais il empêche même la raison d’y progresser. Car on peut presque dire que la tâche propre de la sagesse est de s’aliéner le corps et de former les appétits corporels. Or, pour jouir du mal, il est non seulement nécessaire à l’homme d’avoir un certain esprit, mais aussi des sens, de la raison et un corps. (104) Car l’homme mauvais a besoin de toutes ces choses pour parachever sa propre méchanceté. Car comment pourra-t-il divulguer les mystères sacrés s’il n’a pas l’organe de la voix ? Et comment pourra-t-il s’adonner aux plaisirs s’il est privé du ventre et des organes de la sensation ? C’est donc à juste titre que Moïse s’adresse à la raison seule au sujet de l’acquisition de la vertu, car la raison est, comme je l’ai déjà dit,La seule chose nécessaire à l’établissement de la vertu. Mais pour s’adonner au vice, l’homme a besoin de plusieurs choses : l’âme, la raison et les sens externes du corps ; car c’est par tous ces organes que le vice se manifeste.
XXXIII. (105) C’est pourquoi Dieu dit : « Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort. » Et pourtant, bien qu’ils en aient mangé, non seulement ils ne meurent pas, mais ils engendrent même des enfants et sont causes de vie pour d’autres êtres qu’eux-mêmes. Que dire alors ? Assurément, la mort est de deux sortes : l’une est la mort de l’homme, l’autre la mort particulière de l’âme. Or, la mort de l’homme est la séparation de son âme d’avec son corps, tandis que la mort de l’âme est la destruction de la vertu et l’admission du vice. (106) et par conséquent Dieu appelle cela non seulement « mourir », mais « mourir la mort », montrant ainsi qu’il ne parle pas de la mort commune, mais de cette mort particulière et spéciale qu’est la mort de l’âme, ensevelie dans ses passions et dans toutes sortes de maux. Et nous pouvons presque dire qu’une sorte de mort est opposée à l’autre. Car l’une est la séparation de ce qui existait auparavant en combinaison, à savoir le corps et l’âme. Mais cette autre mort, au contraire, est une combinaison des deux, l’inférieure, le corps, ayant la prédominance, et la supérieure, l’âme, lui étant soumise. (107) Lorsque donc Dieu dit : « mourir de mort », vous devez remarquer qu’il parle de cette mort qui est infligée en punition, et non de celle qui existe par l’ordonnance originelle de la nature. La mort naturelle est celle par laquelle l’âme est séparée du corps. Mais celle qui est infligée en punition, c’est lorsque l’âme meurt selon la vie de la vertu, et ne vit que selon la vie du vice. (108) C’est donc bien ainsi qu’Héraclite a dit, suivant la doctrine de Moïse ; Car il dit : « Nous vivons selon la mort de ces hommes, et nous sommes morts selon leur vie. » Comme s’il disait : « Or, lorsque nous sommes vivants, nous le sommes, bien que notre âme soit morte et ensevelie dans notre corps, comme dans un tombeau. Mais si elle mourait, alors notre âme vivrait selon sa propre vie, étant libérée du corps mauvais et mort auquel elle est liée. »
Genèse 2:1. ↩︎
c’est-à-dire Minerve. ↩︎
Genèse 2:2. ↩︎
Nombres 6:9. ↩︎
Genèse 2:4. ↩︎
Genèse 1:2. ↩︎
Exode 7:1. ↩︎
Genèse 2:8. ↩︎
Deutéronome 16:21. ↩︎
Genèse 2:8. ↩︎
Genèse 2:15. ↩︎
Genèse 42:36. ↩︎
Genèse 2:13. ↩︎
pheiso — n de pheidomai, épargner ou s’abstenir de. ↩︎
Nombres 12:12. ↩︎
Nombres 12:13. ↩︎
Genèse 29:35. ↩︎
Genèse 49:15. ↩︎
Exode 28:17. ↩︎
Genèse 3:23. ↩︎
Genèse 2:16. ↩︎