Emil Schürer commente : « Περι προνοιας. De providentia. — Le titre dans Euseb. H. E. ii. 18. 6 ; Praep. evang. vii. 20 fin., viii. 13 fin. L’ouvrage n’est conservé qu’en arménien et a été publié par Aucher avec une traduction latine. Deux fragments grecs, un plus petit et un très grand, se trouvent dans Euseb. Praep. evang. vii. 21 et viii. 14. Le texte arménien comprend deux livres. Cependant, le premier, bien qu’authentique dans son ensemble, n’a été conservé que sous une forme abrégée et, dans certaines parties, retouchée. Eusèbe semble n’avoir connu que le second ; au moins les deux fragments appartiennent à ce livre et sont introduits par Eusèbe avec la formule εν τω (Sing.) περι προνοιας. Dans l’Histoire ecclésiastique, la lecture oscille entre το περι προνοιας et τα περι προνοιας. Il y a aussi des citations dans Johannes Damascenus et Johannes Monachus ineditus. (La littérature du peuple juif au temps de Jésus, pp. 354-355)
FH Colson écrit (Philo, vol. 9, pp. 447-450) :
Comme indiqué dans la Préface, les fragments du De Providentia rapportés par Eusèbe se distinguent des extraits des Hypothetica, car non seulement eux, mais l’intégralité du traité dont ils font partie existent en version arménienne. Il se compose de deux livres, tous deux initialement rédigés sous la forme d’un dialogue entre Philon, qui soutient la croyance que le monde est gouverné par la Providence, et un certain Alexandre, qui expose ses doutes et ses difficultés. Cet Alexandre peut être considéré avec une certaine certitude comme le neveu de Philon, Alexandre Tibère, qui a par la suite apostasié le judaïsme.
Comme les extraits d’Eusèbe sont tous tirés du deuxième livre, nous n’avons pas besoin de nous intéresser au premier livre, beaucoup plus court. Il suffira de consigner le verdict de Wendland sans nécessairement l’accepter dans son intégralité. Voici ce qu’il en est. Il a été retravaillé par une main maladroite qui a détruit le cadre interlocutoire et arraché les pensées à leur ordre essentiel ; il comprend deux importantes interpolations chrétiennes, mais reste par ailleurs authentiquement philonien. Le deuxième livre, deux fois plus long, ne présente pas de telles difficultés. Le dialogue est clairement maintenu d’un bout à l’autre. Rien ne suggère une interpolation, et le parallélisme de pensée et de langage, du moins dans la partie dont l’original est conservé par Eusèbe, témoigne de son authenticité. Cela est particulièrement vrai pour la première partie du deuxième fragment. Il est donc très remarquable qu’il soit plus dépourvu de traces de judaïsme que le Quod Omn. Prob. et le De Aet. Il n’y a aucune allusion à l’Ancien Testament, ni aucune mention de Moïse ; Le seul fait suggérant que l’auteur est juif est l’allusion personnelle à sa visite à Jérusalem via Ascalon (§ 64). Cela a naturellement suscité des doutes chez les critiques qui ne se sont pas familiarisés avec les pensées et le style de Philon, mais l’analyse approfondie de Wendland et son recueil de parallèles ne manqueront pas de convaincre les plus sceptiques. Même sans cela, tout lecteur attentif de Philon aura constamment le sentiment, en parcourant le texte grec du De Providentia, d’avoir déjà vu quelque chose de semblable, sans pouvoir préciser où le trouver.
Eusèbe a enregistré environ les deux tiers des réponses de Philon à l’argument d’Alexandre, mais de l’argument lui-même, seulement la première section de ce texte, et même cela, il le présente comme s’il s’agissait d’une déclaration de Philon lui-même sur les objections que les opposants pourraient apporter - il y a des utilisations occasionnelles d’une deuxième personne du singulier, mais sinon il n’y a pratiquement rien qui suggère un dialogue.
L’omission des arguments de l’adversaire n’est sérieusement ressentie ni dans le court extrait donné ici comme fragment (1), ni dans la longue réponse à l’argument selon lequel la Providence, si elle existe, traite trop mal les bons et trop bien les méchants. Car c’est une difficulté ressentie à toutes les époques et probablement présente dans toute la littérature depuis Job et Asaph. Philon a su manipuler, même s’il n’a pas entièrement inventé, le rôle joué par Alexandre, et il ne semble pas avoir traité son adversaire équitablement en lui faisant citer en exemple la bonne fortune du méchant Polycrate, finalement empalé, et de Denys, dont la vie d’anxiété perpétuelle était proverbiale. Dans la seconde partie de cet extrait, les choses sont assez différentes et la suppression des difficultés d’Alexandre rend le discours décousu. Les références par exemple au pays des Cyclopes, aux habitudes des hirondelles, des serpents et des crocodiles semblent un ramassis de choses chaotiques jusqu’à ce que nous nous tournions vers l’argumentation à laquelle elles répondent.
Pour une compréhension complète de cette partie de l’extrait, la première partie de la version arménienne est précieuse. Quelle est sa valeur dans la partie où le grec et l’arménien se côtoient ? En tant que traduction, elle est minime, et elle ne le serait pas non plus beaucoup, même si le latin d’Aucher était toujours intelligible, ou si nous étions certains qu’il avait toujours rendu l’arménien avec exactitude. Mais pour la détermination du texte, elle a une valeur que semblent avoir ignorée les éditeurs de la Praeparatio. Là où le latin correspond étroitement au grec, on trouve souvent un mot ou une expression qui indique clairement une variante du texte de tout ou partie des manuscrits d’Eusèbe et constitue une autorité indépendante importante. On en trouvera plusieurs exemples dans les notes.
Ce qui a été dit dans l’introduction de Quod Omn. Prob., qu’on peut probablement l’attribuer à une étape antérieure de la vie spirituelle de Philon, lorsque son esprit était plus occupé par la philosophie grecque et qu’il ne s’était pas encore attelé à sa grande tâche d’interpréter le Pentateuque à la lumière de cette philosophie, peut être dit de ce traité et aussi du De Aet. si c’est son œuvre.
D’après Eusèbe, PE 8.14.386-399
Voilà donc ce que l’on peut dire sur la création du monde. Le même homme, dans son traité sur la Providence, énonce un grand nombre de choses nouvelles et audacieuses sur la prudence dans l’univers. Il commence par présenter les propositions des athées, puis répond à chacune d’elles dans l’ordre. Je vais maintenant extraire quelques-uns des arguments qu’il avance, même s’ils peuvent paraître longs, car ils sont néanmoins nécessaires et importants, et en abrègent la plupart.
(1) Il mène maintenant son argumentation de cette manière ; voici ses paroles.
Dites-vous donc qu’il y a une providence dans une telle confusion et un tel désordre ? Car, en effet, laquelle des circonstances et des événements de la vie humaine est réglée par un principe ou un ordre ? Laquelle d’entre elles n’est pas pleine de toutes sortes d’irrégularités et de destructions ? Êtes-vous le seul à ignorer que des bienfaits en abondance sont accordés aux plus méchants et aux plus indignes des hommes ? Tels, par exemple, la richesse, une haute réputation, l’honneur aux yeux du public, l’autorité ? De plus, la santé, un bon état des sens, la beauté, la force et la jouissance sans entrave de tous les biens, grâce à une abondance de provisions, de ressources et de préparatifs de toute sorte, et grâce à une heureuse fortune et à un bon état physique ? Mais tous ceux qui aiment et pratiquent la sagesse, la prudence et toutes les vertus, chacun d’eux, je pourrais presque dire, sont pauvres, inconnus, sans gloire et dans une condition médiocre.
(2) Après avoir dit cela au sujet des circonstances extérieures et d’un grand nombre d’autres choses affectant ces hommes, il procède immédiatement à la réfutation des objections de ses adversaires par les arguments suivants.
Dieu n’est pas un tyran qui pratique la cruauté et la violence et tous les autres actes d’autorité insolente comme un maître inexorable, mais il est plutôt un souverain investi d’une autorité humaine et légale, et comme tel il gouverne tout le ciel et le monde entier conformément à la justice. (3) Et il n’y a pas de forme d’adresse avec laquelle un roi puisse être salué plus convenablement que le nom de père ; car ce que, dans les relations humaines, les parents sont à leurs enfants, ce que les souverains le sont aussi à leurs États, et Dieu envers le monde, ayant adapté ces deux plus belles choses par les lois immuables de la nature, par une union indissoluble, à savoir l’autorité du chef avec le soin anxieux d’un parent ; (4) car comme les parents ne sont pas entièrement indifférents même aux enfants mal élevés, mais ayant compassion de leurs dispositions malheureuses, ils sont attentifs et soucieux de leur bien-être, considérant comme un acte d’ennemis implacables et irréconciliables d’insulter et d’accroître leurs malheurs, mais comme le rôle des amis et des parents d’alléger leurs désastres : (5) et en effet, dans l’excès de leur libéralité, ils donnent même plus à ces enfants qu’à ceux qui ont toujours été bien conduits, sachant bien que pour ces derniers leur propre modération est à tout moment une ressource abondante et un moyen de richesses, mais que les autres n’ont d’autre espoir que dans leurs parents, et que s’ils sont déçus en cela, ils seront dépourvus même du nécessaire de la vie.
(6) De même, Dieu, qui est le père de toute intelligence rationnelle, prend soin de tous les êtres doués de raison et exerce un pouvoir providentiel pour la protection même de ceux qui vivent de manière blâmable, leur donnant en même temps l’occasion de corriger leurs erreurs, et néanmoins ne violant pas les préceptes de sa propre nature miséricordieuse, dont la vertu et l’humanité sont les accompagnatrices régulières, étant disposé à avoir leur demeure dans le monde créé par Dieu ; (7) ce seul argument, ô mon âme, prends-le pour toi et accumule-le en toi-même comme un dépôt sacré, et cet autre aussi comme cohérent et en parfaite harmonie avec lui. Ne vous laissez jamais tromper et ne vous éloignez pas de la vérité au point de croire qu’un méchant est heureux, même s’il est plus riche que Crésus, plus perspicace que Lycée, plus puissant que Milon de Crotène et plus beau que Ganymède.
« Que les dieux immortels, pour l’amour de la beauté,
S’est élevé de la terre vile au ciel,
« Être l’échanson du puissant Jupiter. »[1]
(8) Ainsi, un tel homme, ayant montré que son propre démon, je veux dire son propre esprit, est l’esclave de dix mille mille maîtres différents, tels que l’amour, l’appétit, le plaisir, la peur, la douleur, la folie, l’intempérance, la lâcheté, l’injustice, il ne peut jamais être heureux, même si la multitude, étant complètement égarée et privée de son jugement, le pensait ainsi, étant corrompu par un double mal, l’orgueil et la vaine opinion, par lesquels les âmes sans lest doivent infailliblement être ballottées et chassées de leur cours ; car ces maux, plus que tous les autres, nuisent à la multitude principale de l’humanité.
(9) Si donc, fixant les yeux de l’esprit fermement sur la vérité, vous êtes enclin à contempler la providence de Dieu autant que les forces de la raison humaine sont capables de le faire, alors, lorsque vous aurez atteint une conception plus étroite du vrai et seul bien, vous vous moquerez de ces choses qui appartiennent aux hommes et que vous avez admirées pendant un certain temps ; car ce qui est pire est toujours honoré en l’absence de ce qui est meilleur, car il usurpe alors sa place ; mais lorsque ce qui est meilleur apparaît, alors ce qui est pire se retire et se contente du second prix. (10) C’est pourquoi, admirant cette excellence et cette beauté divines, vous percevrez certainement qu’aucune des choses mentionnées précédemment n’a été jugée digne de la meilleure part par Dieu. C’est pourquoi les mines d’argent et d’or sont la partie la plus sans valeur de la terre, qui est totalement et entièrement impropre à la production de fruits et de nourriture ; (11) Car l’abondance des richesses n’est pas comme la nourriture, chose sans laquelle on ne peut vivre. Et la grande et évidente preuve de toutes ces choses, c’est la faim, par laquelle on voit ce qui est vraiment nécessaire et utile. Car un homme, pressé par la faim, donnerait volontiers tous les trésors du monde entier pour un peu de nourriture, (12) mais quand il y a une abondance de choses nécessaires répandues en quantité abondante et illimitée, et qui se déversent sur toutes les villes du pays, alors nous, les citoyens, nous livrant luxueusement aux bonnes choses fournies par la nature, ne nous contentons pas de nous arrêter à elles seules, mais établissons l’insolence rassasiée comme le guide de nos vies, et nous consacrant à l’acquisition d’argent et d’or, et de tout ce par quoi nous espérons acquérir du gain, procédons en tout comme des aveugles, n’excitant plus les yeux de notre intellect en raison de notre convoitise, au point de voir que les richesses ne sont que le fardeau de la terre, et sont la cause d’une guerre continuelle et ininterrompue au lieu de la paix.
(13) Nos vêtements sont certes, comme le dit quelque part un poète, « la fleur des brebis » ; mais en ce qui concerne l’art déployé dans leur fabrication, ils sont la louange des tisserands. Et si quelqu’un est fier d’une gloire qu’il a pu acquérir, se réjouissant grandement de sa popularité parmi des gens sans valeur, qu’il sache qu’il est également sans valeur, car il s’en réjouit. (14) Et qu’un tel homme prie pour recevoir la purification afin de guérir la maladie de ses oreilles, car c’est par ses oreilles que son âme est affectée de grandes maladies. De plus, que ceux qui sont fiers de leur force et de leur activité personnelles apprennent à ne pas s’enorgueillir pour cela, en regardant d’innombrables espèces d’animaux domestiques et sauvages, qui sont également dotés d’une grande force et d’une grande puissance ; car c’est la chose la plus absurde qu’on puisse imaginer pour un homme de se vanter des bonnes qualités des bêtes, et cela aussi quand les bêtes elles-mêmes ne lui semblent d’aucune importance.
(15) De plus : pourquoi un homme sensé devrait-il se réjouir de la beauté d’une personne, qu’une courte période doit éteindre avant d’avoir fleuri pendant un long temps, puisque le temps obscurcit toujours son apogée trompeuse ? et cela aussi, quand il voit que même dans les choses inanimées il y a des objets d’une beauté surpassant, tels que les œuvres de peintres, de sculpteurs et d’autres artistes, exposées dans des peintures et des statues, et toutes sortes de broderies et de tissages, qui sont tenus en très grand honneur en Grèce et dans les pays des barbares dans chaque ville. (16) De ces choses donc, comme je l’ai dit, pas une n’est jugée par Dieu digne de la meilleure part.
Et pourquoi devrions-nous nous étonner s’ils ne sont pas hautement estimés par Dieu ? car ils ne le sont pas même par ces hommes qui sont très religieux et dévots, parmi lesquels les choses qui sont vraiment bonnes et vertueuses sont tenues en honneur, dans la mesure où ils ont une nature bonne et bien disposée, et ont amélioré leurs bonnes qualités naturelles par l’étude et la pratique, dont une véritable philosophie authentique est le créateur. (17) Mais ceux qui se sont consacrés à une sorte de philosophie bâtarde n’ont même pas imité les médecins qui donnent leur attention au corps, l’esclave de l’âme, bien qu’ils affirment néanmoins qu’ils guérissent la maîtresse, c’est-à-dire l’âme elle-même ; car alors, quand un tel homme est malade, même s’il est le grand roi lui-même, passant par toutes les colonnades, et les chambres des hommes, et les chambres des femmes, et les images, et l’argent et l’or, que ce soit en argent ou en lingots, et les vastes trésors de coupes et d’ouvrages de broderie, et tout le reste des ornements célèbres des rois, et la multitude de ses serviteurs, et de ses amis, ou parents, et sujets, et les principaux officiers qui sont autour de sa personne, et ses gardes du corps, ils viennent à son chevet, ne prêtant aucune attention même aux décorations de sa personne, et ne s’arrêtant pas pour remarquer avec admiration que son lit est incrusté de pierres anciennes, ou que sa couverture est du plus bel ouvrage et de la broderie la plus exquise, ni que la mode de ses vêtements est d’une beauté superlative, mais ils arrachent même les vêtements dans lesquels il est enveloppé et lui prennent les mains, et lui pressent les veines, et lui touchent le pouls, et notent ses battements avec précision pour voir s’il est en bonne santé ; Très souvent aussi, ils relèvent sa tunique et tâtent si son estomac est trop plein, si sa poitrine est fiévreuse, si son cœur bat irrégulièrement. Puis, après avoir constaté les symptômes, ils appliquent les remèdes appropriés.
(18) Et de la même manière, il conviendrait aux philosophes qui professent être versés dans la science de la guérison applicable à l’âme, qui est par nature la partie dominante de l’homme, de mépriser toutes les choses que l’opinion erronée élève comme objets d’orgueil, et de pénétrer à l’intérieur, et de mettre la main sur l’intellect lui-même, pour voir si par la passion ses pouls sont d’une rapidité inégale et se déplacent d’une manière irrégulière et contre nature, et de toucher la langue, et de voir si elle est rude et adonnée à la médisance, si elle est prostituée à de mauvaises fins et ingérable ; aussi de toucher le ventre, et de voir s’il est gonflé par les caractères insatiables du désir, et, en bref, de toutes autres passions, maladies et infirmités, et d’examiner chacun de ces sentiments, s’ils paraissent être dans un état de confusion, afin qu’ils ne puissent pas ignorer ce qui est approprié à appliquer à l’âme en ce qui concerne sa guérison.
(19) Mais maintenant, illuminés de tous côtés par l’éclat des choses extérieures, incapables de voir cette lumière qui n’est perceptible que par l’intellect, ils ont passé toute leur existence dans un état d’erreur, incapables de pénétrer jusqu’à la pensée royale, mais étant à peine capables d’atteindre les cours extérieures, et admirant ces serviteurs qui se tiennent aux portes de la vertu, de la richesse, de la gloire, de la santé et d’autres circonstances similaires, ils tombent en adoration devant eux. (20) Mais comme ce serait une extravagance de folie de prendre des aveugles pour juges de la couleur, ou des sourds pour juges des sons de la musique, de même c’est un acte des plus absurdes de prendre des hommes méchants pour juges du véritable bien. Car ces hommes sont mutilés dans les parties les plus importantes d’eux-mêmes, à savoir leur intellect, sur lequel la folie a versé une profonde obscurité. (21) Devons-nous alors nous demander si Socrate, et tel ou tel homme vertueux, ont vécu dans la pureté ? des hommes qui n’ont jamais étudié aucun des moyens de se procurer des ressources pécuniaires, et qui n’ont jamais, même quand cela était en leur pouvoir, daigné accepter de grands cadeaux qui leur ont été offerts par des amis riches ou des rois puissants, parce qu’ils considéraient l’acquisition de la vertu comme le seul bien, la seule belle chose, et ont donc travaillé à cela, et ont négligé tous les autres biens.
(22) Et qui ne mépriserait les biens aberrants en comparaison des biens véritables ? Mais si, recevant un corps mortel, exposés à toutes sortes de calamités humaines, et vivant au milieu d’un si grand nombre d’actions injustes et d’hommes injustes, dont le nombre même n’est pas facile à calculer avec précision, ils furent complotés par leurs ennemis, pourquoi blâmer la nature alors que nous devrions plutôt accuser la barbarie de ceux qui les attaquent ainsi ? (23) Car de même, s’ils avaient été placés dans un climat pestilentiel, ils seraient inévitablement tombés malades ; et la méchanceté est encore plus, ou du moins non moins, destructrice qu’un état pestilentiel de l’atmosphère. Mais comme lorsqu’il pleut, l’homme sage, s’il est en plein air, doit inévitablement être trempé, et si le vent froid du nord souffle, il doit être oppressé par le froid et le frisson, et quand l’été est à son apogée, il doit ressentir la chaleur, car c’est une loi de la nature que les corps des hommes soient simultanément affectés par les changements des saisons ; de même, de la même manière, un homme qui vit dans de tels endroits,
« Là où les massacres et les famines pourraient régner,
Et tous les maux qui assaillent ainsi l’humanité,
doit inévitablement payer la pénalité que de tels maux lui infligent.
(24) Car dans le cas de Polycrate au moins, en représailles des terribles actes d’injustice et d’impiété qu’il a commis, il lui est tombé dessus dans sa vie ultérieure, comme une terrible rétribution de sa bonne fortune antérieure. Ajoutez à cela qu’il a été châtié par un puissant souverain, et a été crucifié par lui, accomplissant la prédiction de l’oracle : « Je savais, dit-il, bien avant de m’aviser d’aller consulter l’oracle, que j’étais oint par le soleil et lavé par Jupiter », car ces affirmations énigmatiques, exprimées en langage symbolique après avoir été formulées à l’origine dans un langage inintelligible, reçoivent ensuite une confirmation très manifeste par les événements qui les ont suivies. (25) Mais ce n’est pas seulement à la fin de son existence, mais en fait pendant toute la période de sa vie depuis ses premiers commencements qu’il faisait, sans même s’en rendre compte, dépendre entièrement son âme de son corps ; car comme il était toujours dans un état d’alarme et de trépidation, il craignait la multitude d’ennemis qui pourraient éventuellement l’attaquer, étant bien assuré que personne au monde n’était réellement bien affecté envers lui, mais que tout le monde lui était hostile et deviendrait des ennemis implacables s’il était malheureux.
(26) De plus, même si cela fut sans succès et malgré de constantes précautions, les auteurs de l’histoire de la Sicile en sont témoins. Ils disent que le tyran de Sicile soupçonnait même sa femme la plus aimée ; et la preuve en est qu’il fit joncher de planches l’entrée de sa chambre par laquelle elle allait accéder à lui, afin qu’elle ne puisse jamais le trouver sans être vue, mais que le bruit et le tumulte produits par ses pas sur ces planches puissent indiquer son approche ; et de plus, il la força à venir non seulement sans robe, mais même nue en tout, et même dans les endroits qui ne devaient pas être vus des hommes. Et de plus, il fit couper tout le sol le long de la route en largeur et en profondeur comme une tranchée creusée par les cultivateurs, de peur que rien ne soit secrètement caché pour comploter contre lui, ce qui serait inévitablement découvert par les sauts et les longs pas que quelqu’un empruntant ce chemin serait contraint de faire.
(27) De combien de misères était donc chargé cet homme qui prenait toutes ces précautions et usait de tous ces stratagèmes contre sa propre femme, à qui il aurait dû faire plus confiance qu’à tout autre être humain ? Mais il était semblable à ces hommes qui escaladent des précipices et gravissent des montagnes abruptes et abruptes pour parvenir à une compréhension plus précise de la nature des choses dans le ciel, et qui, après avoir gravi avec beaucoup de difficulté une crête surplombante, se trouvent incapables d’avancer davantage, trop épuisés pour songer à tenter le reste de la montagne, et qui manquent également de courage pour descendre, étourdis à la vue des gouffres et des ravins au-dessous d’eux ; (28) car lui, étant amoureux du pouvoir souverain comme d’une chose divine à désirer par-dessus tout, considérait comme dangereux soit de rester où il était, soit de se retirer, car il considérait que s’il restait où il était, d’innombrables autres maux s’abattraient sur lui dans une succession rapide et ininterrompue, tandis que s’il décidait de revenir sur ses pas, sa vie même serait en danger, car il y avait des ennemis autour de lui, sinon quant à leurs corps, du moins dans leurs esprits, contre lui.
(29) Et il a également démontré la vérité de tout cela par le traitement auquel il a exposé un de ses amis qui parlait de la vie d’un tyran comme d’une vie de bonheur complet et absolu ; car, l’ayant invité à un banquet qui avait été préparé de la manière la plus brillante et la plus coûteuse, il ordonna qu’une épée tranchante soit suspendue au-dessus de sa tête par un fil très fin, et quand il, après s’être assis pour le banquet, s’en aperçut tout à coup, n’osant pas se lever et quitter sa place par crainte du tyran, et ne pouvant profiter d’aucune des choses qui avaient été préparées par peur, il négligea tout le luxe abondant et superbe dont il était entouré, et gardant son cou et ses yeux tournés vers le haut, assis dans l’attente d’une mort instantanée.[2] (30) Et quand Denys vit l’état dans lequel il se trouvait, il lui dit : « Commences-tu donc enfin à comprendre le vrai caractère de cette vie illustre et enviable qui est la nôtre, car c’est ce qu’elle est réellement si l’on choisit d’en parler sans flatterie ni déguisement, puisqu’elle contient en effet une grande abondance de ressources et de provisions, mais aucune jouissance d’une réelle (31) Mais la multitude inconsidérée, trompée par l’éclat et la splendeur extérieurs de la position, est comme des gens attirés par des courtisanes à l’allure voyante, qui, cachant leur véritable difformité sous de beaux vêtements et des ornements dorés, et se crayonnant les yeux par manque de réelle beauté, fabriquent une fausse beauté afin de se cacher et de surprendre les spectateurs.
(32) Or, les hommes qui sont placés dans des situations de grande prospérité sont remplis d’un tel malheur, dont ils sont eux-mêmes pleinement conscients de la grandeur, et ils ne le gardent nullement pour eux-mêmes, mais comme des hommes qui divulguent des choses secrètes sous la contrainte, ils prononcent souvent les expressions les plus vraies possibles, qui leur sont arrachées par la souffrance, vivant dans la compagnie continuelle du châtiment à la fois présent et attendu, tout comme le bétail qu’on engraisse pour le sacrifice, car eux aussi sont traités avec la plus grande attention possible afin d’être aptes à être sacrifiés en raison de leur chair et de leur bonne condition. (33) Il y a aussi des hommes qui ont subi un châtiment, et cela non pas caché, mais visible, et notoires pour l’impiété des moyens par lesquels ils ont acquis des richesses, dont il serait superflu d’énumérer les noms et le nombre, mais il suffira de citer un exemple comme échantillon de l’ensemble.
Français Ceux qui ont écrit l’Histoire de la Guerre Sacrée en Phocide disent donc que, comme il y avait une loi établie que quiconque se rendait coupable de sacrilège devait être jeté dans un précipice, ou noyé dans la mer, ou brûlé vif, les hommes qui avaient pillé le temple de Delphes, nommés Philomèle, Onomarque et Phayllus, se partagèrent ces châtiments, car le premier tomba d’un rocher escarpé et se brisa sur les pierres, et que le second, lorsque le cheval qu’il montait s’agita et plongea vers la mer, fut englouti par les vagues, et tomba ainsi vivant dans un gouffre dévorant ; et Phayllus fut dévoré par une maladie phtisique (car la manière dont l’histoire est racontée à son sujet est double), ou bien périt dans le temple d’Abae, y étant brûlé lorsqu’il fut détruit par le feu. (34) Car ce doit être un simple esprit d’obstination et d’argumentation que de dire que tous ces événements ont eu lieu par pur hasard, car si en effet un ou deux d’entre eux avaient été punis à des époques différentes ou par un autre mode de punition, alors il aurait été raisonnable d’imputer leur sort à l’incertitude de la fortune, mais quand ils sont tous morts ensemble et en même temps, et par aucune autre punition que par cette fin précise qui est prévue dans les lois pour la punition de crimes tels que ceux dont ils s’étaient rendus coupables, il est certainement juste de dire qu’ils ont péri par la condamnation directe de Dieu.
(35) Mais si l’un des hommes violents dont il n’est pas fait mention, et qui se sont soulevés à différentes époques contre le peuple dans leurs différents États, et ont asservi non seulement d’autres nations, mais aussi leur propre pays, est néanmoins mort sans avoir été puni, il n’y a pas lieu de s’en étonner, car en premier lieu l’homme ne juge pas comme Dieu juge, parce que nous examinons ce qui est visible pour nous-mêmes, mais il descend dans les recoins secrets de l’âme sans faire de bruit, et là il contemple l’esprit dans la claire lumière, comme au soleil ; car en le dépouillant de tous les ornements dans lesquels il est enveloppé, et en voyant ses desseins et ses intentions nus, il distingue immédiatement entre le mal et le bien.
(36) Ne préférons donc pas notre propre jugement à celui de Dieu, et ne prétendons pas qu’il est plus sûr ou plus sage que le sien, car cela n’est pas compatible avec la sainteté ; car dans l’un il y a beaucoup de choses qui le trompent, comme les sens extérieurs perfides, le caractère insidieux des passions, les attaques les plus terribles du vice ; mais dans l’autre il n’y a rien qui puisse conduire à la tromperie ou à l’erreur, si ce n’est la justice et la vérité, par lesquelles chaque action particulière est déterminée, et de cette manière est naturellement rectifiée de la manière la plus louable.
(37) Ne considère donc pas, mon bon ami, le pouvoir tyrannique, la plus inutile de toutes les choses, comme une possession opportune ; car la punition n’est pas désavantageuse, mais il est ou plus bénéfique, ou du moins pas nuisible aux bons, de subir la punition qui leur est due, c’est pourquoi elle est expressément comprise dans toutes les lois qui sont sagement édictées, et ceux qui ont établi de telles lois sont loués de tous ; car ce qu’est un tyran dans un peuple, c’est la punition dans une loi.
(38) Quand donc un manque et une terrible pénurie de vertu s’emparent des villes, et quand une grande abondance de folie submerge tout, alors Dieu, comme le courant d’un torrent débordé, désirant laver toute la puissance et l’impétuosité de la méchanceté, afin de purifier notre race, donne vigueur et puissance à ces hommes qui, par leur nature, sont aptes à exercer la domination, (39) car sans une âme sévère, la méchanceté ne peut être éliminée. Et de même que les villes entretiennent des bourreaux pour punir les meurtriers, les traîtres et les sacrilèges, non parce qu’elles approuvent les dispositions des hommes, mais parce qu’elles ont besoin de la partie utile de leurs ministères ; de la même manière, le Souverain de cette puissante cité, le monde, nomme des tyrans, comme des bourreaux ordinaires, pour être sur les villes dans lesquelles il voit que la violence, l’injustice et l’impiété prévalent, et toutes autres sortes de maux en abondance, afin qu’il puisse par ces moyens mettre fin à leur existence. (40) Et alors il pense qu’il est juste de poursuivre les coupables, comme des hommes qui ont servi ces vices par les impulsions d’une âme impure et sans pitié, avec tous les châtiments imaginables, comme les meneurs ; car comme le pouvoir du feu, lorsqu’il a consumé le combustible qui lui a été donné, finit par se consumer lui-même aussi, de même ceux qui ont reçu le pouvoir suprême sur les nations, lorsqu’ils ont épuisé les villes et les ont rendues dépourvues d’habitants, finissent par périr eux-mêmes parmi elles, subissant le châtiment mérité pour tout ce qu’ils ont fait.
(41) Et pourquoi devrions-nous nous étonner si Dieu emploie l’action de tyrans pour se débarrasser de la méchanceté lorsqu’elle est largement répandue dans les villes, les pays et les nations ? Car il utilise très souvent d’autres ministres, et il parvient lui-même au même but par ses propres moyens, infligeant à la nation la famine, la peste, les tremblements de terre, ou toute autre calamité envoyée par le ciel, par lesquelles de grandes et nombreuses multitudes périssent chaque jour, et par lesquelles une grande partie du monde habitable est désolée à cause de son souci de préserver la vertu.
(42) C’est pourquoi j’ai maintenant, à mon avis, suffisamment parlé du sujet présent, à savoir qu’aucun homme méchant n’est heureux, fait par lequel, plus que tout autre, on peut établir qu’il existe une chose telle que la providence ; mais si vous n’êtes pas entièrement convaincu, alors dites-moi hardiment quel est le doute qui se cache encore dans votre esprit, car alors, en travaillant tous deux ensemble, nous pourrons voir clairement quelle est la vraie vérité. (43) Et après quelques arguments supplémentaires, il continue ainsi :
Dieu provoque les violentes tempêtes de vent et de pluie que nous voyons, non pas pour le mal de ceux qui traversent la mer, comme vous l’imaginiez, ou de ceux qui cultivent la terre, mais pour le bien général de toute la race humaine, car avec son eau il nettoie la terre, et avec ses brises il purifie toutes les régions sous la lune, et par l’influence combinée des deux il nourrit et favorise la croissance et amène à la perfection tant les animaux que les plantes. (44) Et si parfois ces choses nuisent à ceux qui prennent la mer ou qui cultivent la terre à des moments inopportuns, il n’y a pas lieu de s’en étonner, car ces hommes ne sont qu’une petite partie de la race humaine, et la sollicitude de Dieu s’exerce pour le bien de toute l’humanité.
Français Ainsi, comme dans une école de gymnastique, l’huile y est placée pour le bien commun de tous, mais il arrive souvent que le maître de l’école, en raison de quelque nécessité politique, change l’arrangement des heures habituelles d’exercice, de sorte que certains de ceux qui veulent s’oindre arrivent trop tard ; de même Dieu, qui prend soin du monde entier comme s’il s’agissait d’une ville confiée à sa garde, fait parfois ressembler l’été à l’hiver, et l’hiver prendre les caractéristiques du printemps, pour le bien commun de l’univers, même si certains capitaines de navires, ou certains cultivateurs de la terre, peuvent très probablement être lésés par cette irrégularité des saisons. (45) C’est pourquoi Lui, sachant que les échanges occasionnels des éléments entre eux, dont le monde a été fait et dont il est constitué, sont une œuvre de la plus grande importance et de la plus grande nécessité, les fournit sans permettre que rien ne leur soit un obstacle ; et le gel, les tempêtes de neige, et d’autres choses de ce genre, suivent le refroidissement de l’air. Et, de plus, les éclairs et les tonnerres naissent de la collision et de la répercussion des nuages, aucune de ces choses n’est peut-être effectuée par un effort immédiat de la providence, mais les pluies et les vents sont les causes de l’existence, de la nourriture et de la croissance de toutes les choses qui sont sur la terre, et ces phénomènes sont les conséquences naturelles des autres.
(46) Car, comme il arrive souvent que, lorsque le maître d’une école de gymnastique, par rivalité, se soit livré à des dépenses extravagantes, certains de ceux qui ignorent tout ce qui convient, ayant été éclaboussés d’huile au lieu d’eau, laissent toutes les gouttes tomber sur les planches, et il en résulte une boue très glissante : néanmoins, un homme dont les appréciations seraient justes ne dirait pas que l’état dur et glissant du sol a été causé par l’intention du maître de l’école, mais que ces choses sont survenues accidentellement, en conséquence de la quantité abondante des choses fournies. (47) De plus, l’arc-en-ciel, le halo et toutes les autres choses de ce genre sont des conséquences naturelles de ces choses qui se mêlent aux nuages, n’étant pas des événements qui conduisent et influencent la nature, mais étant les résultats et les conséquences des opérations de la nature.
Non pas que ces choses elles-mêmes ne fournissent aussi des signes d’une grande importance aux sages, car, guidant leurs conjectures par elles, ils prédisent les calmes et les tempêtes de vent, le beau temps et les tempêtes. (48) Ne voyez-vous pas que les portiques qui embellissent les villes ? La plupart d’entre eux regardent vers le midi, afin que ceux qui marchent dessous aient chaud en hiver et frais en été.
Il y a encore une autre chose qui n’arrive pas par la volonté de Celui qui l’a faite, et quelle est-elle ? Les ombres qui tombent des pieds indiquent les heures à notre expérience. (49) De plus, le feu est une œuvre très importante de la nature, mais la conséquence du feu est la fumée, et néanmoins même celle-ci aussi peut parfois être utile. En tout cas, dans la chaleur, au milieu du jour, lorsque le feu est rendu invisible par l’éclat des rayons du soleil, l’approche des ennemis est indiquée par la fumée, (50) et le principe qui cause l’arc-en-ciel est aussi le même qui, dans une certaine mesure, régule les éclipses.
Français Car les éclipses sont une conséquence naturelle des règles qui régissent les natures divines du soleil et de la lune ; et elles sont des indications soit de la mort imminente de quelque roi, soit de la destruction de quelque ville, comme Pindare nous l’a également dit en termes énigmatiques, faisant allusion à des événements tels que les conséquences des présages que je viens de mentionner.[3] (51) Et le cercle de la Voie Lactée participe des mêmes essences naturelles que les autres étoiles ; mais le simple fait qu’il soit difficile à expliquer n’est pas une raison pour que ceux qui sont habitués à étudier les principes de la nature hésitent à l’examiner ; car la découverte de ces choses est des plus bénéfiques, et leur étude est intrinsèquement des plus agréables en elle-même, pour ceux qui aiment apprendre.
(52) Car, comme le soleil et la lune existent par la Providence, ainsi en est-il de toutes les choses dans le ciel, même si nous sommes incapables de retracer avec précision les natures et les pouvoirs respectifs de chacun, et sommes donc réduits au silence à leur sujet ; (53) et les tremblements de terre, les pestes, la foudre et les choses de ce genre sont certes dits envoyés par Dieu, mais, en réalité, ils ne le sont pas, car Dieu n’est absolument pas la cause d’un mal quelconque, mais les changements naturels des éléments produisent ces effets, non pas comme des circonstances qui guident la nature, mais comme ceux qui sont suivis de résultats nécessaires, et qui découlent eux-mêmes naturellement de leurs causes antérieures. (54) Et si certaines personnes, qui se croient en droit d’être immunisées, subissent un préjudice à cause de ces choses, elles ne doivent pas pour autant trouver à redire à leur gestion et à leur dispensation ; Car, en premier lieu, il ne s’ensuit pas que si certaines personnes sont considérées comme vertueuses parmi les hommes, elles le sont en réalité ; car les critères par lesquels Dieu juge sont bien plus précis que tous les tests qui guident l’esprit humain. Et, en second lieu, la sagesse prophétique aime à contempler les choses du monde qui sont de nature la plus globale, comme dans le cas des monarchies et dans les gouvernements des armées, nous voyons que ce n’est pas une personne obscure, ignoble ou fortuite qui est désignée pour gouverner les villes ou les armées.
(55) Et certains disent que, comme à l’occasion du meurtre de tyrans, il est légal que leurs proches soient également mis à mort, afin que les transgressions puissent être réprimées par l’ampleur terrible du châtiment infligé ; de même dans les maladies pestilentielles, il est nécessaire que certains de ceux qui ne sont pas coupables soient impliqués dans la destruction, afin que d’autres qui sont à distance puissent apprendre la modération. En outre, il est inévitable que ceux qui sont exposés à une atmosphère pestilentielle tombent malades, tout comme toutes les personnes exposées à une tempête à bord d’un navire doivent toutes être exposées au même danger. (56) Mais ces bêtes sauvages qui sont courageuses ont été créées ; car nous ne devons pas supprimer la vérité (comme si l’on devait anticiper la défense susceptible d’être faite par un homme d’éloquence puissante et la déchirer en morceaux à l’avance), afin que les hommes puissent, en s’exerçant contre eux, acquérir la robustesse pour les combats de la guerre ; car les exercices de gymnastique et la chasse continue entraînent les hommes et habituent leur âme à un plus grand degré même que leur corps à compter sur leur propre courage, leur énergie et leur force, afin de ne pas tenir compte des attaques soudaines de leurs ennemis.
(57) Mais les hommes qui sont d’un caractère paisible sont libres de se tenir non seulement dans leurs murs, mais même dans des tentes, et d’y vivre en privé, à l’abri des desseins de tout ennemi, ayant de vastes et innombrables troupeaux d’animaux domestiques pour aider à leur plaisir ; car les sangliers et les lions, et les animaux de cette espèce, sont par leur propre instinct chassés des villes, n’étant pas enclins à s’exposer au danger à la suite des ruses des hommes. (58) Et si des hommes étant influencés par un esprit de paresse et d’indolence, vivant sans armes et sans préparation, vivent sans crainte parmi les repaires des bêtes sauvages, alors si quelque chose leur arrive, ils ne doivent pas blâmer la nature mais eux-mêmes, car alors qu’ils auraient pu se prémunir contre de tels désastres, ils les ont négligés. C’est pourquoi j’ai déjà vu aux courses de chevaux des gens se comporter de façon très négligente, et qui, alors qu’ils auraient dû rester assis tranquillement et regarder les courses d’une manière ordonnée, se tenant au milieu, ont été renversés par les pieds des chevaux et par les roues, et ont reçu une juste récompense pour leur folie. (59) Nous en avons donc assez dit sur ce sujet.
Mais parmi les reptiles, ceux qui sont venimeux n’ont pas été appelés à l’existence par une providence immédiate, mais par les conséquences naturelles des événements, comme je l’ai déjà dit ; car ils naissent lorsque l’humidité qui les habite se transforme en une chaleur plus violente ; et certains sont vivifiés par la putréfaction, comme, par exemple, la putréfaction de la viande produit des asticots, et celle causée par la transpiration produit des poux ; mais tous ceux qui sont produits à partir d’une substance apparentée, et dont la génération est conforme aux principes spermatiques habituels que j’ai mentionnés précédemment, sont très naturellement attribués à une providence immédiate. (60) J’ai aussi entendu deux récits selon lesquels ils auraient été créés pour le bien de l’humanité, que je ne crois pas devoir taire. Voici l’un d’eux.
Certaines personnes ont dit que les animaux venimeux contribuent grandement à plusieurs des objets des médecins, et que ceux qui réduisent cette science à un système régulier les utilisent d’une manière appropriée, et, agissant avec beaucoup de sagesse et de prudence, ont découvert des antidotes, de manière à pouvoir contribuer à la sécurité inattendue de ceux qui étaient dans le plus grand danger possible ; et même à l’heure actuelle, on peut voir ces personnes qui s’appliquent à l’étude de la médecine, d’une manière prudente et diligente, utiliser tous ces animaux et plantes d’une manière très habile dans la composition de médicaments.
(61) L’autre récit ne se réfère pas à la pratique des médecins, mais seulement, comme il semblerait, aux études des philosophes. Car il dit que toutes ces choses ont été préparées par Dieu comme instruments de punition contre les coupables, tout comme les généraux et les dirigeants préparent des licols et des chaînes. C’est pourquoi, bien qu’elles soient silencieuses en d’autres temps, elles sont révélées avec une grande puissance dans le cas de personnes qui ont été condamnées et que la nature dans son tribunal incorruptible a condamnées à mort ; (62) car qu’elles se cachent dans des trous secrets et dans des maisons, est un mensonge ; car on voit que ces créatures fuient les villes vers les champs et les lieux déserts, pour éviter l’homme comme leur maître. Non, mais si cela est vrai, il y a un certain sens et un certain principe là-dedans ; car les détritus s’entassent dans les recoins : et des quantités de balayures, d’ordures et de choses de ce genre sont ce dans quoi les reptiles venimeux aiment se cacher, outre le fait que leur odeur a un pouvoir attractif sur eux.
(63) De plus, si les hirondelles vivent parmi nous, ce n’est pas du tout étrange, car nous nous abstenons de les chasser ; et un désir de sécurité est implanté non seulement dans l’âme des créatures rationnelles, mais aussi dans celle des animaux irrationnels.
Mais de ces animaux qui tendent à notre plaisir, il n’en est pas un qui vive avec nous à cause des desseins que nous formons contre eux, sauf que quelques-uns vivent avec les nations à qui leur usage est interdit par la loi. (64) Il y a une ville de Syrie, sur le bord de la mer, nommée Ascalon : lorsque j’étais là, au moment où je me rendais au temple de ma patrie pour y offrir des prières et des sacrifices, j’ai vu un nombre incalculable de pigeons sur les routes et autour de chaque maison ; et lorsque je leur ai demandé la raison de leur présence en si grand nombre, ils ont dit qu’il n’était pas permis de les attraper, car leur usage avait été interdit aux habitants depuis les premiers âges ; et ainsi l’oiseau était devenu si complètement apprivoisé par intrépidité, qu’il non seulement planait sur les toits et entrait dans les maisons, mais s’approchait aussi de leurs tables, et se complaisait dans l’alliance qu’il avait ainsi formée.
(65) Et en Égypte, nous pouvons voir une chose encore plus merveilleuse ; car le crocodile est le plus odieux de tous les animaux, et celui qui a tendance à dévorer l’homme ; et il naît et est élevé de la manière la plus sacrée, et bien que résidant dans les profondeurs, il ressent les bienfaits qu’il reçoit de l’humanité ; car dans les tribus, parmi lesquelles il est honoré, il se multiplie au plus haut degré, mais parmi ceux qui lui font du mal, il n’apparaît jamais du tout : de sorte qu’il y a des endroits où même les personnes les plus timides, lorsqu’elles naviguent, sautent de leurs navires et nagent avec leurs enfants.
(66) Et dans le pays des Cyclopes, puisque la race de ces hommes est une invention fabuleuse, il n’y a aucun fruit comestible produit, sauf ceux qui sont élevés à partir de graines et cultivés par des cultivateurs, tout comme rien n’est produit de ce qui n’existe pas ; mais nous ne devons pas accuser la Grèce d’être stérile et improductive, car il y a beaucoup de sol profond et riche en elle ; et si la terre des barbares est supérieure en fertilité, bien qu’elle soit supérieure en nourriture qu’elle produit, elle est inférieure en hommes qui sont nourris par la nourriture, et pour qui la nourriture est produite.
Car la Grèce est le seul pays qui produise réellement l’homme, cette plante céleste, ce rejeton divin, produisant cette raison la plus précisément raffinée qui est appropriée par la connaissance et apparentée à elle ; et la cause en est que c’est la nature de l’intellect d’être rendu aigu par la légèreté de l’air ; (67) c’est pourquoi Héraclite a dit avec beaucoup de justesse : « Là où le sol est sec, là l’âme est la plus sage et la plus excellente » ; et chacun peut le conjecturer du fait que les hommes qui sont sobres et se contentent de peu sont sages, et que ceux qui se remplissent continuellement de nourriture et de boisson sont les moins sensés, comme si leurs facultés de raisonnement étaient noyées par la quantité qu’ils avalent.
(68) Et c’est pour cela que nous voyons, dans les pays des barbares, les arbres et les plantes croître jusqu’à la plus grande taille possible, en raison de l’abondance de nourriture qu’ils reçoivent ; et nous voyons aussi que les animaux irrationnels qui se trouvent dans ces régions sont les plus prolifiques de tous, mais l’esprit n’est pas ainsi, ou, du moins, il l’est à un très faible degré, parce qu’il est élevé et soulevé hors de l’éther lui-même, tandis que les évaporations incessantes et ininterrompues de la terre et de l’eau ont librement bouilli sur lui. (69) De plus, les différentes espèces de poissons, d’oiseaux et d’animaux terrestres ne sont pas des motifs d’accusation contre la nature, qui nous invite au plaisir par ces moyens, mais sont un terrible reproche pour notre usage intempérant d’eux, car il était nécessaire, pour que l’univers soit dûment complété, afin qu’il y ait ordre et régularité dans chaque partie de celui-ci, que soient produites toutes les espèces animales possibles. Mais il n’était pas nécessaire que cet animal, qui de tous les autres est le plus proche de la sagesse, à savoir l’homme, se précipite avec une telle ardeur à en jouir, au point de changer sa nature en quelque chose ressemblant à la férocité des bêtes sauvages ; (70) c’est pourquoi, même jusqu’à présent, ceux qui ont quelque respect pour la tempérance s’abstiennent entièrement de telles choses, ne mangeant que des légumes, des herbes et des fruits des arbres, comme la nourriture la plus délicieuse et la plus saine.
Et ces hommes sont des instructeurs pour ceux qui considèrent que la pratique de manger de tels animaux est conforme à la nature, et les corrigent, et sont des législateurs pour leurs villes respectives, étant des hommes qui prennent soin de contrôler la véhémence immodérée des appétits, et qui ne permettent pas l’usage sans restriction de tout à tout le monde.
(71) De plus, si les roses, les crocus et toutes les autres belles variétés de fleurs que nous voyons contribuent à la santé, il ne s’ensuit pas qu’elles contribuent toutes au plaisir ; car leur variété indescriptible rend les pouvoirs de certaines d’entre elles plus visibles que ceux des autres, tout comme il existe un mélange de mâle et de femelle contribuant à la génération d’un animal ; aucun d’eux n’étant calculé, par lui-même, pour produire l’effet que les deux produisent en combinaison.
(72) Ces choses sont dites, d’une manière très convaincante, en référence au reste des questions soulevées par vous, étant tout à fait suffisantes pour produire la conviction dans l’esprit de tous ceux qui ne sont pas obstinément en désaccord sur le sujet de Dieu prenant grand soin des affaires humaines.[4]
Iliade d’Homère 20.234. ↩︎
Horace fait allusion à l’histoire de Damoclès, Od. III. 1.16 (qui peut être traduite) : « Le souci tue le sommeil ; l’homme qui a appris à redouter / L’épée tremblant dangereusement au-dessus de sa tête, / En vain pour courtiser son goût triste et distrait / La table gémit sous le festin varié. / Le chant inculte de la triste Philomèle est vain, / Et vain le chant plus laborieux de la flûte enflée, / Pour fermer ses yeux dans le sommeil, le sort envié / Du paysan fatigué dans son humble chaumière. » ↩︎
Cette théorie des éclipses du soleil et d’autres prodiges naturels étant prophétiques des événements sur terre, est exprimée par Virgile dans un passage de la plus exquise beauté en référence à la mort de César, Georg. 1.462 (tel que traduit par Dryden) — « Le soleil infaillible déclare par certains signes / Ce que prépare la fin de soirée ou le petit matin, / Et quand le sud annonce un jour orageux, / Et quand le nord qui se dégage chassera les nuages. / Le soleil révèle les secrets du ciel, / Et qui ose démentir la source de lumière ? / Il déclare souvent le changement d’empires, / Tumultes féroces, trahisons cachées, guerres ouvertes. / Il prédit le premier le sort de César, / Et plaignit Rome, lorsque Rome en César tomba, / Dans des nuages de fer cacha la lumière publique, / Et les mortels impies craignirent la nuit éternelle. / Et le fait n’était pas prédit par lui seul, / La nature elle-même se présenta et seconda le soleil. / La terre, l’air et les mers furent signés de prodiges, / Et des oiseaux obscènes et des chiens hurlants devinèrent ; / De quels rochers la gueule mugissante de l’Etna expira-t-elle / De ses entrailles déchirées ! et quels flots de feu. / Que Français Des cliquetis se firent entendre au loin dans le ciel allemand / Des armes et des armées se précipitant vers la guerre. / De terribles tremblements de terre déchirèrent les Alpes solides en contrebas, / Et de leurs sommets trembla la neige éternelle. / De pâles spectres furent aperçus à la fin de la nuit, / Et des voix entendues de plus d’hommes que des mortels. / Dans les bosquets silencieux, des moutons et des bœufs muets parlèrent, / Et les ruisseaux revinrent et leurs lits abandonnèrent ; / La terre béante révéla l’abîme de l’enfer, / Les statues en pleurs prédisaient les guerres, / Et la sueur sainte tomba des idoles d’airain. / Alors, s’élevant dans sa puissance, le roi des inondations / Se précipita à travers les forêts, déchira les bois majestueux, / Et roulant en avant, avec un balancement balançant / Emporta maisons, terres et biches laborieuses. / Le sang jaillit des puits, les loups hurlèrent à tour de rôle dans la nuit, / Et les prêtres effrayèrent les victimes menaçantes. / De tels coups de tonnerre ne jaillirent jamais d’en haut, / Ni des éclairs fourchus ne jaillirent d’un ciel aussi maussade ; / Des météores rouges traversèrent l’espace éthéré, / Des étoiles disparurent et des comètes prirent leur place. / Pour cela, les plaines d’Émathie furent à nouveau jonchées / De corps romains, et le ciel jugea bon / D’engraisser deux fois ces champs de sang romain. ↩︎
L’édition de Yonge comprend de nombreux fragments divers, notamment From the Parallels of John of Damascus (qui comprend des fragments grecs de Quaestiones in Genesis et Exodum, dont la traduction est généralement basée sur l’arménien), d’An Anonymous Collection de la Bodleian Library d’Oxford et d’An Unpublished Manuscript de la Library of the French King. Ceux-ci ont été déplacés vers une annexe de ce volume. ↩︎