Emil Schürer écrit (La littérature du peuple juif au temps de Jésus, pp. 329-331) :
Alors que cette explication plus courte sous forme catéchétique [Questions et réponses sur la Genèse] était destinée à des cercles plus larges, l’œuvre scientifique principale et spéciale de Philon est son grand commentaire allégorique sur la Genèse, Νομων ιερων αλληγοριαι (tel est le titre qui lui est donné dans Eusèbe Hist. eccl. ii. 18. 1, et Photius, Bibliotheca cod. 103. Comp. aussi Origène, Comment. in Matth. vol. xvii. c. 17 ; contra Celsum, iv. 51). Ces deux œuvres se rapprochent fréquemment quant à leur contenu. Car dans les Quaestiones et solutiones aussi, la signification allégorique plus profonde est donnée aussi bien que le sens littéral. Dans le grand commentaire allégorique, au contraire, l’interprétation allégorique prévaut exclusivement. Le sens allégorique profond de la lettre sacrée est établi dans une discussion longue et prolixe qui, en raison de l’ajout abondant de passages parallèles, semble souvent s’éloigner du texte. Ainsi, toute la méthode exégétique, avec son intégration des passages les plus hétérogènes pour éclaircir l’idée supposée se trouver dans le texte, rappelle fortement la méthode du Midrash rabbinique. Cette interprétation allégorique comporte cependant, malgré son arbitraire, ses règles et ses lois, le sens allégorique, autrefois établi pour certaines personnes, objets et événements, étant ensuite respecté avec une cohérence acceptable. C’est notamment une idée fondamentale, dont l’exposé est partout déduit, que l’histoire de l’humanité telle que relatée dans la Genèse n’est en réalité rien d’autre qu’un système de psychologie et d’éthique. Les différents individus qui apparaissent ici désignent les différents états d’âme (τροποι της ψυχης) qui se manifestent chez les hommes. Analyser ces états dans leur diversité et leurs relations, tant entre eux qu’avec la Divinité et le monde sensible, et en déduire des doctrines morales, tel est le but principal de ce grand commentaire allégorique. On perçoit ainsi que l’intérêt principal de Philon n’est pas – comme on pourrait le supposer d’après l’ensemble de son système – la théologie spéculative en soi, mais au contraire la psychologie et l’éthique. À en juger par son objectif ultime, il n’est pas un théologien spéculatif, mais un psychologue et un moraliste (cf. note 183).
Le commentaire suit d’abord le texte de la Genèse verset par verset. Ensuite, des sections isolées sont sélectionnées, et certaines d’entre elles sont traitées de manière si complète qu’elles deviennent de véritables monographies. Ainsi, Philon, par exemple, s’inspire de l’histoire de Noé pour écrire deux livres sur l’ivresse (περι μεθης), avec une telle minutie qu’un recueil des opinions d’autres philosophes sur ce sujet remplit le premier de ces livres perdus (Mangey, i. 357).
L’ouvrage, tel que nous le connaissons, commence à Gen. ii. 1 ; Και ετελεσθησαν οι ουρανοι και η γη. La création du monde n’est donc pas traitée. Car le texte De opificio mundi, qui le précède dans nos éditions, est un ouvrage d’un caractère entièrement différent, n’étant pas un commentaire allégorique sur l’histoire de la création, mais un récit de cette histoire elle-même. Le premier livre du Legum allegoriae ne rejoint en aucune façon l’ouvrage De opificio mundi ; car le premier commence à Gen. ii. 1, tandis que dans De opif. mundi, la création de l’homme aussi, selon Gen. ii, est déjà traitée. Ainsi, comme l’affirme à juste titre Gfrörer en réponse à Dähne, le commentaire allégorique ne peut être combiné avec De opif. mundi comme si les deux ne faisaient partie que d’une seule et même œuvre. On peut tout au plus se demander si Philon n’a pas également écrit un commentaire allégorique sur Gen. I. Cela est cependant improbable. Car le commentaire allégorique se propose de traiter de l’histoire de l’humanité, et celle-ci ne commence qu’à Gen. II. I. Le début abrupt de Leg. alleg. i ne paraît pas étrange, car cette manière de commencer immédiatement par le texte à expliquer correspond parfaitement à la méthode du Midrash rabbinique. Les livres ultérieurs du commentaire de Philon lui-même commencent d’ailleurs de la même manière abrupte. Dans nos manuscrits et éditions, seuls les premiers livres portent le titre propre à l’ouvrage entier : Νομων ιερων αλληγοριαι. Tous les livres ultérieurs portent des titres spécifiques, ce qui donne l’impression qu’il s’agit d’ouvrages indépendants. En réalité, tout le contenu du premier volume de Mangey, à savoir les ouvrages qui suivent, appartient au livre en question (à la seule exception de De opificio mundi).
Emil Schürer commente : « Περι του εξενηψε Νωε De sobrietate (Mangey, i. 392-403). Sur Gen. ix. 24. — Dans les meilleurs manuscrits (Vaticanus et Mediceus), le titre est : περι ων. ανανηψας ο νους ευχεται και καταραται, vir illustr 11 : de his quae sensu precamur et detestamur. (La littérature du peuple juif au temps de Jésus, p. 335)
JHA Hart écrit (The Jewish Quarterly Review Original Series 17, pp. 116-118) :
Le de Sobrietate suit naturellement le de Ebrietate (bien que ce dernier soit peut-être imparfait, manquant comme il le fait d’une exposition complète de la nudité de Noé), et le discours porte sur Gen. ix. 24-27. Philon a peu à dire sur la sobriété, mais que rien ne peut être meilleur qu’un intellect sobre, rien d’aussi précieux que la claire perspicacité de l’âme qu’elle apporte. Cela fait, il se tourne vers le texte et s’attache au « fils cadet », ce qui, comme le prouvent les parallèles des Écritures, ne fait pas référence à l’âge mais à la maturité de l’esprit. Ismaël, le sophiste, bien que jeune, est appelé un enfant par comparaison avec Isaac le philosophe (Gen. xxi. 14-16). L’Écriture appelle tout le peuple enfants (Deut. xxxii. 4-6) lorsqu’il se comporte comme tel. Rachel, qui représente la beauté corporelle, est plus jeune que Léa, la beauté de l’âme. Joseph est toujours jeune ou plus jeune (Gen. XXXVII, 2 ; XLIX, 22). De même, le terme « ancien » s’applique d’abord au sage Abraham, le patriarche dont la vie fut la plus courte (Gen. XXIV, 1). Les soixante-dix collègues de Moïse sont des « anciens » que le sage connaît (Nombres XI, 16). La signification de ces termes est clairement énoncée, pour ceux qui sont habiles à entendre, dans un commandement de la Loi, à savoir celui relatif aux enfants des épouses aimées et haïes (Deutéronome XXI, 15-17). L’épouse aimée est le symbole du plaisir, son enfant le tempérament avide de plaisirs ; l’épouse haïe est le symbole de la compréhension, et son enfant l’amour de la vertu. Le premier est toujours un enfant, le second un « ancien » dès le berceau. En conséquence, Ésaü, l’aîné en âge, abandonne son droit d’aînesse à Jacob ; et Éphraïm, qui est la « Fécondité », c’est-à-dire la Mémoire, est préféré à Manassé, qui est l’Oubli.
Mais pourquoi Noé maudit-il l’enfant du coupable et non le coupable lui-même (Gen. ix. 25) ? En quoi Canaan a-t-il péché ? Ceux qui ont l’habitude d’élaborer le sens littéral et superficiel des lois les ont peut-être considérées séparément, mais suivons les suggestions de la raison et interprétons le sens sous-jacent. Cham signifie « chaud », Canaan « agitation ». Tous deux sont mauvais, l’un immobile, l’autre en mouvement. C’est donc à juste titre que Canaan est fils de Cham, et c’est à juste titre que Canaan est maudit. Car poussé au péché, Cham lui-même devient Canaan. De même, la loi selon laquelle les péchés des pères sont restitués aux enfants (Ex. xx. 5) est justifiée ; les résultats, ou les enfants, des raisonnements sont punis, tandis qu’eux, si aucune action coupable ne leur est imputée, échappent à l’accusation.
Sem est, comme on l’a dit précédemment, l’homme bon par excellence, et Dieu est son Dieu. Celui qui, comme Sem et Abraham (Gen. xviii. 7), a Dieu pour partage (κληρον), a dépassé les limites du bonheur humain.
Concernant la bénédiction de Japhet, on ne nous dit pas clairement qui doit habiter dans les tentes de Sem. On peut comprendre qu’il s’agit du Seigneur de l’univers. Quelle demeure plus digne de Dieu pourrait-on trouver qu’une âme parfaitement purifiée, considérant la vertu (το καλον) comme le seul bien ? Bien sûr, il y habitera non pas comme dans un lieu – contenu en lui – mais en y accordant une attention et une prévoyance particulières, comme tout maître de maison. Mais peut-être toute la prière se réfère-t-elle à Japhet, afin qu’il puisse évaluer tous les biens terrestres à leur juste valeur et ne rechercher que ceux de l’âme.
FH Colson et GH Whitaker écrivent (Philo, vol. 3, pp. 438-441) :
Dans ce court traité, Philon conclut son analyse de Genèse IX, versets 20 à 27, qui décrivent les activités agricoles de Noé, la plantation de la vigne, la consommation de vin, l’ivresse et la nudité, le retour à la sobriété, et la malédiction ou la bénédiction de ses enfants. Les versets traités ici (24 à 27) sont les suivants :
I. (sections 1-20 de ce traité) Et Noé revint à lui grâce au vin et sut ce que son plus jeune fils lui avait fait.
II. (30-50) Et il dit : « Maudit soit Canaan ! Il sera esclave et serviteur de ses frères. »
III. (51-58) Et il dit : « Béni soit l’Éternel, le Dieu de Sem ! Et Canaan sera son serviteur, son esclave. »
IV. (59-fin) Et il dit : « Que Dieu élargisse la portée de Japhet, et qu’il habite dans les maisons de Sem, et que Canaan devienne son serviteur. »
I. Ceci soulève deux points : la signification de « devenir sobre » et celle du « fils cadet ». Le premier est brièvement abordé. La sobriété est conçue principalement comme la sobriété de l’âme, qui occupe dans l’âme la même place que la vision claire dans le corps, et lui fournit ainsi des pensées qui, à leur tour, conduisent à de bonnes actions (1-5).
Le mot « plus jeune » lance à Philon une discussion sur l’usage fait dans le Pentateuque de mots désignant littéralement l’âge, pour indiquer les relations morales. Cham est « plus jeune » parce que son action infidèle et indécente a prouvé son esprit de rébellion (νεωτεροποιια) (6). Ainsi, Ismaël est appelé « enfant » alors que, comme le montrera un petit calcul, il avait vingt ans, car, en tant que type du faux sage ou du sophiste, il n’est, comparé au sage Isaac, qu’un simple enfant (7-9). De même, Moïse appelle les Israélites rebelles « enfants blâmables » (10-11). Rachel (beauté corporelle) est appelée plus jeune que Léa (beauté de l’âme) (12). La « jeunesse » de Joseph, au sens moral, se manifeste par son séjour en Égypte (le corps) et ses liens avec ses frères illégitimes (12-15). À l’inverse, le sage Abraham est appelé « l’aîné », bien que l’histoire le présente comme ayant vécu moins longtemps que ses ancêtres (16-18). Les aînés que Moïse est chargé de choisir sont ceux dont il a prouvé la valeur (19-20). En particulier, la loi interdisant de déshériter le fils aîné de l’épouse détestée au profit du fils cadet de l’épouse bien-aimée, qui a donné lieu à la longue allégorie du De Sacrificiis, 19-44, est audacieusement mise en pratique. Comme dans le De Sacrificiis, l’épouse aimée est le Plaisir, la Vertu détestée, mais comme Moïse mentionne la paternité du Plaisir en premier, son enfant est le premier-né dans le temps et le nom n’appartient à l’enfant de vertu qu’en raison de sa supériorité morale (21-26). Ainsi, le plus jeune Jacob prend le droit d’aînesse à l’aîné Ésaü, et Jacob place Éphraïm, qui représente la faculté de mémoire, plus tardive et donc plus jeune, au-dessus de Manassé, qui représente la faculté plus enfantine de se souvenir, plus précoce et donc plus ancienne (27-29). Cette division se termine par une déclaration sur la justice de maudire le « plus jeune » (30).
II. Mais pourquoi Noé a-t-il maudit Canaan, fils de Cham, contre lequel rien n’est reproché, au lieu de Cham ? (31-33). Car tandis que Cham est un mal potentiel ou « au repos », Canaan est un mal actif ou « en mouvement ». Pour comprendre cela, nous devons considérer ces termes « repos » et « mouvement » avec leurs équivalents respectifs, « habitude » ou « faculté » (εξις) et « activité » (33-34). Or, tout ouvrier ou artiste est appelé de ce nom, même lorsqu’il ne fait rien, car il en possède encore la faculté. Mais ce n’est que lorsqu’il exerce réellement son métier ou son art qu’il encourt louanges ou blâmes (35-37). Il en va de même dans la sphère morale. Le possesseur de qualités bonnes ou mauvaises peut n’avoir aucune occasion de les manifester, mais ces qualités sont toujours présentes (38-43). Cham signifie « chaleur », c’est-à-dire la maladie latente de l’âme, Canaan signifie « agitation », ce qui représente la même chose en mouvement actif. Comme aucun dirigeant ne punit les qualités avant qu’elles ne produisent des crimes, Canaan encourt à juste titre la malédiction. Cependant, lorsqu’on passe de l’un à l’autre, on peut dire que Cham est maudit à travers Canaan (44-47). Le péché réel est l’enfant du péché potentiel, et c’est là le véritable sens de « punir les péchés des pères sur les enfants » (48). La même leçon est enseignée par la loi de la lèpre : ce n’est que lorsque le « point lumineux » cesse d’être immobile que l’homme devient impur (49), et aussi par la parole de Dieu à Caïn : « Tu as péché, tais-toi » (50).
III. La prière pour Sem parle du « Seigneur, le Dieu de Sem ». Sem est « le bon » au sens générique, et non sous aucune de ses formes particulières. Affirmer que Dieu est le Dieu de Sem, c’est donc mettre l’homme bon au même niveau que l’œuvre de Dieu, l’Univers (51-54). Et puisque « Dieu » désigne le côté aimant de la Nature Divine, dire que le Seigneur est « le Dieu de Sem », c’est dire que, comme Abraham, il est l’ami de Dieu (55). Et ici, Philon, adaptant le célèbre paradoxe stoïcien, affirme que seul un tel être est noble, riche, roi et libre (56-57). Enfin, le mot « béni » appliqué à Dieu signifie que celui qui est ainsi béni ne peut rendre à Dieu qu’en le bénissant (58).
IV. Interprétant la prière pour Japhet, Philon adopte un ton moins austère. Il suggère que le mot « élargir » signifie que Japhet peut trouver le bien non seulement dans la beauté morale (το καλον), mais aussi dans les « indifférents préférables » des stoïciens, les avantages corporels et extérieurs (59-61). Quant à la dernière partie, « qu’il habite dans les maisons de Sem », le « lui » pourrait être Dieu (Philon ignore que, dans ce cas, il ne pouvait s’agir d’une prière pour Japhet), car la demeure idéale de Dieu se trouve dans l’âme de l’homme de bien, au sens où elle est spécialement sous sa protection (62-64). Ainsi, dans le récit littéral, Sem est très justement représenté comme l’ancêtre des Douze Tribus, appelées le « palais » de Dieu (65-66). Si « lui » est Japhet, nous pouvons y voir une correction de la prière pour son « élargissement », une prière pour que, même s’il trouve temporairement du bien ailleurs, sa demeure finale soit l’excellence de l’âme (67-68). Le traité se conclut par quelques lignes : « Canaan sera leur serviteur. » L’insensé est en effet l’esclave des vertus, si possible pour sa réforme et son émancipation, sinon pour le châtiment (69).
* Titre de Yonge, Un traité sur les paroles que Noé prononça lorsqu’il se réveilla de son vin, ou sur la sobriété.
I. (1) Après avoir examiné dans le traité précédent ce qui a été dit par le législateur au sujet du vin et de la nudité qui l’accompagne, nous allons maintenant commencer à relier l’essai suivant aux affirmations avancées dans cet ouvrage. Or, dans les Écritures sacrées, nous arrivons aux mots suivants immédiatement après le récit que nous venons d’examiner : « Et Noé se réveilla de son vin, et sut tout ce que son plus jeune fils lui avait fait. »[1] (2) La sobriété est reconnue comme une chose des plus avantageuses, non seulement pour les âmes mais aussi pour les corps, car elle chasse les maladies qui naissent d’une satiété immodérée, et elle aiguise les sens extérieurs à un degré d’acuité extrême, et elle empêche complètement les corps d’être alourdis au point de tomber, mais les maintient légers, les relève et les incite à l’exercice de leurs énergies appropriées, implantant dans chaque partie une promptitude et une vigueur ; et en bref, la sobriété est la cause d’autant de biens que l’ivresse, au contraire, est de maux. (3) Puisque la sobriété est plus avantageuse aux corps auxquels la consommation de vin est naturellement adaptée, ne l’est-elle pas bien davantage aux âmes, avec lesquelles toute nourriture périssable est incompatible ? Car quoi de plus noble dans la nature humaine qu’un esprit sobre ? Quelle gloire plus glorieuse ? Quelle richesse plus riche ? Quelle autorité plus puissante ? Quelle force plus vigoureuse ? De toutes les choses admirables, qu’y a-t-il de plus admirable ? Qu’il n’y ait que l’œil de l’âme apte à agir, capable de pénétrer partout et de tout ouvrir, n’étant en rien gêné ou obscurci par la suffusion de sa propre humidité ; car étant alors extrêmement perspicace quant à sa compréhension, et regardant dans la sagesse elle-même, elle rencontrera des images telles que ne sont intelligibles que par l’intellect, dont la contemplation attire l’âme et ne lui permettra plus de se détourner vers les objets qui appartiennent aux sens extérieurs. (4) Et pourquoi devrions-nous nous étonner s’il n’y a aucune créature égale en honneur à un homme qui est sobre dans son âme et doué d’une vue perçante ? Car les yeux du corps et la lumière qui est appréciable par les sens extérieurs sont honorés à un degré excessif par nous tous. En conséquence, beaucoup de ceux qui ont perdu la vue ont volontairement aussi renoncé à la vie, pensant, en ce qui les concernait, que la mort elle-même était un mal plus léger qu’une telle privation. (5) Alors, dans la mesure où l’âme est supérieure au corps, dans la même proportion aussi l’esprit est meilleur que les yeux ; et l’esprit, tant qu’il est exempt de toute blessure et de toute imperfection, n’étant opprimé par aucune des iniquités ou passions produites par l’ivresse insensée,renonce au sommeil comme à une chose qui cause l’oubli et l’hésitation dans ce qui doit être fait ; mais il embrasse l’éveil et utilise l’acuité de la vision, à l’égard de tout objet digne d’être vu, étant maintenu éveillé par une mémoire extrêmement parfaite, et commettant des actions qui sont en accord avec la connaissance qu’il acquiert.
II. (6) Telle est donc la condition de l’homme sobre ; mais lorsque Moïse parle du « fils cadet » de Noé, il ne veut pas tant faire une déclaration concernant son âge, que montrer la disposition dont sont dotés ceux qui sont enclins à l’innovation ; car comment aurait-il pu se forcer à voir ce qui ne devrait pas être vu, au mépris de toute loi et de toute justice, ou à divulguer ce qui aurait dû être caché dans le silence, ou à mettre en lumière ce qui aurait pu être gardé dans l’ombre chez lui, et à transgresser toutes les limites qui devraient restreindre l’âme, s’il n’avait pas été avide de changement et d’innovation, riant de ce qui arrive aux autres alors qu’il devrait plutôt se lamenter de tels accidents, et ne pas ridiculiser des choses qu’il était plus naturel, décent et convenable de pleurer. (7) En effet, dans de nombreux passages de l’exposition de la loi, Moïse parle de ceux qui sont quelque peu avancés en âge comme de jeunes hommes, et d’autre part de ceux qui ne sont pas encore arrivés à la vieillesse, il les appelle anciens ; non pas en fonction du nombre de leurs années, qu’elles aient été courtes ou très longues, mais en fonction des facultés de leur âme, selon la manière dont elle est influencée, que ce soit pour le bien ou pour le mal. (8) C’est pourquoi il appelle Ismaël, alors qu’il a maintenant vécu près de vingt ans, un enfant, parlant par comparaison avec Isaac qui est parfait en vertu ; car, dit-il, « il prit du pain et une outre d’eau, et les donna à Agar, et les mit sur son épaule, ainsi que l’enfant, lorsqu’Abraham les renvoya de sa maison. »[2] Et il dit encore : « Elle déposa l’enfant sous un pin ; » et plus loin il dit : « afin que je ne voie pas la mort de l’enfant. » Et pourtant, avant qu’Ismaël ne soit né et circoncis, treize ans avant la naissance d’Isaac, et sevré depuis plus de sept ans, il fut banni avec sa mère, car, étant illégitime, il se moquait du fils légitime, comme s’il était sur un pied d’égalité avec lui. (9) Mais néanmoins, bien qu’en réalité un jeune homme, il est toujours appelé un enfant, étant comme un sophiste comparé à un homme sage ; car Isaac a reçu la sagesse en héritage, et Ismaël la sophistique, comme nous nous proposons de le montrer lorsque nous définissons les caractères de chacun dans certains dialogues. Car le même rapport qu’un enfant tout petit a à un homme adulte, le même rapport existe entre un sophiste et un homme sage, et les branches encycliques de l’éducation à la véritable connaissance de la vertu.
III. (10) Et de nouveau dans son grand cantique il appelle tout le peuple, lorsqu’il est frappé d’un désir d’innovation, par le nom qui convient à l’âge insensé et infantile, les appelant « enfants ». « Car », dit-il, « le Seigneur est juste et saint ; n’ont-ils pas péché contre lui, enfants coupables qu’ils sont ? Ô génération tortueuse et perverse, est-ce là la rétribution que vous offrez au Seigneur ? Le peuple est-il si insensé et si peu sage ? »[3] (11) C’est pourquoi il appelle ici distinctement enfants ces hommes qui méritent le blâme et qui ont une culpabilité dans leur âme, et qui, par folie et insensé, commettent de nombreuses erreurs dans leurs actions qui ne sont pas conformes à la droiture de la vie ; n’ayant pas égard à l’âge physique des enfants, mais à l’état irrationnel et vraiment enfantin de leur esprit. (12) Ainsi, Rachel aussi, qui est la beauté du corps, est représentée comme plus jeune que Léa, qui est la beauté de l’âme. Car la beauté du corps est mortelle, mais celle de l’âme est immortelle ; et toutes les choses qui sont considérées comme honorables lorsqu’on les juge par référence aux sens extérieurs, sont toutes prises ensemble inférieures à une seule chose, la beauté de l’âme. Et c’est en accord avec ce principe que Joseph est toujours appelé jeune et « le plus jeune ».[4] Car lorsqu’il conduit le troupeau « avec ses frères illégitimes »,[5] il est appelé jeune ; et lorsque son père prie pour lui, il dit : « Mon plus jeune fils pour qui j’ai prié, reviens à moi. » (13) C’est le champion de toute la puissance du corps et le compagnon peu flatteur de l’abondance des choses extérieures, qui n’a pas encore trouvé de bien parfait plus précieux et plus honorable que celui de l’âme aînée ; Français car s’il l’avait trouvée, il serait parti et aurait abandonné toute l’Égypte sans jamais revenir en arrière. Mais maintenant, il se vante surtout de la nourrir et de la soutenir comme une nourrice ; et quand celui qui voit la partie guerrière et autoritaire de celle-ci submergée par la mer et détruite, il chante un hymne à Dieu. (14) C’est donc une disposition juvénile, qui n’est pas encore capable de paître les brebis avec les vertus authentiques et légitimes, c’est-à-dire de gouverner et de surveiller la nature irrationnelle existant en accord avec l’âme, mais qui, toujours avec ses frères illégitimes, honore les choses qui semblent bonnes, de préférence à se joindre à ses frères légitimes et à celles qui sont réellement bonnes. (15) Mais on parle de lui comme du « plus jeune », même s’il continue de croître et de s’améliorer pour le mieux, en comparaison de l’homme parfait, qui ne pense rien d’honorable que ce qui est bon. C’est pourquoi il dit d’une manière encourageante, en guise d’exhortation : « Revenez à moi », une phrase équivalente à :« Désirez l’opinion des anciens. » Ne cherchez pas en tout l’innovation, aimez maintenant la vertu pour elle-même ; ne vous laissez pas, tel un enfant insensé ébloui par la splendeur des événements de la fortune, envahir entièrement par la tromperie et les opinions erronées.
IV. (16) Il a donc été prouvé que, dans de nombreux passages, Moïse a l’habitude d’appeler une personne jeune, non pas en raison de l’âge du corps, mais du désir de l’âme d’innover ; et nous allons maintenant montrer qu’il appelle certaines personnes « anciens », non parce qu’elles sont opprimées par la vieillesse, mais parce qu’elles sont dignes d’honneur et de respect. (17) Qui donc, parmi ceux qui connaissent les saintes Écritures, ignore que le sage Abraham est représenté comme ayant vécu moins longtemps que presque n’importe lequel de ses ancêtres ? Et pourtant, de tous ceux qui ont vécu jusqu’à un âge très avancé, il n’en est pas un, à mon avis, qui soit appelé ancien, mais lui seul a reçu ce titre. Français C’est pourquoi les Écritures saintes disent qu’« Abraham était déjà vieux et avancé en âge », et que « le Seigneur bénit Abraham en toutes choses ».[6] (18) Ceci me semble être ajouté comme une sorte de cause explicative de ce qui a été dit précédemment, à savoir pourquoi le sage est appelé l’ancien. Car lorsque la partie rationnelle de l’âme est rendue dans une bonne disposition par la bienveillante providence de Dieu, et lorsqu’elle raisonne non seulement sur une espèce, mais sur tout ce qui lui est présenté, en utilisant une opinion plus ancienne, elle devient alors bénie et est elle-même la partie la plus âgée du peuple. (19) C’est ainsi aussi qu’il a coutume d’appeler anciens les membres de l’assemblée du peuple amoureux de Dieu, qui se compose du nombre de dix sept. Car nous lisons dans l’Écriture l’ordre donné à Moïse : « Assemble-moi soixante-dix hommes d’entre les anciens d’Israël, que tu connais toi-même comme anciens. »[7] (20) Ce ne sont donc pas seulement ceux que le commun des mortels considère comme des vieillards, en tant qu’hiérophantes, mais ceux que le sage seul connaît, qu’il juge dignes du nom d’anciens. Car ceux qu’il rejette, comme un habile changeur d’argent, de la monnaie de la vertu, étant alliés, sont tous dans leur âme enclins à l’innovation ; mais ceux dont il veut se faire des amis sont nécessairement bien éprouvés et approuvés, et anciens quant à leur esprit.
V. (21) C’est pourquoi l’Écriture semble prouver plus clairement chaque détail de ce que j’ai dit à ceux qui ont appris à obéir à une seule injonction de la loi. Français « Car, dit l’Écriture, si un homme a deux femmes, l’une aimée et l’autre haïe, et si celle qui est aimée lui donne un enfant, et aussi celle qui est haïe, et si l’enfant de la femme qui est haïe est le premier-né, alors, au jour où il fera hériter ses biens à ses fils, il ne pourra pas donner la part du premier-né au fils de celle qui est aimée, négligeant ainsi son véritable fils premier-né, l’enfant de celle qui est haïe ; mais il devra reconnaître le fils de celle qui est haïe comme son premier-né, pour lui donner une double part de tous les biens qui lui appartiennent, parce qu’il est le premier-né de ses enfants, et les droits du premier-né lui appartiennent. »[8] (22) Vous remarquez ici maintenant qu’il n’appelle jamais le fils de la femme qui est aimée le premier-né ou l’aîné, mais il donne souvent ce titre au fils de celle qui est haïe ; et pourtant il a déjà souligné que le fils de celle qui est aimée était dans le temps le premier, et le fils de celle qui est haïe le dernier, au tout début de cette injonction ; car il dit : « Si l’épouse aimée et celle qui est haïe ont toutes deux des enfants. » Mais néanmoins, la progéniture de la première mentionnée, même si elle peut être considérablement plus ancienne dans le temps, est considérée comme plus jeune par la juste raison lorsqu’il s’agit de les départager. Mais la progéniture de celle dont il est question en second lieu, même si elle peut venir plus tard quant au moment de sa naissance, est jugée digne de la part la plus importante et la plus âgée. (23) Pourquoi cela ? Parce que nous disons que celle qui est aimée est le symbole du plaisir, et celle qui est haïe est l’emblème de la prudence. Car la plupart des hommes aiment la compagnie de l’une à l’excès, dans la mesure où elle, de ses propres trésors, leur offre les charmes et les attraits les plus séduisants, dès le premier instant de leur naissance jusqu’à l’extrémité de la vieillesse ; Mais de l’autre, ils détestent excessivement l’aspect austère et très digne, tout comme les enfants stupides détestent les réprimandes utiles mais désagréables de leurs parents et tuteurs. (24) Et les deux épouses deviennent mères : l’une cultivant dans l’âme cette disposition qui aime les plaisirs, et l’autre celle qui aime la vertu. Or, l’amateur de plaisirs est imparfait et, en réalité, reste toujours un enfant, même s’il atteint un âge avancé. Mais, d’un autre côté, l’amateur de vertu, bien qu’il soit vieux quant à sa sagesse, tant qu’il est encore dans ses langes, comme le dit le proverbe, ne vieillira jamais. (25) À ce propos, Moïse dit très catégoriquement à propos du fils de vertu :Ce qui est haï par la plupart des hommes, car « il est le commencement de ses enfants », étant, en vérité, le premier par ordre et par préséance. Et c’est à lui que reviennent les droits d’aînesse, en vertu de la loi naturelle, et non du principe d’anarchie existant parmi les hommes.
VI. (26) Le prophète, donc, conformément à cette loi, et comme s’il tirait ses flèches avec une visée heureuse sur le but désigné, en strict accord avec ce qui précède, représente Jacob comme plus jeune en âge qu’Ésaü (car dès notre plus jeune naissance la folie nous est inculquée, et le désir de ce qui est honorable est engendré ultérieurement), mais comme plus âgé en pouvoir. En conséquence de quoi Ésaü a été privé de son droit d’aînesse en tant que fils aîné, mais Jacob en est très naturellement investi ; (27) et les dispositions prises à l’égard des fils de Joseph sont cohérentes, si nous les examinons attentivement et avec beaucoup de considération ; Lorsque le sage, sous l’influence d’une inspiration immédiate, les ayant tous deux debout devant lui, ne pose pas ses mains sur leurs têtes, les dirigeant comme les jeunes sont droit devant lui et immédiatement, mais croise ses mains, de manière à toucher de sa gauche la tête de celui qui semble être l’aîné, et de sa droite celle de celui qui semble le plus jeune ; et l’aîné en âge s’appelle Manassé, et le plus jeune Éphraïm.[9] (28) Et ces noms, si on les traduit en grec, se révéleront être des symboles de mémoire et de souvenir ; car le nom Manassé, interprété, signifie « de l’oubli », et qui, sous un autre nom, est appelé « souvenir » ; car celui qui se souvient de ce qu’il a oublié progresse hors de l’oubli. Mais Éphraïm, interprété, signifie « fructueux », une appellation très appropriée pour la mémoire ; car le fruit le plus utile et véritablement comestible pour les âmes est la mémoire durable, qui n’oublie jamais. (29) La mémoire existe donc mieux lorsqu’elle rencontre des natures viriles et solides, à l’égard desquelles elle est considérée comme plus jeune, ayant été engendrée tardivement ; mais l’oubli et le souvenir, presque dès la plus tendre enfance d’un homme, demeurent alternativement chez chacun d’eux, c’est pourquoi le souvenir a la préséance dans le temps, et est placé à la gauche par l’homme sage lorsqu’il arrange les deux dans l’ordre ; mais la mémoire partagera les principaux honneurs de la vertu, que l’amant de Dieu, recevant avec empressement, jugera digne d’une meilleure part pour lui-même. (30) C’est pourquoi le premier homme, devenu sobre, et sachant ce que son fils cadet lui avait fait, prononça sur lui de très terribles malédictions ; car, en vérité, lorsque l’esprit recouvre sa sobriété, il perçoit immédiatement tout ce que la méchanceté novatrice lui a fait auparavant, et que, tant qu’il était ivre, il n’avait pu comprendre.
VII. (31) Il nous faut maintenant considérer qui le sage maudit ici ; car c’est l’une des questions qui méritent particulièrement d’être examinées, puisqu’il ne maudit pas le fils qui paraît avoir fait le mal, mais son fils, et son propre petit-fils, dont il n’a mentionné aucun péché apparent pour le moment, ni petit ni grand ; (32) car celui qui, par curiosité superflue, a voulu voir son père nu, et qui a ri de ce qu’il a vu, et qui a divulgué ce qui aurait dû être caché sous silence, était Cham, fils de Noé ; mais celui qui porte la responsabilité des offenses commises par l’autre, et qui en a récolté le fruit en malédictions, c’est Canaan ; car il est dit : « Maudit soit Canaan, le fils, le serviteur, le serviteur des serviteurs, il sera pour ses frères. »[10] (33) Et pourtant, comme je l’ai dit auparavant, quel péché avait-il commis ? Mais ceux qui sont habitués à expliquer les interprétations formelles, littérales et évidentes des lois ont peut-être considéré cela par eux-mêmes ; mais nous, guidés par la droite raison, telle qu’elle se suggère à nous, l’interpréterons selon l’explication qui est à portée de main, après avoir fait cette préface nécessaire.
VIII. (34) Une position stationnaire et un mouvement diffèrent l’un de l’autre ; car l’un est un état de tranquillité, mais le mouvement est une impétuosité, dont il existe deux espèces : l’une qui change de place, l’autre qui tourne constamment autour du même lieu. Or, l’habitude est étroitement apparentée à la position stationnaire, et l’énergie au mouvement ; (35) et ce que nous avons dit ici peut être plus facilement compris par un exemple approprié. Il est d’usage d’appeler un architecte, ou un peintre, ou un fermier, ou un musicien (et ainsi de suite pour les autres artistes), par le nom susmentionné de leur profession, même s’ils restent inactifs, ne faisant rien dans le sens de travailler à leurs arts respectifs, en référence à l’habileté et aux connaissances qu’ils ont chacun acquises dans leurs professions respectives ; (36) mais lorsque l’architecte a pris un matériau de bois et le travaille, et lorsque le peintre ayant mélangé ses propres couleurs sur sa palette, peint les figures qu’il a dans sa tête ; et lorsque, de nouveau, le premier creuse des sillons dans la terre, y jette les graines, et les plantes, les boutures et les pousses d’arbres ; et lorsque, aussi, pour fournir de la nourriture à ce qu’il a planté, il les arrose et tire des canaux d’eau jusqu’à leurs racines, et fait tout ce qu’un fermier peut être attendu de faire ; et aussi, lorsque le musicien adapte des mètres, et du rythme, et toutes sortes de mélodies à ses flûtes, et harpes, et autres instruments, et est capable, même sans aucun instrument manufacturé, d’utiliser l’organe dont il est pourvu par la nature au moyen de sa voix qui est dotée de tous les tons ; et ainsi de suite avec tous les autres artistes, s’il valait la peine de les mentionner séparément. Dans tous ces cas, outre les noms susmentionnés, dérivés de leur profession, d’autres noms apparentés aux précédents sont ajoutés en référence à leur travail ; ainsi, nous attribuons à l’architecte qu’il construit, au peintre qu’il peint, au fermier qu’il cultive la terre, au musicien qu’il joue de la flûte ou de la harpe, qu’il chante ou fasse quelque chose de semblable. (37) Or, quels hommes sont suivis de louanges et de blâmes ? Ne sont-ce pas ceux qui s’activent et font quelque chose ? Car lorsqu’ils réussissent, ils reçoivent des éloges ; et lorsqu’au contraire, ils échouent, ils encourent le blâme ; mais ceux qui sont scientifiques, sans passer à l’action, restent tranquilles, ayant atteint cet honneur sans danger, à savoir la paix.
IX. (38) Par conséquent, la même affirmation s’applique à ceux qui vivent selon la folie, et aussi à tous ceux qui vivent selon la vertu ou le vice. Ceux qui sont prudents, tempérants, virils et justes dans leurs dispositions sont infinis en nombre, ayant une part heureuse dans la nature, des institutions conformes à la loi, et s’efforçant dans des travaux invincibles et sans hésitation ; mais la beauté qui existe dans les idées de leur esprit, ils ne peuvent la déployer en raison de leur pauvreté, ou de leur manque de rang, ou de quelque maladie du corps, ou de l’un des autres désastres qui entourent la vie humaine ; (39) donc, étant bons, ils ont obtenu leurs biens comme dans l’esclavage et la prison. Mais il y en a d’autres qui les ont dans un état sans contrainte, émancipé et entièrement libre, ayant des matériaux et des occasions illimités pour les montrer. (40) L’homme sage disposant d’une abondance de circonstances privées et publiques lui permettant de déployer sa perspicacité et sa sagesse ; l’homme tempérant fera des richesses qui sont habituellement aveugles et habituées à exciter et à tenter les hommes au luxe, prévoyantes pour l’avenir ; l’homme juste exercera une autorité par laquelle il sera capable, pour l’avenir, d’attribuer à chaque individu sans aucune entrave, une part des choses existantes qui convienne à ses mérites. Le pratiquant de la vertu fera preuve de piété, de sainteté et d’un soin approprié des lieux sacrés et des rites sacrés qui y sont accomplis. (41) Mais sans occasions appropriées, les vertus existent en effet, mais elles sont immuables et comme l’argent et l’or, qui ne sont d’aucune utilité dans le monde, car ils sont conservés dans les recoins secrets de la terre. (42) D’un autre côté, on peut voir d’innombrables personnes, indignes d’hommes, intempérantes, stupides, injustes, impies dans leur esprit, mais incapables de manifester pleinement le caractère honteux de tous leurs vices en raison du manque d’occasion de pécher ; mais si des occasions importantes ou fréquentes se présentent, alors remplissant la terre et la mer jusqu’à ses limites les plus extrêmes d’une méchanceté indicible, et ne laissant rien, grand ou petit, intact, ils renversent et détruisent tout d’un seul coup. (43) Car comme la puissance du feu est calme lorsqu’il n’a pas de combustible, mais lorsqu’il y a des matériaux appropriés, elle s’embrase, de même toutes les puissances qui ont trait à la vertu ou au vice de l’âme s’éteignent par manque d’occasion, comme je l’ai dit auparavant, mais sont allumées par une occasion favorable et un heureux concours de circonstances.
X. (44) Pourquoi donc ai-je dit ces choses, sinon dans le but d’enseigner que Cham, fils de Noé, est le nom de la méchanceté dans un état d’inactivité, mais que son petit-fils, Canaan, est le nom de la méchanceté dans un état de mouvement ? Car Cham étant interprété, signifie « chaud », mais Canaan signifie « agitation » ; (45) et la chaleur dans un corps implique la fièvre, mais dans l’âme, elle implique la méchanceté. Car de même que je suppose que la maladie est le fondement de la fièvre, non seulement d’une partie mais de tout le corps ; de même la méchanceté est une maladie de toute l’âme. Mais tantôt elle est dans un état de tranquillité, tantôt en mouvement ; maintenant il appelle son mouvement agitation (salos), ce qui en hébreu est appelé Canaan. (46) Mais aucun législateur n’impose jamais de châtiment aux méchants dans un état d’inaction, mais seulement lorsqu’ils sont en état de mouvement et commettent des actes conformes à l’injustice, tout comme un homme modéré ne se soucierait pas de tuer un serpent s’il n’était pas sur le point de le mordre. Car nous devons laisser de côté cette cruauté naturelle de l’âme qui, chez certaines personnes, se plaît à tout détruire. (47) Très justement, donc, l’homme juste semblera avoir lancé ses malédictions contre son petit-fils, Canaan. Mais j’ai utilisé l’expression « apparaîtra », car en fait il maudit son fils Cham par l’intermédiaire de Canaan ; car Cham, poussé à commettre le péché, devient lui-même Canaan. Car il y a un sujet, à savoir la méchanceté, dont l’une est envisagée dans un état stationnaire, et l’autre en mouvement. Français Mais un état stationnaire est antérieur au mouvement, de sorte que ce qui est mû semble avoir la relation de progéniture à ce qui est stationnaire. (48) En référence à ce fait, Canaan est, selon l’ordre de la nature, décrit comme le fils de Cham ; l’agitation comme la progéniture de la tranquillité, afin que l’affirmation faite dans un autre passage puisse être vraie, à savoir : « punir les iniquités des pères sur les fils jusqu’à la troisième et la quatrième génération. »[11] Car contre ces accomplissements de, et pour ainsi dire, enfants de pensées, des châtiments les attendent, mais qui ne s’empareront guère de ces pensées qui ne sont réalisées par aucune action, et qui par conséquent échappent à l’accusation. (49) C’est pourquoi, dans la loi concernant la lèpre, le grand et sage Moïse parle du mouvement et de son progrès et de sa diffusion ultérieurs comme impurs, mais de la tranquillité comme pure. Car il dit : « Si la tache s’est répandue sur la peau, le prêtre le déclarera impur. Mais si la tache reste à sa place et ne s’est pas répandue, il le déclarera pur. »[12] Ainsi,Comme la tranquillité est une permanence des maux et des passions dans l’âme (car c’est ce qu’indique la lèpre), elle n’est pas sujette à reproche ; mais son mouvement et sa progression sont nécessairement sujets à accusation. (50) Il y a aussi quelque chose de semblable dans les Écritures sacrées, où le récit de la création de l’univers est donné et il est exprimé plus distinctement. Car il est dit au méchant : « Ô toi, homme, tu as péché. Cesse de pécher »[13] : parce que le péché est condamné en référence à son être en mouvement et à son énergie selon la méchanceté : mais la tranquillité est exempte de blâme, et est même conservatrice parce qu’elle reste stationnaire et inactive.
XI. (51) Ces choses ont donc été suffisamment discutées, je pense. Examinons maintenant la question des malédictions et voyons ce qu’il en est à leur égard : « Maudit », dit l’Écriture, « est l’enfant Canaan ; il sera l’esclave de ses frères. Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem ! et Canaan sera leur esclave. » (52) Nous avons dit il y a quelque temps que Sem porte le même nom que le bien, n’étant pas appelé par un nom spécial, mais que tout le genre du bien est son nom ; en référence à quoi, le bien est la seule chose à nommer, la seule chose digne d’une bonne réputation et de gloire ; de même, d’un autre côté, le mal est la chose qui n’a pas de bonne réputation et qui a une mauvaise réputation. (53) De quelle prière alors estime-t-il digne l’homme qui a reçu une part de la nature du bien ? Sûrement d’une bénédiction nouvelle et extraordinaire, qu’aucun mortel n’est capable d’atteindre, et d’où, presque comme de l’océan lui-même, jaillissent des sources abondantes et incessantes de bonnes choses, s’élevant toujours haut et débordant ; car il appelle le Seigneur et Dieu du monde et de toutes les choses qui s’y trouvent, par une grâce particulière, le Dieu particulier et privé de Sem. (54) Et voyez maintenant comment cela dépasse tout excès imaginable ; car l’homme dont on dit une telle chose reçoit presque le même honneur que le monde ; car lorsque le même être prend soin des deux et les surveille, il s’ensuit nécessairement que les deux choses ainsi surveillées doivent être d’un honneur et d’une importance égaux ; (55) ne pouvons-nous même pas dire que ces dons sont répandus sur lui abondamment ? Car le maître et bienfaiteur du monde, perceptible par les sens extérieurs, est appelé par ces appellations, Seigneur et Dieu ; mais du Bien qui est appréciable par l’intellect, il est simplement appelé le sauveur et le bienfaiteur, non le maître ou le seigneur ; car ce qui est sage est plus cher à Dieu que ce qui est esclave. À ce sujet, il parle clairement du cas d’Abraham, en disant : « Je ne cacherai pas à Abraham ce qui m’est cher. »[14] (56) Mais l’homme qui a cet héritage a dépassé les limites du bonheur humain ; car lui seul est noblement né, dans la mesure où Dieu lui a attribué comme son père, et étant son fils unique adoptif, il n’est pas riche, mais parfaitement opulent, vivant luxueusement dans l’abondance et au milieu de biens authentiques, non pas usé par l’âge, mais dans un état de vigueur et de renouvellement continuel, tel qu’en dehors d’eux il n’y a pas de bien ; (57) n’étant pas un homme de bonne réputation, mais d’une gloire immense et recevant des éloges, non pas de cette espèce bâtarde qui vient de la flatterie, mais de celle qui est fondée sur la vérité. Il est le seul roi, ayant reçu du Souverain de toutes choses un pouvoir irrésistible, sans rival,et autorité sur toutes choses. Il est le seul homme libre, étant affranchi de cette maîtresse très pénible, la vaine opinion, que Dieu qui rend libre a arrachée, tant elle était orgueilleuse, de sa citadelle d’en haut, et a entièrement détruite. (58) Que doit donc faire un homme qui a été jugé digne de bénédictions si grandes et si extraordinaires, toutes réunies en son cas ? Que doit-il faire, sinon récompenser son bienfaiteur par des paroles, des hymnes et des chants de louange ? C’est, semble-t-il, ce que lui suggèrent obscurement les mots : « Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem »[15] ; puisqu’il convient à celui qui a reçu l’héritage de Dieu de le bénir et de le louer, puisque c’est la seule récompense qu’il soit en son pouvoir d’offrir, et puisqu’il est absolument incapable de faire quoi que ce soit de plus.
XIII. (59) Telle est donc la prière que Noé offre pour Sem ; voyons maintenant quel genre de prière il formule pour Japhet. Il dit : « Que Dieu élargisse Japhet, et qu’il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit leur serviteur. » (60) L’objectif d’un homme qui ne pense rien de beau que ce qui est bon est limité et contracté, car de tous les innombrables guides qui influencent différents hommes, il est confiné à un seul, à savoir, l’esprit. Mais l’objectif d’un homme qui attribue le bien à trois sortes de choses différentes, le divisant selon qu’il se rapporte à l’âme, au corps et aux choses extérieures, est plus étendu, dans la mesure où il découpe le bien en un certain nombre de fragments petits et dissemblables ; (61) c’est pourquoi Noé prie très justement que l’étendue lui soit ajoutée, afin qu’il puisse exercer les vertus de l’âme, la prudence et la tempérance, et toutes les autres, et de même la santé vigoureuse et les perceptions aiguës du corps, la force et la vigueur, et les autres qualités qui leur sont apparentées ; et aussi les avantages extérieurs qui contribuent à la richesse et à la gloire, et à la jouissance et à l’usage des plaisirs nécessaires.
XIII. (62) Voilà ce que nous pouvons dire sur la largeur. Nous devons maintenant considérer qui est celui que Noé prie d’habiter dans les tentes de Sem, car il ne le dit pas très clairement. On peut affirmer qu’il veut parler du Seigneur de l’univers ; car quelle demeure plus convenable et plus belle dans toute la création pourrait-on trouver pour Dieu, sinon une âme complètement purifiée, ne pensant rien de beau que ce qui est bon, et considérant toutes les choses, qui sont habituellement tenues en estime parmi les hommes, à la lumière de sujets et de gardes du corps de cette seule chose, le bien ? (63) Mais on dit que Dieu habite dans une maison, non pas en ce qui concerne le lieu (car il contient tout et n’est contenu par rien), mais comme exerçant à un degré très particulier sa providence et ses soins en faveur de ce lieu ; car il s’ensuit inévitablement dans le cas de chaque maître de maison qu’il a un soin particulier pour cette maison. (64) Mais que quiconque, sur qui l’amour de Dieu a répandu de bonnes choses, prie Dieu d’avoir pour habitant en lui le Souverain de toutes choses, qui élèvera cette petite maison, l’esprit, à une grande hauteur au-dessus de la terre, et la reliera aux limites du ciel. (65) Et ce qui est dit dans les Écritures semble coïncider avec cela, car Sem est planté comme une racine d’excellence et de vertu ; et de cette racine a poussé un arbre portant de bons fruits, à savoir, Abraham, dont le rejeton autodidacte et autodidacte, Isaac, était le fruit, par qui sont à nouveau semées les vertus qui se manifestent dans le travail, dont le pratiquant est Jacob, l’homme formé et exercé à lutter contre les passions, ayant les avertissements des anges pour ses entraîneurs de gymnastique. (66) Il est le prince des douze tribus, que les Écritures appellent le « royaume et le sacerdoce de Dieu »[16] en référence à leur accord avec l’auteur originel de leur race, Sem, dans la maison duquel on a prié pour que Dieu habite ; car un royaume est la maison d’un roi, étant véritablement sacrée, et la seule maison exempte de danger d’être pillée. (67) Peut-être, en effet, la prière se réfère-t-elle aussi à Japhet, afin qu’il fasse lui aussi sa demeure dans les demeures de Sem, car il est bon de prier pour celui qui pense que les bonnes choses du corps et les avantages extérieurs sont les seuls biens, afin qu’il puisse parvenir au seul vrai bien, celui de l’âme, et ne puisse pas s’égarer des vraies opinions toute sa vie, pensant que des avantages qui sont communs aux plus maudits et aux pires des hommes, tels que la santé, la richesse, et toutes ces choses comme celles-ci, sont des biens, alors que la nature n’a donné aucune part de ce qui est réellement bon à aucun homme méchant ; car, de par sa propre nature, ce qui est bon ne peut avoir aucune participation à ce qui est mauvais.(68) C’est pourquoi le bien est conservé dans l’âme seule, et nul homme insensé n’a part à la beauté de cette beauté. Or, l’ancêtre originel d’une postérité vertueuse a écrit qu’il priait pour certains de ses amis, en disant : « Revenez à moi »[17], afin que, revenant à ses opinions et considérant le bien seul comme beau, il puisse passer outre les récits des hommes qui se trompent sur la nature du bien. Qu’il demeure donc dans la maison de celui qui dit que le bien de l’âme est la seule belle chose ; passant outre et répudiant les demeures des autres, par qui les avantages corporels et extérieurs sont tenus en honneur. (69) Et c’est très justement qu’il a assigné l’insensé comme esclave de ceux qui cultivent la vertu, afin que, soit en passant sous un meilleur gouvernement, il puisse vivre une vie meilleure, soit s’il continue à faire le mal, il puisse être facilement puni par l’autorité indépendante de ses maîtres.