On aura déduit de ce qui précède, et il est d’ailleurs généralement admis, que les « Archives des choses anciennes » ne sont pas isolées. Sans parler des « Chroniques des choses anciennes d’un âge révolu », dont l’authenticité est contestée, il existe un autre ouvrage incontestablement authentique dont aucun étudiant de l’antiquité japonaise ne peut se passer. Intitulé Nihon-Gi, c’est-à-dire « Chroniques du Japon », il est le deuxième en valeur après les « Archives », qu’il a toujours surpassées auprès du public. Il fut achevé en 720 apr. J.-C., huit ans après que les « Archives des choses anciennes » eurent été présentées à l’impératrice Gem-miyo.
La portée des deux histoires est la même ; mais le langage de la dernière et sa manière de traiter les traditions nationales contrastent notablement avec la simplicité sans prétention [20] de l’ancienne. Non seulement le style est entièrement chinois (à l’exception des Song, qui ont dû être laissés tels quels ou complètement sacrifiés) – en fait, dans une large mesure, un cento de phrases chinoises bien usées – mais le sujet est retouché, réorganisé et peaufiné, de manière à ce que l’ouvrage ressemble autant que possible à une histoire chinoise. Les spéculations philosophiques et les préceptes moraux chinois se mêlent aux traditions plus rudimentaires héritées de l’antiquité japonaise. Ainsi, le récit naturaliste japonais de la création est inauguré par quelques phrases qui font remonter l’origine de toutes choses au Yin et au Yang ( ), les essences passive et active de la philosophie chinoise. On attribue au légendaire empereur Jim-mu des discours composés de citations du « Yi King », [1] du « Li Chi », [2] et d’autres ouvrages chinois classiques. Quelques-unes des traditions nationales les plus enfantines sont omises, par exemple l’histoire du « Lièvre blanc d’Inaba », celle des dieux obtenant conseil d’un crapaud, et celle de l’hospitalité qu’une souris parlante a offerte à la divinité Maître-du-Grand-Pays. [3] Parfois, la tradition originale est simplement atténuée ou expliquée. Un exemple notable de cela se trouve dans le récit de la visite du dieu Izanagi [4] à Hadès, où il se rend à la recherche de sa défunte épouse, et doit, entre autres, gravir le « Col Élevé (ou Col) d’Hadès ». [5] Dans la tradition préservée dans les « Archives » et même dans les « Chroniques », ce col ou cette colline est mentionné comme un fait géographique littéral. Mais le compilateur de ce dernier ouvrage, dont l’objectif était d’apparaître et de faire apparaître ses ancêtres, aussi raisonnable qu’un érudit chinois, formule une glose selon laquelle « un récit [p. xxviii] dit que le Col Élevé d’Hadès n’est pas un lieu distinct, mais simplement le moment où la respiration cesse au moment de la mort » ; une hypothèse certes peu heureuse, car ce col est mentionné en rapport avec le retour d’Izanagi au monde des vivants. En bref, nous pouvons dire de cet ouvrage ce que l’on a dit de la Septante : il rationalise.
On se demandera peut-être comment il se fait qu’un livre dans lequel les traditions nationales sont ainsi manifestement altérées, et qui est de plus écrit en chinois au lieu d’être dans la langue maternelle, ait bénéficié d’une popularité bien plus grande que l’ouvrage le plus authentique ?
La réponse se trouve en surface : les concessions faites aux notions chinoises ont largement contribué à satisfaire les esprits formés aux modèles chinois, tandis que le lecteur a vu son respect pour les anciens empereurs indigènes s’accroître et a pu préserver une certaine croyance dans les dieux indigènes. Les gens sont rarement tout à fait logiques en ces matières, surtout aux premiers stades de la société ; et les difficultés sont escamotées plutôt qu’insistées. Le commencement du monde, par exemple, ou, pour reprendre la terminologie japonaise, la « séparation du ciel et de la terre » a eu lieu il y a longtemps ; et peut-être, bien qu’il ne puisse évidemment y avoir aucun doute philosophique quant à l’interaction des Essences Passive et Active, il se pourrait aussi qu’Izanagi et Izanami (l’« Homme-Invitant » et la « Femme-Invitant ») aient été les ancêtres du Japon. Qui sait si, en eux, les principes fondateurs n’ont pas été incarnés, représentés ou figurés d’une manière imprécise, mais néanmoins réelle ? En fait, les deux divinités en question ont souvent été désignées dans les ouvrages japonais sous les appellations de « Déité Yin » et de « Déité Yang », et, dans sa préface chinoise, le compilateur même de ces « Archives » approuve l’emploi de cette phraséologie. Cependant, si l’on examine attentivement le rôle des dieux dans la légende relatée dans la section IV, elle semble imparfaitement applicable. Si, de même, les premiers souverains, comme l’impératrice Jin-gō, s’adressaient à leurs troupes avec des phrases tirées du « Shu Ching » [6] ou, comme l’empereur Kei-kō, décrivaient les Aïnos en des termes qui ne conviendraient qu’aux pages d’un topographe chinois – ces deux personnages étant supposés avoir vécu avant l’ouverture des relations avec le continent asiatique – l’anachronisme était en partie masqué par le fait que l’ouvrage qui relatait ainsi leurs faits et gestes était lui-même rédigé en chinois, où de telles expressions semblaient naturelles. Dans certains cas également, l’usage chinois avait si complètement supplanté l’usage indigène [22] que ce dernier avait été presque oublié, sauf par les membres du clergé shintō. C’est ce qui s’est produit dans le cas de la méthode chinoise de divination au moyen d’une carapace de tortue, dont l’introduction a fait tomber en désuétude l’ancienne coutume indigène de divination par l’omoplate d’un cerf. Reste à savoir si cette coutume indigène ne remonte pas à une influence continentale encore plus ancienne. D’après les documents disponibles, la divination par l’omoplate d’un cerf était la plus ancienne méthode japonaise pour connaître la volonté des dieux. L’utilisation du cycle sexagénaire chinois pour compter les années, les mois,et les jours sont un autre exemple de l’usage importé [p. xxx], devenu si profondément ancré dans les habitudes d’esprit indigènes que l’anachronisme de son emploi lorsqu’il parle d’une période avouée antérieure à l’introduction de la civilisation continentale passe inaperçu. Quant à l’idée grotesque (pour un Européen moderne) de prétendre donner les mois et les jours précis d’événements supposés s’être produits mille ans avant la date assignée à l’introduction des instruments astronomiques, des observatoires, et même de l’art d’écrire, c’est une autre de ces incohérences qui, bien que superficielles, échappent pourtant si facilement à l’esprit oriental non critique. [7] Les gens semi-civilisés se lassent de poser des questions, et remettre en question l’antiquité, qui occupe une si grande place dans leurs pensées, est la dernière chose qui viendrait à l’esprit de leurs érudits, dont l’attitude mentale est représentée de manière caractéristique par Confucius lorsqu’il se qualifie lui-même de « transmetteur et non de créateur, croyant et aimant les anciens ». [8] En ce qui concerne la question de la langue, le chinois standard devint bientôt plus facile à comprendre que le japonais archaïque, car seul le premier [23] était enseigné dans les écoles et la langue maternelle changea rapidement au cours du siècle ou des deux siècles qui suivirent la diffusion de la langue et de la civilisation étrangères. Il nous suffit de rappeler la relative facilité pour la plupart d’entre nous d’un livre latin et d’un livre écrit en anglais ancien. Bien sûr, dès que les principes de la Renaissance japonaise se sont imposés dans les esprits au XVIIIe siècle, l’ouvrage le plus authentique et le plus national a pris sa juste place dans l’estime des étudiants. Mais la grossièreté du style, au regard des idées modernes, et la quantité d’explications de toutes sortes nécessaires à l’intelligibilité des « Records of Ancient Matters », ont toujours dû les empêcher d’atteindre la popularité de leur ouvrage jumeau. Ainsi, bien que publiés presque simultanément, les deux ouvrages avaient des tendances très différentes, et leur destin a été différent en conséquence.Français et pourtant échappent si facilement à l’esprit oriental non critique. [7:1] Les gens semi-civilisés se lassent de poser des questions, et remettre en question l’antiquité, qui occupe une si grande place dans leurs pensées, est la dernière chose qui viendrait à l’esprit de l’un de leurs érudits, dont l’attitude mentale est représentée de manière caractéristique par Confucius lorsqu’il se qualifie lui-même de « transmetteur et non de créateur, croyant et aimant les anciens ». [8:1] En ce qui concerne la question de la langue, le chinois standard est rapidement devenu plus facile à comprendre que le japonais archaïque, car le premier [23] seul était enseigné dans les écoles et la langue maternelle a rapidement changé au cours du siècle ou des deux siècles qui ont suivi la diffusion de la langue et de la civilisation étrangères. Nous n’avons qu’à nous rappeler la relative facilité pour la plupart d’entre nous d’un livre latin et d’un livre écrit en anglais ancien. Bien sûr, dès que les principes de la Renaissance japonaise se sont imposés dans les esprits au XVIIIe siècle, l’ouvrage le plus authentique et le plus national a pris sa juste place dans l’estime des étudiants. Mais la grossièreté du style, au regard des idées modernes, et la quantité d’explications de toutes sortes nécessaires à l’intelligibilité des « Records of Ancient Matters », ont toujours dû les empêcher d’atteindre la popularité de leur ouvrage jumeau. Ainsi, bien que publiés presque simultanément, les deux ouvrages avaient des tendances très différentes, et leur destin a été différent en conséquence.Français et pourtant échappent si facilement à l’esprit oriental non critique. [7:2] Les gens semi-civilisés se lassent de poser des questions, et remettre en question l’antiquité, qui occupe une si grande place dans leurs pensées, est la dernière chose qui viendrait à l’esprit de l’un de leurs érudits, dont l’attitude mentale est représentée de manière caractéristique par Confucius lorsqu’il se qualifie lui-même de « transmetteur et non de créateur, croyant et aimant les anciens ». [8:2] En ce qui concerne la question de la langue, le chinois standard est rapidement devenu plus facile à comprendre que le japonais archaïque, car le premier [23] seul était enseigné dans les écoles et la langue maternelle a rapidement changé au cours du siècle ou des deux siècles qui ont suivi la diffusion de la langue et de la civilisation étrangères. Nous n’avons qu’à nous rappeler la relative facilité pour la plupart d’entre nous d’un livre latin et d’un livre écrit en anglais ancien. Bien sûr, dès que les principes de la Renaissance japonaise se sont imposés dans les esprits au XVIIIe siècle, l’ouvrage le plus authentique et le plus national a pris sa juste place dans l’estime des étudiants. Mais la grossièreté du style, au regard des idées modernes, et la quantité d’explications de toutes sortes nécessaires à l’intelligibilité des « Records of Ancient Matters », ont toujours dû les empêcher d’atteindre la popularité de leur ouvrage jumeau. Ainsi, bien que publiés presque simultanément, les deux ouvrages avaient des tendances très différentes, et leur destin a été différent en conséquence.bien que publiés presque simultanément, les tendances des deux ouvrages étaient très différentes et leur sort a été différent en conséquence.bien que publiés presque simultanément, les tendances des deux ouvrages étaient très différentes et leur sort a été différent en conséquence.
Pour l’étudiant européen, la principale valeur des « Chroniques du Japon » réside dans le fait que leur auteur, en traitant de ce qu’on appelle l’« Âge divin », donne souvent plusieurs versions de la même légende sous le titre « Un récit dit », suffixé en note au texte principal. Aucune expression n’est plus courante dans les traités ultérieurs d’histoire japonaise que celle-ci : « Un récit des « Chroniques du Japon » dit », et on la retrouve occasionnellement dans les notes de bas de page de la présente traduction. Il existe également des exemples où l’auteur des « Chroniques » a conservé, soit dans le texte, soit dans « Un récit », des traditions omises par le compilateur des « Archives ». Tels sont, par exemple, la légende pittoresque inventée pour expliquer le fait que le soleil et la lune ne brillent pas simultanément [9], et le développement curieux de la légende de l’expulsion de la divinité [24] [p. xxxii] Susa-no-wo (”Homme Impétueux”), nous racontant l’hospitalité qui lui fut refusée par les autres dieux lorsqu’il apparut devant eux pour implorer un abri. De nombreux Chants des « Chroniques » diffèrent également de ceux des « Annales » et constituent un précieux ajout à notre vocabulaire du japonais archaïque. Le texte en prose, de même, contient, sous forme de notes, de nombreuses lectures permettant de déterminer la prononciation des mots écrits idéographiquement ou le sens des mots écrits phonétiquement dans les « Annales ». Enfin, les « Chroniques » nous livrent les annales de soixante-douze années non comprises dans le plan des « Archives », en reportant à 700 après J.-C. l’histoire qui, dans les « Archives », s’arrête à l’année 628. Bien que ce soit donc une erreur [p. xxxiii] d’affirmer, comme certains l’ont fait, que les « Chroniques du Japon » doivent être placées en tête de tous les ouvrages historiques japonais, leur aide ne peut en aucun cas être dispensée par l’étudiant de la mythologie et de la langue japonaises. [10]
xxvii:13 . ↩︎
xxvii:14 . ↩︎
xxvii:15 Voir Sect. XXI., XXVII et XXIII. ↩︎
xxvii:16 Rendu dans la traduction anglaise par « l’Homme-Qui-Invite ». ↩︎
xxvii:17 Yomo tsu Hira-Saka. ↩︎
xxix:18 . ↩︎
xxx:19 On trouvera des détails sur l’adoption par les Japonais du système chinois de calcul du temps dans les « Tables chronologiques japonaises » de feu M. Bramsen, où ce regretté érudit qualifie « l’ensemble du système de dates fictives appliqué aux premières histoires du Japon » d’une des plus grandes fraudes littéraires perpétrées, ce qui permet de déduire le peu de confiance que l’on peut accorder aux premiers ouvrages historiques japonais. Voir également « Enquête sur la véritable chronologie » de Motowori, p. 33-36, et son deuxième ouvrage sur le même sujet, intitulé « Discussion des objections à l’enquête sur la véritable chronologie », p. 46 et suiv. ↩︎ ↩︎ ↩︎
xxx:20 « Entretiens confucéens », Livre VII. Chap. I. Traduction du Dr Legge. ↩︎ ↩︎ ↩︎
xxxi:21 Il serait peut-être utile de citer cette légende dans son intégralité. La voici : p. xxxii
« Un récit raconte que la Grande Déité Éclatante du Ciel, étant au Ciel, dit : « J’ai entendu dire qu’il existe dans le Pays Central des Plaines de Roseaux (c’est-à-dire au Japon) une Déité Possédant la Nourriture. Toi, ô Auguste Possesseur de la Nuit de Lune, va voir. » Son Auguste, la Possesseure de la Nuit-Lune, ayant reçu ces ordres, descendit sur terre et arriva à l’endroit où se trouvait la Déité Possédeuse de la Nourriture. Aussitôt, la Déité Possédeuse de la Nourriture, tournant la tête vers la terre, sortit du riz de sa bouche ; de nouveau, se tournant vers la mer, elle sortit aussi de sa bouche des choses à nageoires larges et des choses à nageoires étroites ; de nouveau, se tournant vers les montagnes, elle sortit aussi de sa bouche des choses à poils rêches et des choses à poils doux. Ayant rassemblé toutes ces choses, elle les offrit [au Dieu-Lune] en festin sur cent tables. À ce moment, Son Auguste, la Possesseure de la Nuit-Lune, en colère et rougissant, dit : « Quelle saleté ! Quelle vulgarité ! Quoi ! Oserais-tu me nourrir de choses crachées de ta bouche ? » [et sur ces mots], il dégaina son sabre et la tua. Il fit ensuite son rapport [à la Déesse du Soleil]. Lorsqu’il lui raconta tous les détails, la Grande Déité Éclatante du Ciel fut très irritée et dit : « Tu es une Déité perverse, qu’il ne convient pas que je voie » ; et aussitôt, elle et Son Auguste, le Possesseur de la Nuit de Lune, vécurent séparément jour et nuit. La légende en partie parallèle rapportée dans ces « Archives » constitue le sujet de la section XVII de la Traduction. ↩︎
xxxiii:22 Comparez les remarques de M. Satow sur ce sujet dans le vol. III, partie I, pp. 21-23 de ces « Transactions ». ↩︎