Sun Tzŭ peut se vanter d’avoir une liste exceptionnellement longue et distinguée de commentateurs, qui ferait honneur à n’importe quel classique. # Ou-yang Hsiu remarque ce fait, bien qu’il ait écrit avant que le récit ne soit terminé, et l’explique assez ingénieusement en disant que les artifices de la guerre, étant inépuisables, [p. xxxv] doivent donc être susceptibles d’être traités d’une grande variété de manières. [^92]
1. # Ts’ao Ts’ao ou # Ts’ao Kung, connu par la suite sous le nom de # Wei Wu Ti [155–220 apr. J.-C.]. Il ne fait guère de doute que le premier commentaire sur Sun Tzŭ soit dû à cet homme extraordinaire, dont la biographie dans le San Kuo Chih [1] se lit comme un roman. L’un des plus grands génies militaires que le monde ait connu, et napoléonien par l’ampleur de ses opérations, il était particulièrement célèbre pour la rapidité prodigieuse de ses marches, qui s’exprime dans le vers # « Parlez de Ts’ao Ts’ao, et Ts’ao Ts’ao apparaîtra. » Ou-yang Hsiu dit de lui qu’il était un grand capitaine qui « mesura sa force contre Tung Cho, Lü Pu et les deux Yüan, père et fils, et les vainquit tous ; après quoi il divisa l’empire des Han avec Wu et Shu, et se proclama roi. On rapporte que chaque fois qu’un conseil de guerre était tenu par Wei à la veille d’une campagne de grande envergure, il avait tous ses calculs prêts ; les généraux qui les utilisaient ne perdaient pas une bataille sur dix ; ceux qui leur allaient à l’encontre de quelque point que ce soit voyaient leurs armées incontinent battues et mises en fuite. » [2] Les notes de Ts’ao Kung sur Sun Tzŭ, modèles de concision austère, sont si caractéristiques du commandant sévère connu de l’histoire qu’il est difficile de les concevoir comme l’œuvre d’un simple littérateur. Parfois, en effet, en raison d’une extrême concision, [p. xxxvi] ils sont à peine intelligibles et n’ont pas moins besoin d’un commentaire que le texte lui-même. [3] Comme nous l’avons vu, Ts’ao Kung est l’auteur présumé du #, un livre sur la guerre en quelque 100 000 mots, aujourd’hui perdu, mais mentionné dans le #. [4]
2. # Mêng Shih. Les commentaires qui nous sont parvenus sous ce nom sont relativement rares, et on ne sait rien de l’auteur. Même son nom personnel n’a pas été enregistré. L’édition de Chi T’ien-pao le place après Chia Lin, et # Ch’ao Kung-wu l’attribue également à la dynastie T’ang, [^97] mais il s’agit manifestement d’une erreur, car son œuvre est mentionnée dans le #. Dans la préface de Sun Hsing-yen, il apparaît comme Mêng Shih de la dynastie Liang [502–557]. D’autres l’identifieraient à # Mêng K’ang du IIIe siècle. Dans le #, [5] il est nommé dernier des # « Cinq commentateurs », les autres étant Wei Wu Ti, Tu Mu, Ch’ên Hao et Chia Lin.
3. # Li Ch’üan du VIIIe siècle était un écrivain réputé sur les tactiques militaires. Son # a été constamment utilisé jusqu’à nos jours. Le # mentionne # (vies de généraux célèbres de la dynastie Chou à la dynastie T’ang) comme étant de sa main. [6] Il est également généralement supposé être le véritable auteur du populaire traité taoïste, le #. Selon Ch’ao Kung-wu et le catalogue T’ien-i-ko, [7] il a suivi le # texte de Sun Tzŭ, qui diffère considérablement de ceux [p. xxxvii] aujourd’hui existants. Ses notes sont pour la plupart courtes et concises, et il illustre fréquemment ses remarques par des anecdotes de l’histoire chinoise.
4. # Tu Yu (mort en 812) n’a pas publié de commentaire séparé sur Sun Tzŭ, ses notes étant tirées du T’ung Tien, le traité encyclopédique sur la Constitution qui fut l’œuvre de sa vie. Elles sont en grande partie des répétitions de Ts’ao Kung et de Mêng Shih, en outre on pense qu’il s’est inspiré des anciens commentaires de # Wang Ling et d’autres. En raison de la disposition particulière du T’ung Tien, il doit expliquer chaque passage selon ses mérites, indépendamment du contexte, et parfois sa propre explication ne concorde pas avec celle de Ts’ao Kung, qu’il cite toujours en premier. Bien qu’il ne soit pas à proprement parler l’un des « Dix Commentateurs », il fut ajouté à leur nombre par Chi T’ien-pao, placé à tort après son petit-fils Tu Mu.
5. # Tu Mu (803–85 2) est peut-être mieux connu comme poète – une étoile brillante même dans la glorieuse galaxie de la période Tang. Nous apprenons de Ch’ao Kung-wu que, bien qu’il n’ait aucune expérience pratique de la guerre, il aimait beaucoup discuter du sujet et était de plus bien informé sur l’histoire militaire des ères Ch’un Ch’iu et Chan Kuo. [^101] Ses notes méritent donc qu’on s’y intéresse. Elles sont très abondantes et regorgent de parallèles historiques. L’essentiel de l’œuvre de Sun Tzŭ est ainsi résumé par lui : « Pratiquez la bienveillance et la justice, mais d’un autre côté, faites pleinement usage de l’artifice et des mesures d’opportunisme. » [8] Il a en outre déclaré que tous les militaires [p. xxxviii] Les triomphes et les désastres des mille ans qui s’étaient écoulés depuis la mort de Sun Wu, après examen, se révéleraient confirmer et corroborer, dans tous les détails, les maximes contenues dans son livre. [9] L’accusation quelque peu malveillante de Tu Mu contre Ts’ao Kung a déjà été examinée ailleurs.
6. # Ch’ên Hao semble avoir été contemporain de Tu Mu. Ch’ao Kung-wu dit qu’il fut poussé à écrire un nouveau commentaire sur Sun Tzŭ parce que celui de Ts’ao Kung était d’une part trop obscur et subtil, et celui de Tu Mu d’autre part trop long et diffus. [10] Ou-yang Hsiu, écrivant au milieu du XIe siècle, qualifie Ts’ao Kung, Tu Mu et Ch’ên Hao comme les trois principaux commentateurs de Sun Tzŭ (#), et observe que Ch’ên Hao attaque continuellement les défauts de Tu Mu. Son commentaire, bien que non dénué de mérite, doit être classé en dessous de ceux de ses prédécesseurs.
7. # Chia Lin est connu pour avoir vécu sous la dynastie T’ang, car son commentaire sur Sun Tzŭ est mentionné dans le # et a été réédité par la suite par # Chi Hsieh de la même dynastie avec ceux de Mêng Shih et Tu Yu. [11] Il est d’une texture quelque peu maigre, et en termes de qualité aussi, peut-être le moins précieux des onze.
8. # Mei Yao-ch’ên (1002–1060), communément connu sous le nom de Mei # Shêng-yü pour son « style », était, comme Tu Mu, un poète distingué. Son commentaire fut publié avec une préface élogieuse du grand Ou-yang Hsiu, dont on peut retenir ce qui suit :
Les érudits ultérieurs ont mal interprété Sun Tzŭ, déformant ses propos et essayant de les adapter à leurs propres vues partiales. Ainsi, bien que les commentateurs n’aient pas manqué, seuls quelques-uns se sont montrés à la hauteur. Mon ami Shêng-yü n’a pas commis cette erreur. En tentant de fournir un commentaire critique de l’œuvre de Sun Tzŭ, il ne perd pas de vue que ces paroles étaient destinées à des États engagés dans des guerres intestines ; que l’auteur ne s’intéresse pas aux conditions militaires prévalant sous les souverains des trois anciennes dynasties, [12] ni aux neuf mesures punitives prescrites au ministre de la Guerre. [13] Là encore, Sun Wu aimait la concision, mais son sens est toujours profond. Qu’il s’agisse de la marche d’une armée, du maniement des soldats, de l’estimation de l’ennemi ou du contrôle des forces victorieuses, le sujet est toujours traité de manière systématique ; Les paroles sont liées entre elles selon une séquence logique stricte, bien que celle-ci ait été obscurcie par des commentateurs qui n’en ont probablement pas saisi le sens. Dans son propre commentaire, Mei Shêng-yü a balayé tous les préjugés tenaces de ces critiques et a tenté de faire ressortir la véritable signification de Sun Tzŭ lui-même. Ainsi, les nuages de confusion ont été dissipés et les paroles clarifiées. Je suis convaincu que cet ouvrage mérite d’être transmis aux côtés des trois grands commentaires ; et pour tout ce qu’ils y trouvent, les générations futures auront toujours raison de remercier mon ami Shêng-yü. [14]
En tenant compte de l’exubérance de l’amitié, je suis enclin à approuver ce jugement favorable et le placerais certainement au-dessus de Ch’ên Hao par ordre de mérite. [p. xl] 9. # Wang Hsi, également de la dynastie Song, est résolument original dans certaines de ses interprétations, mais beaucoup moins judicieux que Mei Yao-ch’ên, et dans l’ensemble, il n’est pas un guide très fiable. Il aime comparer son propre commentaire à celui de Ts’ao Kung, mais la comparaison ne lui est pas souvent flatteuse. Nous apprenons de Ch’ao Kung-wu que Wang Hsi a révisé le texte ancien de Sun Tzŭ, comblant les lacunes et corrigeant les erreurs. [15]
10. # Ho Yen-hsi de la dynastie Song. Le nom de ce commentateur est donné comme ci-dessus par # Chêng Ch’iao dans le T’ung Chih, écrit vers le milieu du XIIe siècle, mais il apparaît simplement sous le nom de # Ho Shih dans le Yü Hai, et Ma Tuan-lin cite Ch’ao Kung-wu comme affirmant que son nom est inconnu. Il ne semble y avoir aucune raison de douter de la déclaration de Chêng Ch’iao, sinon j’aurais été enclin à hasarder une supposition et à l’identifier à un certain # Ho Ch’ü-fei, auteur d’un court traité sur la guerre intitulé #, qui vécut à la fin du XIe siècle. [16] Le commentaire de Ho Shih, selon les termes du catalogue T’ien-i-ko, # « contient des ajouts utiles » ici et là, mais est surtout remarquable par les nombreux extraits tirés, sous une forme adaptée, des histoires dynastiques et d’autres sources.
11. # Chang Yü. La liste se termine par un commentateur sans grande originalité, mais doté d’un admirable talent d’exposé lucide. Son commentaire s’inspire de celui de Ts’ao Kung, dont il parvient à développer magistralement les phrases concises. Sans Chang Yü, on peut affirmer sans risque de se tromper qu’une grande partie du commentaire de Ts’ao Kung serait restée dans une obscurité immaculée et donc sans valeur. Son œuvre n’est mentionnée ni dans l’histoire des Song, ni dans le T’ung K’ao, ni dans le Yü Hai, mais elle trouve une place dans le T’ung Chih, qui le cite également comme l’auteur des # « Vies de généraux célèbres ». [17]
Il est assez remarquable que ces quatre derniers aient prospéré en si peu de temps. Ch’ao Kung-wu l’explique ainsi : « Pendant les premières années de la dynastie Song, l’Empire connut une longue période de paix, et l’art de la guerre cessa. Mais lorsque la rébellion de Chao Yuan-hao éclata en 1038-1042 et que les généraux de la frontière furent maintes fois vaincus, la Cour rechercha activement des hommes qualifiés pour la guerre, et les sujets militaires devinrent à la mode parmi tous les hauts fonctionnaires. C’est pourquoi les commentateurs de Sun Tzŭ sous notre dynastie appartiennent principalement à cette période. » [^112]
Outre ces onze commentateurs, il en existe plusieurs autres dont les travaux ne nous sont pas parvenus. Le Sui Shu en mentionne quatre, à savoir # Wang Ling (souvent cité par Tu Yu comme #) ; # Chang Tzŭ-shang ; # Chia Hsü de # Wei ; [18] et # Shên Yu de # Wu. Le T’ang Shu ajoute # Sun Hao, et le T’ung Chih # Hsiao Chi, tandis que le T’u Shu mentionne un commentateur Ming, # Huang Jun-yü. Il est possible que certains d’entre eux aient été de simples collectionneurs et éditeurs d’autres commentaires, comme Chi T’ien-pao et Chi Hsieh, mentionnés plus haut. Dans le cas de ce dernier, l’entrée #, dans le T’ung K’ao, sans la note suivante, laisserait certainement entendre qu’il avait écrit son propre commentaire indépendant.
Il existe deux ouvrages, décrits dans le [p. xlii] Ssu K’u Ch’üan Shu [^114] et sans doute extrêmement rares, que j’aurais beaucoup aimé voir. L’un est intitulé #, in 5 chüan. Il donne des sélections de quatre nouveaux commentateurs, probablement de la dynastie Ming, ainsi que des onze que nous connaissons. Les noms des quatre sont # Hsieh Yüan ; # Chang Ao ; # Li Ts’ai ; et # Huang Chih-chêng. L’autre ouvrage est # in 4 chüan, compilé par # Chêng Tuan de la dynastie actuelle. C’est un recueil d’informations sur la guerre antique, avec une référence particulière aux 13 chapitres de Sun Tzŭ.
[^92] : xxxv:1 Préface à l’édition de Mei Yao-ch’ên : #
[^97] : xxxvi:3 Wên Hsien T’ung K’ao, ch. 221, f. 9 _v_°.
[^101] : xxxvii:1 Wên Hsien T’ung K’ao, ch. 221, f. 9 : #.
[^112] : xli:2 T’ung K’ao, loc. cit. : #.
[^114] : xlii : 1 Ch. 100, et suiv. 2, 3.
xxxv:2 Voir #, ch. 1. ↩︎
xxxv:3 Loc. cit.: #. ↩︎
xxxvi:1 Cf. # Catalogue de la bibliothèque de la # famille Fan à Ningpo, #, fol. 12 _v_°: # « Son commentaire est souvent obscur mais fournit un indice, mais ne développe pas pleinement le sens. » ↩︎
xxxvi:2 Voir #, ch. 141 ad init. ↩︎
xxxvi:4 Ch. 207, f. 5 _r_°. ↩︎
xxxvi:5 Il est intéressant de noter que M. Pelliot a récemment découvert les chapitres 1, 4 et 5 de cet ouvrage perdu dans les « Grottes des Mille Bouddhas ». Voir BEFE O, t. VIII, nos. 3–4, p. 525. ↩︎
xxxvi:6 Loc. cit. ↩︎
xxxvii:2 Préface à son commentaire (T’u Shu, # ch. 442) : #. ↩︎
xxxviii:1 Ibid.: #. ↩︎
xxxviii:2 T’ung K’ao, loc. cit.: #. ↩︎
xxxviii:3 Ibid. ↩︎
xxxix:1 Les Hsia, les Shang et les Tcheou. Bien que ces derniers existassent nominalement à l’époque de Sun Tzŭ, ils ne conservèrent guère de pouvoir, et l’ancienne organisation militaire avait pratiquement disparu. Je ne peux proposer aucune autre explication à ce passage. ↩︎
xxxix:2 Voir Chou Li, XXIX. 6–10. ↩︎
xxxix:3 Voir T’u Shu, #, ch. 90, f. 2 _v_°: #. ↩︎
xl:1 T’ung K’ao, ch. 221, f. 11 _r_°: #. ↩︎
xl:2 Voir #, ch. 99, f. 16 _v_°. ↩︎
xli:1 Il semble que ce document existe encore. Voir « Notes » de Wylie, p. 91 (nouvelle édition). ↩︎
xli:3 Personnage remarquable de son époque. Sa biographie est donnée dans le San Kuo Chih, ch. 10. ↩︎