Auteur : Albert C. Knudson
[ p. 285 ]
« La PERSONNALITÉ est la forme sous laquelle l’idée de Dieu est donnée par la Révélation. » Cette affirmation de Ritschl 1 ne serait peut-être pas sérieusement remise en question par quiconque admettrait la révélation, et même celui qui la nierait ne remettrait guère en question l’idée que le Dieu des Écritures chrétiennes est une Déité personnelle. Mais Ritschl ne précise pas si et dans quelle mesure la personnalité de Dieu est un enseignement spécifiquement biblique ou chrétien. On admettra probablement généralement que le christianisme a accordé plus d’importance à la personnalité appliquée à la Déité que toute autre religion 2 et, en ce sens, la doctrine pourrait être qualifiée de vérité « révélée ». Mais, d’un autre côté, on peut à juste titre affirmer que la révélation, à ce stade, n’est que l’aboutissement de la religion naturelle. Comme nous l’avons déjà vu, toute religion a une tendance théiste. Il y a sans doute eu des religions sans Dieu personnel, et d’ailleurs sans aucun Dieu. Mais il s’agissait de formes de religion imparfaites et peu développées. Dans sa forme vitale et non pervertie, la religion tend vers la croyance en un Dieu personnel [ p. 286 ]. En effet, les premiers dieux étaient des êtres personnels. C’est ce qui les différenciait des simples esprits ou démons. Ce qui faisait d’eux des dieux était leur personnalité. L’absolu et la bonté parfaite ne leur étaient pas et ne pouvaient pas leur être attribuées. Le polythéisme exclut l’idée d’un pouvoir et d’une bonté absolus comme inhérents à un être. Seul le monothéisme permet d’attribuer ces attributs à la Déité. Il convient de noter que Dieu était personnel avant d’être considéré comme absolu ou parfaitement bon. Tel était le cas de Jéhovah. Ce n’est qu’après des siècles que l’omnipotence et la justice absolue lui furent attribuées. On peut donc dire que la personnalité est la caractéristique la plus ancienne et la plus générale des êtres divins. « Dieu » désignait à l’origine un Dieu personnel. Ce n’est que dans un sens dérivé que le terme a été appliqué à des êtres impersonnels, même s’il est vrai, bien sûr, que la ligne de démarcation entre les dieux « personnels » et les esprits « impersonnels » n’a pas toujours été clairement tracée dans la pensée populaire.
Compte tenu de l’importance de la personnalité dans la conception de Dieu, il est quelque peu étrange que ce terme ne soit entré dans l’usage général, appliqué à la Déité, que relativement récemment. Le mot « personne » figure en bonne place dans les premières controverses trinitaires et christologiques et, à ce titre, a reçu sa première définition claire en tant que terme philosophique et théologique. « Une personne », disait Boèce dans un traité écrit au début du VIe siècle, « est la subsistance individuelle d’une nature rationnelle [p. 287]. »[^3] En ce sens, le Christ était une personne, bien que possédant deux natures distinctes. Mais le mot « personne » n’était pas appliqué à Dieu en tant qu’Être unitaire ; on disait plutôt qu’il y avait trois « personnes » dans la Divinité. La personnalité en Dieu était donc l’enseignement de l’Église, et non la personnalité de Dieu.[1] Il en fut ainsi jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cet emploi du terme « personne » ou « personnalité ». Premièrement, la pensée chrétienne primitive, sous l’influence du réalisme platonicien, tendait à subordonner l’individu à l’universel. La notion générale d’être ou d’essence semblait par conséquent plus ultime que celle de personnalité, qui implique plus ou moins d’individuation ou de limitation. Un être personnel peut être la forme la plus élevée sous laquelle l’essence ultime se manifeste, mais en elle-même, l’essence, du moins en idée, transcende la personnalité par son unité et sa simplicité. Dieu, un et simple, est essence. Personnel, il est triple, et donc, à cet égard, non ultime et absolu. Ce caractère logiquement secondaire et subordonné de la personnalité est suggéré par le mot « substantia » dans la définition de Boèce. Ce mot est l’équivalent latin du grec hypostasis, et est rendu plus précisément par le mot anglais « subsistance » que par le mot « substance ». Il désigne une distinction au sein de la substance ou réalité ultime plutôt que cette réalité elle-même. En tant qu’essence ultime, simple et unitaire [ p. 288 ], Dieu n’est pas une personne. Ce sont les trois distinctions hypostatiques en son être qui sont des personnes. La pensée chrétienne primitive a été guidée par l’universalisme métaphysique de la philosophie grecque jusqu’à cette conclusion.
Un autre aspect de la pensée grecque qui contribua au même but fut la réaction philosophique contre le polythéisme. Les dieux grecs étaient personnels, trop personnels ; aussi les esprits les plus profonds et les plus sérieux s’en détournèrent-ils pour se concentrer sur la divinité en général. Le Divin, dans l’abstrait et l’idéal, leur semblait plus noble et plus adorable que les dieux de la croyance populaire. Une sorte de Divinité impersonnelle supplanta ainsi les divinités personnelles dans la foi religieuse supérieure de l’époque ; et cela signifiait que, dans toute tentative de fusion du personnalisme et de l’impersonnalisme, la primauté, tant en valeur qu’en logique, reviendrait à ce dernier. Il en résulta que la conception gréco-romaine de la valeur religieuse se combina avec le réalisme platonicien pour empêcher la personnalisation complète de l’idée de Dieu dans la théologie chrétienne. La personnalité était considérée comme un élément éternel et constitutif de la Déité, mais la Déité elle-même n’était pas conçue comme personnelle.
Une troisième difficulté, peut-être plus sérieuse, qui s’opposait à un personnalisme théologique approfondi résidait dans son apparente influence sur la divinité du Christ et du Saint-Esprit. Si Dieu lui-même, au plus profond de son être, est une Personne, la question se posait naturellement de savoir si le Fils et le Saint-Esprit peuvent également être considérés comme des personnes. On pourrait peut-être dire que la difficulté ici était verbale plutôt que réelle, mais dans l’Église primitive et médiévale, elle semblait réelle et significative. Attribuer une personnalité à l’essence même de la Déité à cette époque aurait été prôner un christianisme unitaire par opposition à un christianisme trinitaire. Quoi qu’il en soit, il semblait alors plus facile et plus naturel de protéger la divinité du Fils et de l’Esprit en les traitant comme des personnes éternelles au sein d’un tout divin plus vaste qu’en les considérant comme inclus d’une manière ou d’une autre dans une personnalité divine universelle. En d’autres termes, un personnalisme trinitaire, avec son arrière-plan impersonnel, semblait plus conforme à la foi historique qu’un personnalisme unitarien pur et dur. Cette dernière vision semblait occulter la divinité unique et essentielle du Fils et de l’Esprit.
Ce sont des considérations comme celles qui précèdent qui ont empêché les penseurs chrétiens, pendant plus de dix-sept siècles, d’affirmer la personnalité de Dieu. Ils croyaient fermement en Dieu comme Être personnel et spirituel. Pas un instant ils n’ont démenti le profond personnalisme de la foi chrétienne. Mais ils ne considéraient pas la personnalité comme si constitutive du divin qu’elle soit identique à son essence. Pour eux, Dieu était personnel, mais il ne l’était pas au plus profond de son être. Il ne leur semblait donc pas approprié de parler de lui dans son unité et sa totalité comme d’une personne. Mais à la fin du XVIIIe siècle, cette réserve dans le mode d’expression disparut. Les théologiens commencèrent alors à se référer à Dieu comme à une personne et à insister sur sa personnalité. William Paley, par exemple, dans sa Théologie naturelle, publiée en 1802, consacrait un chapitre à « La personnalité [ p. 290 ] de la Déité ». Il conclut l’argumentation de ce chapitre en affirmant qu’« après tous les combats d’une philosophie réticente, le recours nécessaire est à une Divinité. Les marques du dessein sont trop fortes pour être surmontées. Le dessein a forcément eu un concepteur. Ce concepteur a dû être une personne. Cette personne est Dieu. » Depuis l’époque de Paley, on a peut-être moins insisté sur l’idée de dessein en lien avec celle de personnalité, mais l’idée de personnalité elle-même, appliquée à la Divinité, a bénéficié d’une importance croissante. L’expression « personnalité de Dieu » est aujourd’hui communément acceptée comme une formulation appropriée d’une doctrine fondamentale de la foi chrétienne.
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce changement. L’une d’elles était l’accent mis sur l’unité du monde et, par conséquent, sur l’unité de sa cause sous-jacente, suscitée par les théories scientifiques auxquelles les noms de Copernic et de Newton sont particulièrement associés. Cette insistance tendait à reléguer au second plan les distinctions trinitaires qui avaient occupé la pensée autrefois, et à concentrer l’attention sur l’unité divine. Ce ne sont pas les distinctions personnelles au sein de cette unité, mais le caractère personnel de l’agent unitaire lui-même qui devinrent ainsi l’objet d’un intérêt particulier. De plus, le péril du monisme matérialiste du XVIIIe siècle conduisit naturellement les penseurs chrétiens à mettre l’accent sur la personnalité du fondement du monde.
Un autre facteur contribuant à ce changement fut le renouveau des modes de pensée panthéistes vers la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Ce renouveau, inspiré par Spinoza, se reflétait dans le grand mouvement idéaliste représenté par Fichte, Schelling et Hegel, ainsi que dans la théologie et la philosophie de Schleiermacher. Si ces penseurs ne rejetaient pas expressément la personnalité de Dieu, ils adoptaient du moins une attitude incertaine et hésitante à son égard et, dans l’ensemble, semblaient avoir penché vers une vision impersonnelle de l’Absolu. Cela était particulièrement vrai pour certains théologiens hégéliens ultérieurs, tels que Strauss et Biederinn. En réaction à cette tendance, apparut par conséquent le besoin conscient de mettre à nouveau l’accent sur la personnalité de Dieu. Les penseurs chrétiens, qui avaient auparavant tenu cette doctrine pour acquise, ont désormais estimé qu’il leur incombait de la placer au centre de leur enseignement.
Parallèlement, une nouvelle conception de la métaphysique de la personnalité s’est développée, notamment sous l’influence de Leibniz, Berkeley, Kant et Lotze, donnant au personnalisme théiste un nouvel essor. On a alors compris que la personnalité ne se situe pas dans un rapport adjectival à la réalité ultime, ni n’est une simple distinction hypostatique en son sein, mais qu’elle est elle-même la clé de la réalité ultime et identique à elle. Ce n’est que dans et par le personnel que nous pouvons parvenir à la compréhension de l’Absolu. Cette conception a permis non seulement une personnalisation plus complète de l’idée de Dieu que celle qui avait cours autrefois, mais aussi une justification plus adéquate et plus convaincante de celle-ci. La métaphysique moderne a ainsi coopéré avec le monisme de la science moderne et avec la réaction chrétienne instinctive contre le matérialisme et le panthéisme modernes pour établir et diffuser la croyance en la personnalité unitaire de Dieu.
Jusqu’ici, nous avons utilisé les mots « personne » et « personnalité » comme si leur signification était évidente, et c’est sans doute le cas de manière générale. Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire de définir leur signification plus précisément.
La personnalité ne nous est connue directement que sous sa forme humaine ; et ici, elle est toujours associée à un corps. Par conséquent, nous pourrions conclure que la corporéité est essentielle à la personnalité. C’est d’ailleurs la vision que les hommes adoptent d’abord instinctivement et presque inévitablement. Dans la pensée religieuse primitive, elle se reflétait dans la croyance en la résurrection du corps et dans le culte des images. Les dieux étaient supposés avoir un corps ou quelque chose qui leur ressemble. Mais avec l’essor du monothéisme éthique en Israël, la Déité fut détachée de toute forme matérielle ; et cette conclusion, issue de la perspicacité religieuse, fut ultérieurement confirmée par la pensée spéculative. Dans le cas de la Déité, la personnalité était ainsi séparée de la corporéité, et la possibilité d’une séparation similaire dans le cas de la personnalité humaine fut enseignée par Platon, puis par la théologie chrétienne. Cependant, deux courants de pensée ont résisté à cette conclusion : le matérialisme, ou naturalisme, et le panthéisme. Ces deux types de philosophie ont soutenu que la personnalité est indissolublement liée à un organisme matériel, et [ p. 293 ] qu’avec la disparition de ce dernier, la personnalité humaine disparaît. De plus, le naturalisme matérialiste nie totalement l’existence indépendante de l’esprit, tandis que le panthéisme nie à l’Esprit absolu la personnalité. Le fait que Dieu n’ait pas de corps comme nous est censé exclure sa qualité de Personne. Ce lien entre personnalité et corporéité est à la base de l’une des critiques les plus courantes dirigées contre le théisme depuis l’époque de Xénophane. La réponse à cette critique réside dans le fait que le corps n’est pas un facteur analytiquement nécessaire de notre vie mentale. Notre vie personnelle intérieure pourrait vraisemblablement se poursuivre indépendamment de son organisme matériel actuel. La personnalité en tant que telle n’implique pas nécessairement la corporéité.
Par essence, la personnalité est donc psychique et spirituelle. Il est nécessaire de l’affirmer car on a récemment tendance à attribuer une personnalité à Dieu dans un sens non psychique. Un auteur allemand [^5] a, par exemple, distingué la personnalité « psychique » et la personnalité « spirituelle ». La première peut être subdivisée en personnalité « naturelle » et « culturelle », mais elle reste en principe la même sous les deux formes. L’accent est ici mis sur l’unité et l’identité du soi et sur le principe d’auto-préservation. Ce sont les facteurs fondamentaux constitutifs de la personnalité psychique. C’est la personnalité, dans ce sens du terme, qui est attribuée aux dieux sur le plan polythéiste. Ce sont simplement des hommes magnifiés, et la méthode employée pour leur attribuer l’existence est la méthode « mythologique ». C’est l’imagination débridée qui [ p. 294 ] leur donne leur être. La personnalité dans son sens « psychique » ne doit donc pas être attribuée au Dieu unique.
La personnalité spirituelle, quant à elle, se caractérise par son dévouement à des fins sociales et idéales. Son objectif principal n’est pas l’auto-préservation, mais l’accomplissement de tâches et de devoirs. La lutte et la réussite sont donc inhérentes à l’idée même de personnalité spirituelle. Être une personne, dans ce sens, signifie être en voie de le devenir. C’est du moins le cas pour les hommes. La personnalité humaine est incomplète et demeure toujours telle, un idéal à atteindre ; c’est pourquoi le poète parle de
« . . . le progrès, seule marque distinctive de l’homme, non celle de Dieu, ni celle des bêtes : Dieu est, elles sont, l’homme est en partie et espère entièrement être. »
Cette citation de Browning [2] répond d’avance à la question que nous allions poser : la personnalité spirituelle sous sa forme humaine peut-elle être attribuée à Dieu ? La réponse est négative. Dieu n’est pas un Être en lutte et en développement ; il est « complet ». C’est donc seulement symboliquement, selon Steinmann, que la personnalité doit être affirmée de lui. Il est personnel dans le sens où il se trouve dans une relation « causale » avec notre vie spirituelle supérieure. En vertu de cette relation, il peut lui-même être dit spirituel. Mais sa spiritualité ne consiste pas en une adaptation flexible de sa part à nos besoins changeants. Elle se trouve plutôt dans la fermeté et la fidélité avec lesquelles il adhère à son dessein salvifique, dans la constance immuable de sa sainte volonté. Ce que cela implique au-delà, nous ne pouvons le dire. Tenter de définir la personnalité divine avec plus de précision revient à abandonner le fondement solide de l’expérience et de la conviction religieuses et à retomber sur une « connaissance » illusoire dérivée de la tradition et du désir humains.
Un point de vue similaire, quoique plus extrême, a été exposé il y a quelques années dans un livre qui a connu un grand succès en Amérique[3]. On nous y mettait en garde contre toute « psychologisation de la conscience de Dieu ». Il serait difficile de dire ce que « conscience » pourrait bien signifier si tout élément psychique en était éliminé. On nous disait que « conscience de soi » et « pouvoir de connaître » ne s’appliquent pas à Dieu dans le sens que ces mots ont dans notre expérience et notre langage humains. De là, la seule conclusion semble être que, appliqués à la Déité, ils n’ont aucune signification intelligible. Et si tel était le cas, on supposerait naturellement que la seule solution cohérente serait de lui nier la personnalité. Mais l’auteur, qui était professeur de théologie, n’a pas osé le faire. Il nous a donc expliqué que sa conception de la personnalité de Dieu ne reposait pas sur une théorie de la conscience divine, mais sur la nature des fins révélées dans l’univers. Les « fins » sont cependant aussi dénuées de sens sans conscience que la « conscience » l’est sans le psychique. Ce que nous appelons fins dans la nature ne seraient que des effets, des résultats, sans intelligence intentionnelle. Parler de « fins », de « conscience » et de « personnalité » comme s’ils n’impliquaient pas des éléments psychologiques tels que la volonté et la connaissance, c’est simplement se brouiller soi-même et ses lecteurs. La personnalité appliquée à Dieu doit signifier plus ou moins ce que nous entendons par ce terme lorsqu’il s’applique à nous-mêmes, sinon c’est un symbole trompeur.
Mais si la personnalité doit être interprétée en termes psychologiques, elle n’implique pas nécessairement des limitations et des imperfections telles que celles qui accompagnent la croissance et le développement de l’esprit humain. Si c’était le cas, il faudrait soit transformer Dieu en un être fini et en développement, soit lui refuser la personnalité. Aucune de ces deux alternatives n’est nécessaire. Nous avons examiné les objections à la première dans le chapitre précédent, et nous examinerons plus en détail plus loin si l’idée d’absolu exclut celle de personnalité. Nous souhaitons simplement souligner ici que les éléments psychiques essentiels de la personnalité n’impliquent pas en eux-mêmes le type de finitude auquel nous venons d’évoquer. Ces éléments, tels qu’ils sont communément admis, sont la connaissance, la volonté et le sentiment ; ou, si nous souhaitons combiner les deux derniers, nous pouvons les désigner comme la conscience de soi, la connaissance de soi ou le pouvoir de connaître, d’une part, et la maîtrise de soi ou l’auto-direction, d’autre part, « maîtrise » et « direction » contenant une référence implicite au sentiment. Aucun de ces éléments n’implique une limitation dépendante. En effet, l’absence de l’un quelconque de ces pouvoirs, celui de connaître, de vouloir ou de ressentir, constituerait en soi une limitation. Nous sommes nous-mêmes des êtres dépendants et, en nous, ces pouvoirs se manifestent nécessairement de manière imparfaite et limitée, mais rien ne s’oppose à ce qu’un Être absolu les possède et, en lui, [ p. 297 ], ils se manifestent sous une forme parfaite. Les méthodes particulières par lesquelles nous acquérons la connaissance de soi et la maîtrise de soi ne sont pas essentielles à cette connaissance et à cette maîtrise en elles-mêmes. Elles peuvent tout à fait exister comme possessions éternelles d’un Esprit infini. Et partout où nous les trouvons chez un être, nous avons une personne. La personnalité, par essence, signifie « identité personnelle, connaissance de soi et autodirection » [4] et, à cet égard, elle peut être finie ou infinie.
Il reste encore un point à souligner concernant la signification de la personnalité. Il a trait à l’idée d’individualité et à la relation des individus les uns aux autres. Certains insistent sur l’exclusivité et l’isolement du soi. « La personnalité », disait D. F. Strauss, [^9] « est cette individualité qui s’isole de tout le reste, l’excluant ainsi d’elle-même. » Dans un passage qu’il dit avoir regretté d’avoir mis sous cette forme, Pringle-Pattison déclarait que « chaque soi est une existence unique, parfaitement imperméable… aux autres soi, imperméables d’une manière dont l’impénétrabilité de la matière est un faible analogue… Le soi est en vérité le sommet même de la séparation et de la différenciation… Bien que le soi soit dans la connaissance un principe d’unification, il est dans l’existence, ou métaphysiquement, un principe d’isolement. » [5] Dans cette vision, il y a sans doute une grande part de vérité, mais ce n’est qu’une demi-vérité. La personnalité est aussi sociale. Cela implique une relation réciproque avec d’autres personnes. Une personne complètement isolée ne serait pas une personne au sens plein du terme. C’est pourquoi le dieu d’Aristote ne correspond pas à ce que nous entendons par « Dieu personnel ». Il est une individualité consciente d’elle-même, mais son activité est entièrement dirigée vers lui-même, vers sa propre pensée. Il n’a pas cette énergie spontanée que nous associons à la maîtrise de soi ou à l’autodirection et que suggère l’idée d’une volonté personnelle. Il est un idéal rayonnant qui attire le monde, et en ce sens le monde l’aime, mais il n’aime pas le monde. Il s’en tient à l’écart. Il n’y a pas de relation réciproque entre lui et les hommes. Il lui manque cette chaleur et cette intimité que nous associons aux relations personnelles, et n’est donc pas lui-même véritablement personnel. Ce que nous avons particulièrement à l’esprit lorsque, d’un point de vue religieux, nous parlons de la personnalité de Dieu, c’est l’idée de communion avec lui. Il est un Être qui nous connaît, nous aime et en qui nous pouvons avoir confiance. C’est parce que la personnalité de Dieu implique tout cela que nous la considérons comme si essentielle à la religion.
Outre la connaissance et la maîtrise de soi, il est nécessaire d’insister sur la communion avec autrui dans la personnalité. Cette communion est éthique et non métaphysique. Elle présuppose l’identité et les fonctions psychiques générales de connaissance, de volonté et de sentiment ; sans elles, il ne pourrait y avoir de communion. Mais il faut aussi quelque chose de plus pour qu’il y ait une véritable communion. Il faut une confiance et une bienveillance mutuelles. Entre Dieu et l’homme, ces sentiments prennent naturellement une forme différente de celle qu’ils prennent dans la relation d’égal à égal, mais en principe, ils sont identiques. Ils reposent sur une base éthique. Seule l’attitude éthique appropriée de deux ou plusieurs personnes les unes envers les autres rend possible une véritable communion ; et cette attitude est celle d’un respect mutuel fondé sur une reconnaissance mutuelle de valeur. Par conséquent, si la communion ou les relations réciproques sont essentielles à une personnalité complète, nous devons considérer la valeur ou la dignité comme un élément constitutif de celle-ci. En d’autres termes, la personnalité doit être considérée comme une fin en soi.
En résumé, on peut dire que la personnalité n’implique pas nécessairement la corporéité ni la limitation dépendante. Elle est par essence l’individualité, la connaissance de soi et la maîtrise de soi ; ou, plus concrètement, une personne est celle qui pense, ressent et veut. Un tel être, par sa nature même, recherche la communion avec autrui. Il le fait car c’est seulement ainsi que son véritable moi et sa valeur intrinsèque, ainsi que le moi et la valeur des autres, peuvent s’exprimer et se réaliser pleinement.
Dans le paragraphe précédent et ailleurs, nous avons déjà souligné que la limitation dépendante n’est pas une implication nécessaire de la personnalité. Un être peut être personnel, tout en étant concevable d’être libre de toute limitation dépendante, ou, en d’autres termes, d’être absolu. Entre l’absolu et l’essence de la personnalité, il n’y a pas d’incompatibilité. Cela, nous le pensons, a été assez clairement démontré. Mais l’opinion contraire a été si souvent défendue que le sujet mérite une discussion plus approfondie.
Dans une certaine mesure, la controverse à ce stade n’a porté que sur les mots. On a soutenu que la « personnalité » suggère naturellement et presque inévitablement une certaine limitation humaine et que l’appliquer à la Déité est un anthropomorphisme à éviter. L’Absolu est esprit et, en tant que tel, embrasse tout ce qui a de la valeur dans la personnalité, mais il n’est pas lui-même personnel ; il est « surpersonnel ». Si cela signifie que la Déité représente un type de conscience et de volonté supérieur à celui représenté par la personnalité humaine, cela ne fait qu’énoncer ce qui a été non seulement concédé, mais soutenu par tous les personnalistes théistes. Le « nom » personne, disait Thomas d’Aquin, « s’applique à juste titre à Dieu ; non pas, cependant, comme il s’applique aux créatures, mais d’une manière plus excellente (via eminentiae) ». La personnalité humaine est donc un symbole plutôt qu’un miroir de la vie intérieure de Dieu. Ce qu’est cette vie, nous ne pouvons pas le comprendre pleinement. Elle nous transcende. Mais s’il s’agit d’une vie d’intelligence libre, peu importe que nous en ayons une compréhension plus approfondie ou non, ni que nous la qualifiions de personnelle ou non. Tant que l’intelligence libre, quelle qu’elle soit, est attribuée à l’Absolu, la différence entre le personnaliste et le « superpersonnaliste » n’est qu’une question de mots.
Mais dans le débat sur la « personne » et son applicabilité à l’Absolu, un enjeu bien plus important est généralement en jeu que la simple signification du terme. Le véritable point en litige est de savoir si l’Absolu doit être pensé comme un Être conscient et auto-dirigé. Ceux qui lui refusent la personnalité ou la lui refusent signifient généralement qu’il n’est pas un Être auquel on puisse attribuer intelligence et liberté. Il est une volonté pure sans intellect, comme l’enseignait Schopenhauer, ou une intelligence inconsciente, comme le soutenait Hartmann, ou une force aveugle, comme cela a souvent été soutenu. C’est cette vision du fondement du monde comme inintelligent qui, à elle seule, donne du sens à l’affirmation selon laquelle la personnalité est incompatible avec l’absolu. La personnalité ne s’oppose pas à un type supérieur d’intelligence divine, mais à la non-intelligence. Nier la personnalité à l’Absolu ou au fondement du monde signifie qu’il n’est ni intelligent ni libre. La véritable question est donc de savoir si l’intelligence consciente et libre est compatible avec l’idée d’absoluité.
Pour traiter cette question, il est important de distinguer les différents sens du mot « absolu ». Nous en avons relevé trois au chapitre précédent : l’agnostique, le logique et le causal. Dans son sens agnostique, l’absolu signifie l’indépendant, et puisque rien ne peut être connu que par ses relations, il s’ensuit qu’un Être absolu doit être inconnaissable. On ne peut lui affirmer la personnalité, ni rien d’autre. Mais un tel Être, comme nous l’avons dit précédemment, est non seulement inconnaissable, mais aussi inaffirmable. Il ne sert à rien dans l’univers et peut être rejeté comme une simple ombre créée par l’esprit lui-même. Le seul fondement rationnel à l’affirmation d’un Absolu est que son existence nous aide à expliquer le monde des apparences, mais s’il est lui-même entièrement inconnaissable, il ne peut manifestement pas servir de principe explicatif. Un agnosticisme total se contredit lui-même.
L’Absolu « logique » est atteint par la subordination de l’individuel à l’universel. L’hypothèse [ p. 302 ] est que l’universel suprême est la réalité ultime. Un tel universel transcende tous les modes finis de l’être et pourtant les embrasse tous. Il peut prendre la forme de l’unité universelle du néoplatonisme, de la substance universelle de Spinoza, ou de l’esprit universel de Hegel. En tout cas, c’est une réalité transcendante qui ne peut être identifiée à aucun mode concret de l’être. Elle s’exprime dans et par le fini, mais rien de fini n’exprime sa nature essentielle. Nous ne pouvons donc lui attribuer conscience ou personnalité. Car ce serait la limiter à un seul mode d’être, et ce serait détruire son universalité et son absoluité. La personnalité, insiste-t-on, n’est qu’une forme d’existence parmi d’autres, et plus encore, une forme d’existence qui porte en elle-même le sceau de la finitude. « Nous avons déjà cité Strauss disant que « la personnalité est cette individualité qui se ferme à tout le reste, l’excluant ainsi de soi-même. » Il ajoutait que « l’Absolu, au contraire, est le global, l’illimité, qui n’exclut de lui-même que l’exclusivité qui réside dans la conception de la personnalité. » [^11]
On soutient encore qu’il existe une dualité nécessaire dans la personnalité, qui implique sa finitude. « Une raison et une volonté infinies », demandait Schleiermacher dans une lettre à Jacobi, « peuvent-elles réellement être autre chose que des mots vides de sens, alors que la raison et la volonté, en différant l’une de l’autre, se limitent aussi nécessairement l’une l’autre ? Et si l’on tente d’annuler la distinction entre raison et volonté, la conception de la personnalité [ p. 303 ] n’est-elle pas détruite par cette tentative même ? » [^12] L’hypothèse ici est que la réalité ultime se situe au-delà de toutes les différences. Elle est pure unité ou pure identité.
Une autre méthode, plus courante, pour tenter de prouver la finitude nécessaire de la personnalité consiste à dire que la conscience implique une distinction entre sujet et objet, ou entre ego et non-ego, et est donc impossible à un Être absolu qui embrasse toute la réalité. Un tel Être ne peut avoir d’objet, car il n’y a rien d’extérieur à lui, et il ne peut y avoir de non-ego séparé de lui. Il ne peut donc être un Être conscient. Mais ce raisonnement, comme on l’a souvent souligné, confond une forme logique ou psychologique avec une altérité ontologique. [6] L’Absolu pourrait se faire son propre objet ; et étant absolu, il n’aurait bien sûr pas besoin d’un non-ego pour conditionner le développement de sa conscience, comme c’est le cas pour nous.
L’objection fondamentale, cependant, aux tentatives précédentes d’établir une antithèse entre personnalité et absoluité réside dans la manière abstraite dont ils conçoivent l’Absolu. Pour eux, l’Absolu est un universel logique. Son existence est obtenue par un processus de subordination logique. L’individu est subordonné à la classe à laquelle il appartient, et cette classe à la classe supérieure, jusqu’à ce que soit finalement atteint l’universel ultime qui embrasse tous les êtres finis. Tout au long de ce processus, on maintient la fiction selon laquelle plus l’universel est large, plus sa profondeur et sa richesse sont grandes. Or, c’est l’inverse de la vérité. Seul l’individu est réel. L’universel est un concept, et plus il est inclusif, plus il est vide de contenu. L’universel ultime est donc le plus vide de tous les termes ; et c’est ce que devient l’Absolu lorsqu’il est obtenu par un processus de subordination logique et identifié à l’être universel. Conçu comme pure unité, pure substance ou pur esprit, il n’est qu’une simple abstraction. Il n’a pas d’équivalent dans la réalité concrète. Il transcende toutes les formes d’être fini et constitue l’élément universel et indéfinissable commun à toutes. En tant que tel, il est nécessairement impersonnel, mais aussi dépourvu de tout caractère défini, et peut être considéré comme une fiction de la pensée conceptuelle.
Si l’idée d’un Absolu métaphysique doit être retenue, elle doit l’être au sens causal du terme ; et en ce sens, il n’y a aucune incompatibilité entre elle et l’idée de personnalité. Du point de vue causal, l’Absolu est le fondement ou la cause indépendante de l’univers. Il ne dépend de rien d’extérieur à lui-même ; mais il n’est pas complètement indépendant ni illimité. Il est en relation avec le monde et est, dans une certaine mesure, limité par lui. Mais cette limitation est auto-imposée. L’Absolu n’est pas lui-même le Tout, ni l’Inconnaissable. Sa relation causale avec le monde le rend, dans une certaine mesure, connaissable, et son activité créatrice nous permet de le distinguer de son œuvre. Tout dépend de lui pour son existence ; et c’est ce qui constitue son absoluité. Mais l’absoluité ainsi comprise n’exclut pas l’autolimitation. En effet, ne pas posséder ce pouvoir serait en soi une limitation. Il en va de même pour le pouvoir de connaître et le pouvoir de se maîtriser. Ces pouvoirs, qui sont les constituants essentiels de la personnalité, sont également essentiels à l’Absolu, si l’on considère qu’il possède un pouvoir absolu. Le pouvoir de connaître n’est certainement pas une limitation, pas plus que le pouvoir de se maîtriser. La seule limitation qui leur est liée réside dans le degré auquel ils sont possédés par des êtres finis. Nous ne possédons ces pouvoirs que dans une mesure limitée ; il est donc juste de dire que nous ne représentons la personnalité que sous une forme imparfaite. Si nous avions une connaissance et une maîtrise de soi parfaites, nous serions plus véritablement personnels que nous ne le sommes actuellement.
Il faut donc renverser le jugement commun. Au lieu de dire que la personnalité est incompatible avec l’absolu, il faut plutôt dire que la personnalité parfaite n’est possible que dans l’Absolu. L’opinion contraire repose sur une conception erronée de l’absolu métaphysique. [7]
Cependant, le véritable fondement de l’adhésion à la personnalité de Dieu réside non pas dans sa cohérence avec l’idée d’absolu, mais dans sa valeur religieuse et philosophique positive. Ces valeurs ont déjà été évoquées incidemment, mais il convient de les résumer ici.
Il existe deux valeurs religieuses fondamentales. L’une [ p. 306 ] est la communion avec Dieu, l’autre la confiance en sa bonté ; toutes deux impliquent sa personnalité. Aucune communion n’est possible sans liberté et intelligence. Des interactions peuvent exister entre des êtres impersonnels, organiques et inorganiques. Mais une véritable communion ne peut exister qu’entre des êtres qui se connaissent et adoptent une attitude émotionnelle et volitive les uns envers les autres. Si Dieu était pur intellect, comme le concevait Aristote, aucune communion avec lui ne serait possible. Et il en serait de même s’il était créé selon le modèle épicurien et assis à l’écart.
« Là où ne tombe jamais la moindre étoile blanche de neige, Où jamais le plus petit bruit du tonnerre ne gronde, Ni le moindre soupir de douleur humaine ne vient troubler Son calme sacré et éternel. »
La communion exige plus que la pensée, plus que le pouvoir de savoir ; elle exige une expression de sentiments et de volonté. C’est ce qui sous-tend cette parole émouvante de l’Écriture, le Dieu « vivant ». La vie, appliquée à Dieu, ne signifie pas moins que l’intelligence ; elle signifie plus. Elle signifie qu’en Dieu il y a un cœur et une volonté, réceptifs aux besoins humains, une attitude d’esprit qui suscite et exauce la prière. C’est peut-être l’aspect de la personnalité qui la caractérise le plus. La personnalité met l’accent sur la volonté encore plus que sur l’intelligence. Et c’est là que réside la différence entre l’intellectualisme et le personnalisme. Le premier, représentant la tradition classique, met l’accent sur la raison théorique ; le second, reflétant l’enseignement biblique, met l’accent sur la raison pratique. C’est la nature morale et émotionnelle qui constitue le fondement de cette communion vivante avec Dieu, qui constitue l’essence de la vraie religion.
Même sur le plan impersonnel, la religion recherche l’union avec l’Être divin. Mais il existe une grande différence entre une union mystique et métaphysique avec un Être impersonnel et le type d’union avec le Divin enseigné dans les Écritures. Il ne s’agit pas ici d’une union par absorption, mais d’une union issue d’une relation réciproque, une union du cœur, de la volonté et de l’intellect ; et une telle union n’est possible qu’entre des êtres personnels. Seule la personnalité de Dieu rend possible l’union de communion avec lui.
Sa personnalité est aussi le présupposé de sa bonté. Il ne peut y avoir de bonté au sens éthique du terme sans liberté et intelligence. Autrement dit, seul un être personnel peut être bon. Les choses et les êtres subpersonnels peuvent être utiles, mais ils ne sont pas moralement bons. La bonté est un attribut de la personnalité et, en dehors d’elle, une simple abstraction. Par conséquent, toutes les valeurs religieuses liées à la croyance en la justice et à l’amour divins dépendent, pour leur existence même, d’une vision personnaliste du monde. La Providence, avec tout ce qu’elle implique, serait dénuée de sens sans un Dieu personnel, tout comme la prière. Le cœur même de notre religion prophétique et chrétienne disparaîtrait sans lui. Ce n’est donc ni un instinct erroné ni une aberration théologique qui a conduit à l’insistance sur la personnalité de Dieu, caractéristique de la pensée chrétienne. Les valeurs fondamentales de l’expérience chrétienne y sont contenues.
Une autre valeur religieuse attachée à la conception personnaliste de la Déité est son influence sur notre conception de l’homme. En soulignant la personnalité de Dieu, nous affirmons non pas la ressemblance de Dieu avec l’homme, mais plutôt la ressemblance de l’homme avec Dieu. Nous déclarons que l’homme est créé à l’image de Dieu et, ce faisant, nous affirmons non seulement sa haute dignité, mais aussi l’amour de Dieu. Car l’amour divin ne serait pas la forme suprême de l’amour s’il ne conduisait pas Dieu à communiquer sa propre vie et sa propre ressemblance à ses créatures. [^15] La personnalité de Dieu signifie donc qu’il s’est transmis aux hommes et nous a ainsi manifesté son amour. Ainsi, sa personnalité n’est pas seulement une présupposition métaphysique de son amour, elle est elle-même une affirmation de notre parenté avec lui et de sa relation d’amour envers nous.
La valeur philosophique de l’idée de personnalité appliquée à Dieu a été plus lente à être reconnue. Le mot « personne » utilisé dans la doctrine de la Trinité était une source d’embarras pour la raison plutôt qu’autre chose. Augustin ressentait vivement son inadéquation et disait que la réponse « trois personnes » était donnée au questionneur « non pas pour qu’elle soit énoncée, mais pour qu’elle ne reste pas muette ». [8] Plus tard, sous l’influence d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin, la doctrine de la Trinité fut élevée au-dessus du plan de la justification rationnelle [ p. 309 ] et fondée exclusivement sur l’autorité de la révélation. Mais avec l’avènement de l’ère moderne et la nouvelle orientation donnée à la philosophie par Descartes, une importance nouvelle fut accordée à l’idée de personnalité et elle finit par être appliquée à la Divinité tout entière.
Deux considérations en particulier ont contribué à conférer à cette idée une signification métaphysique accrue. L’une est le caractère concret de la personnalité, le fait qu’elle soit donnée par l’expérience. Toute tentative de transcender la personnalité conduit à une forme d’abstractionnisme ou d’agnosticisme. Une réalité qui ne nous est pas révélée par l’expérience est soit totalement indéfinissable, soit constituée par une idée générale et dénuée de contenu concret. C’est dans l’expérience que toute réalité véritable se révèle. Ce que pourrait être la réalité en dehors de l’expérience, nous ne le savons pas. S’il existe un principe ou une réalité supra-empirique dans le monde objectif, il doit être interprété en termes personnels ou soumis à une complète ignorance, car c’est dans l’expérience de soi, et là seulement, que nous avons un aperçu de la véritable intériorité des choses. [9] Nous connaissons le soi comme nous ne connaissons rien d’autre. Augustin et Descartes ont irréfutablement clarifié cette vérité, non seulement établissant un rempart permanent contre le scepticisme total, mais jetant également les bases d’une métaphysique empirique solide. Dans la personnalité, nous avons la seule clé empirique de la réalité ultime ; et le fait qu’en tant que principe métaphysique, elle ait un avantage certain [ p. 310 ] sur les essences abstraites de tous les types de philosophie impersonnelle est devenu de plus en plus clair au cours de la pensée moderne.
L’avantage décisif réside non seulement dans le fait que la personnalité est une réalité concrète et empirique, mais aussi dans le fait qu’elle contient en elle-même une solution aux problèmes fondamentaux de la métaphysique, solution qu’aucun principe ou essence impersonnel ne peut offrir. C’est la deuxième considération mentionnée ci-dessus, qui a milité en faveur du personnalisme. Kant en a énoncé le principe sous-jacent ainsi : « On peut donc dire du moi pensant (l’âme), qui se représente comme substance, simple, numériquement identique dans tous les temps, et comme corrélatif de toute existence, d’où, en fait, toute autre existence doit être conclue, qu’il ne se connaît pas lui-même à travers les catégories, mais connaît seulement les catégories, et à travers elles tous les objets, dans l’unité absolue de l’aperception, c’est-à-dire à travers lui-même. » [10] Bowne l’a exprimé plus simplement en disant que les catégories n’expliquent pas l’intelligence, mais sont expliquées par elle. Si nous voulons comprendre ce que signifient les catégories d’unité, d’identité et de causalité, nous devons nous référer à notre expérience de l’intelligence libre et y trouver la réponse. Si nous voulons savoir comment l’unité peut s’harmoniser avec la pluralité, et l’identité avec le changement, nous devons chercher la solution non pas dans un xyz transcendantal et inconnaissable, mais dans notre propre libre arbitre conscient. Nous nous savons un et pourtant nous faisons beaucoup de choses. Nous changeons constamment et pourtant nous nous constituons un et identiques à nos moi passés. Comment cela est-il possible ? Nous l’ignorons. Mais le fait est clair comme le jour, et il est inhérent à la personnalité elle-même. C’est donc là, dans notre libre intelligence, et là seulement, que se trouve la solution aux problèmes séculaires de la métaphysique. La solution est empirique, et non théorique, mais cela n’en est pas moins précieux.
La perspicacité philosophique s’est ainsi alliée à la compréhension religieuse pour faire de la personnalité une catégorie primordiale dans la conception de la Déité. Cependant, la personnalité est elle-même complexe. Elle implique unité, identité, conscience de soi et maîtrise de soi : quatre attributs, dont les trois derniers, appliqués à la Personne Suprême, seraient peut-être plus justement l’immutabilité, l’omniscience et la liberté. Nous considérerons donc ici ces trois attributs, ainsi que celui de l’unité divine, en lien avec la personnalité de Dieu, tout comme nous avons considéré son omnipotence, son omniprésence et son éternité sous le terme de son absoluité.
L’unité de Dieu a un double sens. Elle signifie qu’il est indivisible et qu’il est unique. Ces deux idées ont été développées dans l’Ancien Testament et sont devenues des éléments permanents du théisme prophétique et chrétien. [11] L’indivisibilité de Dieu était soulignée par contraste avec le polybaalisme et le polyyahvisme courants dans l’ancien Israël, et l’onlineness de Dieu était soulignée par contraste avec le polythéisme antique en général. Ces deux idées ont trouvé leur expression classique dans la célèbre parole de Deut. 6. 4 : « Écoute, Israël ! L’Éternel, notre Dieu, est un seul Seigneur. » Face à la multiplicité des Baals, il était affirmé ici qu’il n’y a qu’un seul Seigneur ou Jéhovah, et face aux nombreux dieux du paganisme, il était affirmé qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Jéhovah était ici déclaré non pas comme un vague être panthéiste se différenciant en plusieurs Jéhovah locaux, mais comme un être unitaire et indivisible, une Personne au sens moderne du terme. Il était également déclaré comme la seule Déité. Cette dernière idée fut plus tardive que la première, mais elle lui était intimement liée. Jéhovah, dans son universalité, demeurait un être aussi unitaire et individuel que lorsqu’il était considéré comme le simple Dieu d’Israël. Cette unité rigide du Dieu de l’Ancien Testament tendait à le maintenir à un niveau moral élevé. Elle le préservait des effets dégradants de la différenciation sexuelle et des effets presque tout aussi dégradants de la différenciation en plusieurs divinités locales. Elle le rattachait aux intérêts supérieurs de la nation dans son ensemble et aux intérêts universels de l’humanité. En même temps, elle établissait un lien d’union avec l’exigence intellectuelle d’un monisme fondamental et préparait ainsi la voie à une alliance avec la philosophie grecque. C’est le besoin commun d’une unité fondamentale qui a rapproché les pensées hébraïque et grecque. Et aujourd’hui encore, la nécessité d’une telle unité est tout aussi impérative dans le domaine de la religion que de la philosophie.
Mais ce qui nous intéresse ici n’est pas l’histoire et les fondements de la croyance en l’unité divine, mais la manière dont cette unité doit être conçue. Une substance ou une force homogène pénétrant tout l’espace et s’étendant à travers le temps serait peut-être la forme sous laquelle la pensée spontanée serait d’abord encline à penser le fondement unitaire du monde. Mais puisque l’unité exclut la divisibilité, cette vision est manifestement intenable. Car l’espace et le temps sont tous deux infiniment divisibles. Aussi homogène soit-elle, une chose ne pourrait avoir d’unité si elle se trouvait dans l’espace ou le temps métaphysique ; seul un être qui transcende l’espace et le temps peut être une véritable unité. Cela vaut pour le fini comme pour l’infini. L’unité divine ne peut donc se trouver dans aucune substance ou force emplissant l’espace et durablement. Une telle substance ou force serait divisible en un nombre infini de parties, chacune extérieure à l’autre, et ces parties seraient à leur tour infiniment divisibles, de sorte que non seulement toute unité, mais toute réalité durable serait dissoute.
Si l’on doit attribuer l’unité au fondement du monde, il faut l’élever à un niveau supraspatial et supratemporel. Ceci a été généralement reconnu par les penseurs spéculatifs. Mais la manière d’y parvenir n’a pas toujours été claire. Une méthode courante a consisté à identifier le fondement du monde à l’universel le plus élevé, à l’être nu, puis à définir sa nature comme pure simplicité. En tant que tel, il transcende toute la pluralité et toutes les différences de l’existence finie. Ce n’est ni l’esprit, ni la matière. C’est quelque chose qui se situe au-dessus des deux. Mais ce qu’il est, hormis le fait qu’il est un et simple, nous ne pouvons le dire. Nous ne pouvons, selon Schleiermacher, nous en former aucune « véritable conception ». [ p. 314 ] Il se situe au-delà de la raison et de la volonté, et au-delà de la nature et de la conscience. Pour ce qui est de notre expérience articulée, ce n’est qu’un vide. Nous ne pouvons l’assimiler à rien de ce que nous connaissons ; et en tant que concept, il ne remplit aucune fonction dans un système rationnel, car un être absolument simple ne peut se différencier. Rien ne peut en être déduit. Il ne peut rien expliquer. En logique, il est impossible de passer du simple au complexe, ni de l’unité pure à la pluralité ; et si Dieu était considéré comme un être unitaire dans ce sens du terme, il ne pourrait rendre compte du monde tel que nous le connaissons. Il serait réduit à « un regard rigide et sans vie ».
C’est seulement sur le plan de l’intelligence libre que la véritable unité peut être réalisée, et c’est de ce seul point de vue que l’unité divine peut être correctement interprétée. Dans le cas d’un agent intelligent, l’unité ne réside pas dans une quelconque simplicité d’être ou de substance, mais dans la conscience elle-même, dans la capacité de l’agent à engendrer l’activité, à poser la pluralité et à maintenir son unité et son identité face à la multitude changeante. Comment cela est-il possible, nous l’ignorons, mais c’est un fait de notre propre expérience ; et ce qui est vrai pour nous à un degré limité, nous sommes autorisés à l’attribuer à Dieu à un degré illimité. Quoi qu’il en soit, c’est la seule forme intelligible et cohérente sous laquelle l’unité divine puisse être conçue. Dieu se connaît comme un face au monde changeant qu’il pose et maintient par sa libre activité créatrice.
De même que l’unité nie la divisibilité, l’immutabilité nie le changement. Mais le changement peut être de diverses natures. Il peut être métaphysique ou éthique, et être dû à des causes internes ou externes. C’est généralement à ces dernières que l’on pense lorsqu’on pense au changement. Par conséquent, attribuer l’immutabilité à la Déité revient souvent à affirmer son indépendance et son éternité. Il n’existe aucun être extérieur dont elle dépende et qui ait le pouvoir de produire des changements en elle. Son immuabilité signifie donc qu’elle existe par elle-même et qu’elle est éternelle. Elle n’est pas un être dépendant et périssable comme le sont les choses du monde. « Elles changeront, mais toi, tu es le même » (Psaume 102. 26s.). L’identité, cependant, ne se limite pas à l’extérieur et n’oppose pas l’éternité de Dieu à la fugacité du monde. Elle se tourne aussi vers l’intérieur et affirme une identité d’être en Dieu lui-même. C’est ce qui, au sens strict du terme, constitue son immutabilité métaphysique. Ni les causes internes ni externes n’altèrent l’essence profonde de son être. « Moi, l’Éternel, je ne change pas » (Malachie 3. 6).
Dans les Écritures, c’est principalement l’immuabilité éthique de Dieu qui est affirmée, bien que son immutabilité métaphysique, au double sens indiqué précédemment, soit partout assumée. Cela est vrai des paroles de Malachie citées plus haut, ainsi que de la description de Dieu dans Jacques 1. 17 : « Le Père des lumières, chez qui il n’y a ni changement ni ombre portée par variation. » Français Les divers passages qui nient que Dieu se repente (par exemple, Nombres 23. 19) et qui déclarent que son conseil demeure à jamais (par exemple, Psaumes 33. 11 ; 19. 21 ; Ésaïe 46. 10) doivent également être interprétés de cette manière. Cette insistance sur la constance éthique [ p. 316 ] de Dieu est en accord avec la nature pratique de l’enseignement biblique et a trait à sa « bonté », qui est le sujet du chapitre suivant.
Nous nous intéressons ici plus particulièrement à la manière dont l’immutabilité métaphysique de Dieu doit être conçue. De même que l’unité a été conçue comme pure simplicité, l’immutabilité a été conçue comme une identité rigide de l’être. La difficulté fondamentale dans les deux cas est la même. De même qu’il est impossible de passer de la simplicité à la complexité ou de l’unité à la pluralité, de même il est impossible de passer de l’identité au changement ou de l’immutabilité au mouvement. Si Dieu était considéré comme une substance immuable, il serait impossible d’expliquer le mouvement cosmique en marche. Les changements du monde doivent être dus à des changements dans sa cause sous-jacente. Une cause immuable ne pourrait produire qu’un effet immuable. Et l’immuabilité d’une telle cause et d’un tel effet ne résiderait pas dans une monotonie rigide de l’être, mais plutôt dans la constance de la loi qui régit son activité ou ses états. Or, une loi, aussi constante soit-elle, n’a pas d’existence ontologique. Pour un principe véritablement réel et immuable, il nous faut donc dépasser l’idée d’une substance immuable et celle d’une loi constante. Nous devons nous élever au plan personnel et le trouver dans le pouvoir unique de la conscience de soi par lequel l’esprit se différencie de ses états et de ses activités et se constitue un et identique. C’est dans cette merveilleuse capacité d’identité à soi, caractéristique de l’intelligence libre, que nous détenons la clé, et la seule clé, de l’immutabilité divine. Une telle identité à soi est entièrement [ p. 317 ] compatible avec le changement. En effet, ce n’est que par l’activité changeante qu’elle se réalise. L’immutabilité est ainsi complètement dissociée de l’immobilité.
La personnalité se caractérise par l’unité, l’identité personnelle et le pouvoir de connaître. Ce dernier, dans le cas de la Déité, est généralement supposé prendre la forme de l’omniscience. Que le pouvoir de connaître ne soit pas incompatible avec l’absolu, cela a déjà été clairement démontré. Bather considère que l’absence de ce pouvoir constitue une limitation. Mais la question de savoir si l’omniscience implique une connaissance de toute chose sans exception est un sujet qui a fait l’objet de nombreux débats.
En ce qui concerne la foi elle-même, tout ce qu’elle exige, c’est que Dieu sache tout ce qu’il doit savoir en tant que Gouverneur moral de l’univers. Il doit connaître le cœur de toutes ses créatures libres afin de les juger correctement. Il doit connaître toutes les forces de l’univers, tous ses êtres créés, bons et mauvais, afin de les guider vers la réalisation de son but ultime et de diriger les affaires du monde de telle sorte que les hommes puissent lui accorder une confiance absolue. Il doit connaître tout ce qu’implique la tâche de prendre soin de ses créatures et de racheter ceux qui placent leur confiance en lui. Rien ne peut donc lui être caché de ce qui concerne le bien-être de ses enfants. Tels sont les motifs qui sous-tendent les affirmations scripturales relatives à l’étendue de la connaissance divine. « Même les cheveux de votre tête sont tous comptés » (Matthieu 10.30). Tout est à nu et à découvert [ p. 318 ] aux yeux de celui à qui nous avons affaire (Héb. 4. 13). « Les yeux de l’Éternel sont en tout lieu, observant les méchants et les bons » (Prov. 15. 3). « Le séjour des morts et le séjour des morts sont devant l’Éternel, combien plus que le cœur des fils de l’homme ! » (Prov. 15.11). « Ô Éternel, tu me sondes et tu me connais. Tu sais quand je m’assieds et quand je me lève, tu pénètres de loin mes pensées. » (Psaume 139. 1-2). « Notre Seigneur est grand et puissant par sa force ; son intelligence est infinie. » (Psaume 147. 5). « Les ténèbres et la lumière sont toutes deux semblables » pour lui (Psaume 139. 11). Il annonce « dès le commencement ce qui doit arriver, et longtemps d’avance ce qui n’est pas encore accompli. » (Ésaïe 46. 10). « Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la connaissance de Dieu ! » (Rom. 11. 33.)
Dans tous ces passages, la connaissance divine est envisagée du point de vue de sa relation avec le gouvernement moral du monde et la rédemption humaine. C’est de ce seul point de vue que la foi s’intéresse à l’omniscience divine. Mais si elle n’affirme qu’une omniscience pratique, les difficultés qu’implique sa conception sont pratiquement les mêmes que celles de l’omniscience absolue. Elles portent principalement sur deux points : la connaissance divine de nos expériences finies et la prescience divine des actes libres.
La foi semble exiger que Dieu ait une connaissance directe de notre douleur et de nos souffrances physiques, ainsi que d’autres expériences que nous ne pouvons lui attribuer en tant qu’Être infini et purement spirituel. Nous comprenons ces expériences chez les autres, car nous les avons nous-mêmes vécues. Mais sans notre propre expérience, nous ne pourrions les connaître. Le contenu du sens de la vue nous serait totalement inconnu si nous n’avions pas d’organes de vision. Et il en va de même pour l’expérience sensorielle en général. Comment, alors, pouvons-nous attribuer à Dieu la connaissance de telles expériences ? La seule façon semble être de lui attribuer des modes de connaissance que nous ne pouvons comprendre. Dire que nos expériences sont aussi les siennes et qu’il les connaît par conséquent reviendrait à tomber dans une confusion panthéiste du divin et de l’humain, qui brouillerait la pensée au lieu de la clarifier. D’un autre côté, refuser à Dieu la connaissance de nos expériences finies et affirmer avec Spinoza [^20] qu’il y a à peu près autant de correspondance entre la connaissance divine et la connaissance humaine qu’entre la constellation du Chien et l’animal aboyeur du même nom, reviendrait à établir un fossé entre l’humain et le divin qui rendrait Dieu bien peu valable sur le plan religieux. La foi exige un Être divin qui soit touché par le sentiment de nos infirmités ; et le fait que nous ne comprenions pas comment il en vient à connaître ces infirmités n’est pas une raison pour rejeter la croyance qu’il possède une telle connaissance.
La prescience divine des actes libres n’est pas aussi étroitement liée à la foi que la connaissance divine de nos expériences finies. La prescience d’un acte mauvais, par exemple, n’aurait pas beaucoup de valeur si elle ne conduisait pas à un effort pour l’empêcher ; dans ce cas, ce ne serait pas de la prescience. Refuser à Dieu la prescience des actes libres ne serait pas nécessairement incompatible avec son omniscience. Car, de même que l’omnipotence n’implique pas le pouvoir de faire l’impossible, l’omniscience n’implique pas le pouvoir de connaître l’inconnaissable. Si la prescience des actes libres est une conception contradictoire, il n’y a aucune raison d’attribuer une telle connaissance à Dieu. Mais il est impossible de prouver qu’il s’agit d’une contradiction. Tout ce que l’on peut démontrer, c’est que nous ignorons comment une telle prescience est possible. Nous ne pouvons connaître l’avenir que par son lien avec le présent. Or, un acte libre est un commencement totalement nouveau et, en tant que tel, n’est représenté par rien avant qu’il ne survienne. Nous n’avons donc aucun moyen de le prédire. Mais prétendre qu’il soit absolument impossible de le prédire serait une affirmation injustifiée. Dieu peut avoir une façon que nous ne comprenons pas de prédire les actes libres, tout comme nous croyons qu’il a une façon de connaître nos expériences intérieures, même s’il ne les a pas vécues.
Certains auteurs calvinistes ont cherché à résoudre la difficulté liée à la prescience divine en soutenant qu’« un acte peut être certain quant à sa survenance et pourtant libre quant à son mode d’occurrence ». [12] En d’autres termes, la contingence n’est pas essentielle au libre arbitre. Un acte peut être rendu certain par un décret divin et pourtant être accompli volontairement par un agent libre. Mais comment Dieu a pu rendre un acte certain sans le rendre nécessaire est un mystère métaphysique tout aussi grand, en fait, que celui impliqué dans la prescience des actes libres. Si Calvin a raison de dire que Dieu « ne prévoit les événements futurs [ p. 321 ] qu’en conséquence de son décret qu’ils se produisent », [13] il semblerait que le décret doive comporter une efficacité causale qui exclut le libre arbitre dans leur production. La certitude objective ne peut, à notre connaissance, être combinée avec la véritable liberté.
Malgré les difficultés liées à la prescience divine des actes libres, il a été d’usage de l’affirmer. Mais les raisons de cette affirmation ne sont pas entièrement convaincantes. L’argument principal sur lequel on s’appuyait autrefois était celui tiré de l’élément prédictif des Écritures. Mais cet argument a été grandement affaibli, voire complètement infirmé, par la critique biblique. Il n’y a guère de prédiction spécifique dans la Bible qui exige la prescience divine des actes libres pour son explication. Une autre considération invoquée en faveur d’une telle prescience est la plus grande sécurité qu’elle procure au croyant. Si Dieu connaît tout d’avance, il ne sera jamais pris au dépourvu, pas même par les actes des hommes mauvais. Nous pouvons donc lui faire d’autant plus confiance. Mais bien qu’il puisse y avoir une certaine valeur religieuse dans cette ligne de pensée, la marge dans laquelle évolue la liberté humaine est si limitée que, même si ses actes ne peuvent être positivement connus à l’avance, il est difficilement possible pour une perspicacité infinie qu’ils contiennent beaucoup de surprise, et certainement pour quelqu’un possédant des ressources infinies de sagesse et de pouvoir, leur caractère inattendu ne constituerait pas un problème pratique sérieux et il n’y aurait pas de raison valable de diminuer sensiblement la confiance que l’on a en lui.
[ p. 322 ]
Une considération plus substantielle en faveur de la prescience divine réside dans le caractère impressionnant de la conception et dans la relativité du temps. Que toute réalité, future comme présente et passée, soit ouverte au regard divin, que le temps soit relatif à l’esprit connaissant, qu’il n’oppose aucune barrière à la connaissance divine, mais dépende lui-même, pour son existence, de la conscience et de la volonté divines, voilà une vision qui semble plus unifiée et plus acceptable pour la foi que celle qui soustrait une part considérable du futur à la vision divine. Mais comment une connaissance du futur contingent est-elle possible ? Nous ne pouvons le dire, que nous adhérions à l’idéalité ou à la réalité du temps. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que Dieu peut avoir une compréhension intuitive du futur qui transcende nos modes de connaissance humains. Le futur, le passé et le présent peuvent constituer pour lui une sorte d’« éternel maintenant » ; mais, s’il connaît ainsi le futur, il doit néanmoins le connaître comme futur et non comme présent.
Outre l’unité, l’identité personnelle et le pouvoir de connaître, la personnalité se caractérise par la liberté ou l’autodétermination. La liberté est parfois identifiée à la spontanéité et, en ce sens, elle serait nécessairement un attribut de l’Absolu dans la mesure où elle est active, car l’Absolu, par sa nature même, est indépendant et agit de lui-même. Mais la liberté personnelle signifie bien plus que cela. Elle signifie le pouvoir de choisir à l’opposé, une action consciente et intentionnelle. Elle signifie que Dieu n’a aucun lien nécessaire avec le monde présent, que sa création [ p. 323 ] était un acte volontaire, qu’il aurait pu créer un autre monde à sa place. C’est là que se situe la frontière entre le théisme et le panthéisme. Selon le panthéisme, le monde est une partie de Dieu ou une conséquence nécessaire de sa nature. Selon le théisme, Dieu est un Être libre et aurait pu choisir de ne pas créer un tel monde. La liberté dans ce sens est impliquée dans l’idée de la personnalité divine.
Une difficulté surgit cependant lorsque l’on tente de concevoir la relation entre la volonté divine et l’omniscience divine. L’omniscience d’un être parfait n’exclut-elle pas le pouvoir de choisir contre lui ? Un tel être ne serait-il pas déterminé dans chacun de ses actes par sa connaissance du résultat, puisque son caractère l’obligerait à choisir la ligne d’action la plus bénéfique ? Cette difficulté, dit John Miley, [14] « est bien plus profonde que la question habituelle de la cohérence entre prescience et liberté, qui ne concerne que la relation entre prescience en Dieu et liberté en l’homme, alors que la question en question concerne la cohérence de l’omniscience et de la liberté, toutes deux étant en Dieu lui-même. »
Pour répondre à cette difficulté, il convient de noter que l’omniscience n’est pas le reflet passif d’une réalité objective, mais qu’elle est un accomplissement et, en tant que tel, implique le libre arbitre. Sans la volonté divine, il n’y aurait pas de connaissance divine. Fondamentalement, l’omniscience et la liberté s’impliquent mutuellement. Il convient également de noter qu’en tant que force motrice, le résultat d’une action dépend [ p. 324 ] non seulement de la connaissance, mais aussi de l’appréciation, et l’appréciation dépend de la volonté et des affections plutôt que de l’intellect. Le fait est que nous ne pouvons estimer la valeur d’une chose particulière sans la coopération de notre nature tout entière. C’est donc une erreur de supposer que Dieu possède une prescience pure de l’avenir et de ses valeurs possibles, indépendamment de l’activité de sa volonté, et que cette prescience détermine nécessairement son action. La prescience appréciative est impossible sans la coopération de la volonté et des affections. Dans un tel cas, par conséquent, l’intellect ne détermine pas plus la volonté que la volonté ne détermine l’intellect. De plus, l’éternité de la prescience divine, ou omniscience, ne condamne pas la volonté divine à la rigidité. Le contenu d’un esprit omniscient peut, en un sens, rester le même. Mais un tel esprit doit distinguer le futur du présent ; il doit tenir compte de l’évolution de l’ordre mondial et, dans la mesure où il le fait, il laisse la voie ouverte aux ajustements libres, flexibles et vivants de la volonté divine aux besoins humains, tels qu’impliqués par la doctrine de la Paternité divine. Entre liberté et omniscience, nous ne trouvons donc aucune antithèse. Les deux s’impliquent mutuellement et sont des attributs essentiels de la Personne unique et absolue.
[^3] : Persona est naturae ratiobilis individua substantia. Liber tie Persona et Duabus Naturis, chap. III.
[^5] : h. Steinmann, Die Frage nach Gott, pp. 78-142.
[^9] : Die Christliche Glaubenslehre, I, p. 504.
[^11] : Die Christliche Glaubenslehre, I, p. 504.
[^12] : La vie de Schleiermacher, telle que racontée dans son autobiographie et ses lettres. Traduit par Frederica Rowan. Vol. II, p. 283.
[^15] : Cf. HH Wendt, System der Christlichen Lehre, p. 102.
[^20] : Ethique, I, p. 17, Scholium.
Cf. CCJ Webb, i&id., p. 65. ↩︎
Une mort dans le désert. ↩︎
L’idée de Dieu, par CA Beckwith. ↩︎
BP Bowne, Théisme, p. 162. ↩︎
Hégélianisme et personnalité, 1887, pp. 216f. ↩︎
Cf. BP Bowne, Métaphysique (éd. rév.), p. 117 ; Théisme, pp. 164 et suiv. ↩︎
Cf. H. Lotze, Microcosmus, II, pp. 685 et suivantes; BP Bowne, Theism, pp. 167 et suivantes. ↩︎
Sur la Trinité, Livre V, Chap. IX. Traduction anglaise par AW Haddan, p. 156. ↩︎
Pour une excellente déclaration de cette position dans sa relation avec les théories philosophiques actuelles, voir un article du professeur GA Wilson sur « La recherche du concret » dans le Monist, 1929, pp. 80-98. ↩︎
La Critique de la raison pure, 1re éd., p. 402; traduction de Max Müller, p. 324. ↩︎
Voir mon Enseignement religieux de l’Ancien Testament, pp. 68-92. ↩︎
Charles Hodge, Théologie systématique, I, p. 401. ↩︎
Institutes, Bk. III, Chap. 23, Par. 6; traduction anglaise, Vol. II, pp. 169f. ↩︎
Théologie systématique, I, pp. 189f. ↩︎