Comme la brochure du Major Prideaux est destinée principalement aux érudits, les notes annexées à sa traduction ne traitent que du texte original et des variantes : l’éditeur du présent volume se permet d’offrir des notes explicatives sur quelques-uns des versets cités ci-dessus, qui pourraient ne pas être, autrement, très intelligibles ou intéressants pour certains lecteurs.
v. 11. « Hûd, l’homme qui craignait Dieu. » Le prophète qui, selon l’histoire reçue des musulmans, fut envoyé pour avertir la tribu de 'Ad du châtiment qui les attendait s’ils n’abandonnaient pas leur idolâtrie et ne revenaient pas au culte du vrai Dieu. Le peuple de 'Ad rejeta le message du prophète et fut complètement détruit à cause de son incrédulité. (Kur’ān, sur. vii.) Selon certains auteurs, quelques 'Adites, étant à la Mecque en train de prier pour la pluie, échappèrent au sort de leurs frères ; et ces survivants donnèrent naissance à une tribu appelée « le dernier 'Ad » - mentionnée au v. 20. Les Arabes emploient l’expression « aussi vieux que le roi 'Ad » pour signifier la grande antiquité de quelque chose.
« Kahtân, de la semence du prophète et de la sainteté. » Joktan, fils d’Eher, que les Arabes appellent Kahtân, eut treize fils, dont l’un, Sheba, ou Saba, fut l’ancêtre des Sabéens, ou Himyarites.
v. 12. Ya’rub, fils de Kahtân, succéda à son père dans le royaume du Yémen, donnant son nom, si l’on en croit les historiens arabes, à la fois à leur pays et à leur langue.
[p. 352]
v. 14. Abd Shems, « le serviteur du soleil », surnommé Saba, fils de Yashab, nous disent les historiens arabes, remporta de grands butins et fit beaucoup de prisonniers. Il aurait construit la ville de Saba ou Mârib, ainsi que le tertre ou bâtiment prodigieux qui formait le vaste réservoir au-dessus de cette ville. Au moyen de ce réservoir, qui recevait toute l’eau qui descendait des montagnes, les rois de l’Yémen non seulement approvisionnaient en eau les habitants de Saba et leurs terres, mais ils tenaient aussi les territoires qu’ils avaient soumis dans une plus grande crainte, car en leur coupant toute communication avec lui, ils pouvaient à tout moment les affliger grandement. — Histoire universelle ancienne, vol. xviii, p. 419. L’eau [de ce réservoir] montait jusqu’à une hauteur de près de vingt toises, et était retenue de tous côtés par un ouvrage si solide, que beaucoup y firent bâtir leurs maisons. Mais enfin Dieu, très mécontent de leur orgueil et de leur insolence, et résolut de les humilier et de les disperser, envoya un grand déluge qui détruisit le tertre pendant la nuit, pendant que les habitants dormaient, et emporta toute la ville avec les villes et les habitants voisins. Cette inondation est appelée dans le Coran « l’inondation d’al-Arem », et occasionna une destruction si terrible que de là est devenu un dicton proverbial, pour exprimer une dispersion totale, « ils s’en allèrent et se dispersèrent comme Saba ». Pas moins de huit tribus furent forcées d’abandonner leurs habitations à cette occasion, dont certaines donnèrent naissance aux royaumes de Hira et de Ghassan. — Ibid., p. 428.
v. 55. Himyar, fils d’Abd Shems, ou Sabà, selon les auteurs orientaux, fut appelé ainsi à cause des vêtements rouges qu’il portait. Cela semble indiquer clairement que Himyar n’était qu’un surnom. Il chassa les Thamûd du Yémen, qui se réfugièrent au Hedjaz. De ce prince la tribu ou le royaume d’Himyar déduisit son nom. Certains affirment que c’est Himyar, et non Kahtân, qui fut le premier roi du Yémen à porter un diadème. — An. Univ. Hist., vol. xviii. [p. 419.]
v. 22. « Les Thamûd furent détruits par une chamelle. » [p. 353] De même que le prophète Hûd (voir note sur le verset 11) avait été envoyé pour avertir la tribu des ’Ad de leur méchanceté, de même le prophète Sâlih fut envoyé avec un message similaire au peuple de Thamûd. (Kur’ān, sur. vii.) « Les Thamûdites », dit Sale, « insistant sur un miracle, proposèrent à Sâlih de les accompagner à leur fête, et qu’ils invoqueraient leurs dieux, et lui les siens, promettant de suivre la divinité qui répondrait. Mais après qu’ils eurent longtemps invoqué leurs idoles en vain, Jonda Ebn Amru, leur prince, désigna un rocher isolé et ordonna à Sâlih d’en faire sortir une chamelle grosse avec des petits, s’engageant solennellement à croire, et son peuple promit la même chose. Alors Sâlih demanda à Dieu, et aussitôt le rocher, après plusieurs affres comme s’il était en travail, accoucha d’une chamelle répondant au signalement de Jonda, qui mit au monde aussitôt un petit, déjà sevré, et, comme certains le disent, aussi gros qu’elle. Jonda, voyant ce miracle, crut au prophète, et quelques-uns avec lui ; mais la plupart des Thamûdites restèrent néanmoins incrédules. » – « Ceux qui étaient enflés d’orgueil dirent : « En vérité, nous ne croyons pas à ce en quoi vous croyez. » Et ils tuèrent la chamelle, et transgressèrent insolemment l’ordre de leur Seigneur, et dirent : « Ô Sâlih, fais venir sur nous ce dont tu nous as menacés, si tu es l’un de ceux qui ont été envoyés par Dieu. » Alors un bruit terrible venu du ciel les assaillit ; et au matin, ils furent trouvés dans leurs demeures prosternés sur leurs visages, morts. » (Kur’ān, sur. vii.) — La tribu des Thamûd habita d’abord le pays des Adites, mais leur nombre augmentant, ils se retirèrent dans le territoire de Hejr [Pétra] à cause des montagnes, où ils se taillèrent des habitations dans les rochers, que l’on peut encore voir aujourd’hui. — Sale. Ce châtiment terrible infligé aux Thamûdites semble être passé au rang de proverbe. Par exemple : Sheddâd, déplorant la perte supposée de son fils héroïque ’Antar, lance une violente malédiction sur la cause de son malheur en ces termes : « Que Dieu détruise Malik, fils de Carad, et lui fasse souffrir ce qu’a enduré la tribu des Thamûd ! » (Romance d’Antar, p. 237 du [354] présent volume.) Et Hafiz, le poète persan, dans une de ses odes, conseille à son ami de « boire du vin et d’ignorer l’histoire de 'Ad et Thamûd. » — Zuhayr (Mo’allaqah, v. 32) compare la progéniture difforme de War au « chameau brun de 'Ad, » et non de Thamûd, comme le dit la légende du Kur’ān.
vv. 45-49. La reine Bilkîs, d’après les tables généalogiques compilées par le major Prideaux et annexées à sa traduction de ce poème, était la fille d’El-Hadhâd ibn Sharahbîl, et elle est placée au vingt-deuxième rang dans la liste des souverains d’El-Yémen établie par Pocock. Les Arabes identifient cette princesse avec la fameuse « reine de Saba », qui alla voir le roi Salomon dans toute sa gloire.
Le roi Salomon, comme nous le disent les légendes orientales, était un des grands de ses talents, et il était versé dans le langage des oiseaux. Un jour, une huppe (appelée par les Arabes « al-Hudhud ») lui rapporta des nouvelles de la ville de Saba et de la grande reine Bilkîs, qui, avec tous ses sujets, adorait le soleil. Choqué par tant de méchanceté, Salomon écrivit une lettre à la reine, lui ordonnant de renoncer à ses erreurs et d’embrasser la vraie religion. Après avoir parfumé la lettre avec du musc et l’avoir scellée de son sceau, il envoya la huppe la remettre à la reine Bilkîs. Le messager à plumes, arrivé au palais de la reine, et ayant trouvé les portes toutes fermées, comme l’affirme El-Beidâwi, s’envola par une fenêtre et laissa tomber la lettre sur les genoux de la reine ; mais Jelālu-’d-Dīn dit qu’elle était encerclée par son armée lorsque le vanneau la jeta dans son sein. Tous s’accordent cependant à dire que la lettre fut dûment remise et que la reine Bilkîs, emmenant avec elle, comme le dit le poète de Himyar, « des milliers et des milliers d’hommes armés de son peuple », partit immédiatement rendre visite au roi Salomon et s’assurer de la véracité des rumeurs qui circulaient sur sa sagesse et sa piété. Le résultat fut sa profession de foi islamique, car selon la théologie musulmane, Salomon et les autres personnages bibliques vénérés étaient tous de bons musulmans : Mahomet professait, non pas l’introduction d’une nouvelle religion, mais la restauration de la foi originelle et seule vraie.
[p. 355]
On dit que Salomon épousa ensuite la reine Bilkîs de Saba. C’est là le sujet d’une curieuse légende rapportée par les commentateurs du Coran. Une version de cette histoire est donnée par Mme Godfrey Clerk, dans son amusant petit livre de contes et d’anecdotes orientales intitulé 'Ilâm-en-Nîs. Dans une note préliminaire à sa traduction de la légende, Mme Clerk remarque que le règne de la reine Bilkîs coïncida à peu près avec le commencement de l’ère chrétienne. D’après M. Caussin de Perceval, cette princesse aurait tué son mari au moyen du poison.
vv. 138, 139. Une bénédiction sur le Prophète conclut souvent un Kasideh de caractère éthique ou dévotionnel (voir les versets 159-161 de la traduction de M. Redhouse du Poème du Manteau d’El-Būsīrī, page 341 du présent volume). Les exclamations poétiques des pèlerins lorsqu’ils voient pour la première fois El-Madīna sont exprimées dans un ton similaire : « Ô Allah ! bénis le dernier des prophètes, le sceau de la prophétie, avec des bénédictions aussi nombreuses que les étoiles du ciel, les vagues de la mer et les sables du désert ! bénis-le, ô Seigneur de puissance et de majesté, aussi longtemps que le champ de blé et le verger de dattiers continueront à nourrir l’humanité ! » — « Vis pour toujours, ô le plus excellent des prophètes ! « Vivez dans l’ombre du bonheur pendant les heures de la nuit et les heures du jour, tandis que l’oiseau du tamaris gémit comme la mère sans enfant, tandis que le vent d’ouest souffle doucement sur les collines du Nejd, et que l’éclair brille dans le firmament d’El-Hejaz ! » (Pèlerinage à El-Médine et à la Mecque de Burton, vol. II, pp. 25, 26). Dans le roman d’Antar, la même forme de bénédiction apparaît fréquemment ; par exemple : « Vivez à jamais, Prince des cavaliers ! Aussi longtemps que la colombe déversera sa note plaintive, vivez à jamais ! » — « Que la paix demeure avec vous aussi longtemps que souffleront les brises d’ouest et du nord ! »
*** Une erreur dans une des notes précédentes, découverte après l’impression de la feuille, peut être corrigée ici. (v. 11.) Shebà, ou Sabà, l’ancêtre des Sabéens, n’était pas un des fils de Kahtân—bien qu’on dise qu’il eut un fils du même nom—mais un [356] arrière-petit-fils ; étant [’Abd-Shems, surnommé] Sabà, le fils de Yashjub, le fils de Ya’rub, le fils de Kahtân.