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Fascicule 176. Le mardi soir sur le mont Olivet |
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Fascicule 178. Le dernier jour au camp |
177:0.1 QUAND leur tâche d’éducateur du peuple leur laissait un peu de répit, Jésus et ses apôtres avaient coutume de se reposer de leurs travaux tous les mercredis. Ce mercredi-là, ils prirent leur déjeuner un peu plus tard que d’habitude ; le camp était imprégné d’un silence de mauvais augure, et peu de mots furent prononcés durant la première moitié de ce repas matinal. Enfin, Jésus dit : « Je désire que vous vous reposiez aujourd’hui. Prenez du temps pour réfléchir à tout ce qui s’est passé depuis notre arrivée à Jérusalem, et méditez sur ce qui nous attend prochainement et que je vous ai clairement exposé. Assurez-vous que la vérité demeure dans votre vie et que vous croissez journellement en grâce. »[1][2]
177:0.2 Après le déjeuner, le Maitre informa André qu’il avait l’intention de s’absenter pour la journée. Il lui suggéra de donner aux apôtres la permission de passer le temps à leur gré, sous réserve qu’en aucune circonstance, ils ne pénètreraient à l’intérieur de Jérusalem.
177:0.3 Quand Jésus s’apprêta à partir seul dans la montagne, David Zébédée l’accosta en disant : « Maitre, tu sais bien que les pharisiens et les dirigeants cherchent à te détruire, et cependant tu t’apprêtes à partir seul dans les collines. C’est une folie. Je vais donc te faire accompagner par trois hommes bien préparés à veiller à ce qu’il ne t’arrive aucun mal. » Jésus regarda les trois Galiléens vigoureux et bien armés, et dit à David : « Ton intention est bonne, mais tu te trompes, en ce sens que tu ne comprends pas que le Fils de l’Homme n’a besoin de personne pour le défendre. Nul ne mettra la main sur moi avant l’heure où je serai prêt à abandonner ma vie conformément à la volonté de mon Père. Ces hommes ne peuvent pas m’accompagner. Je désire aller seul, pour pouvoir communier avec le Père. »[1]
177:0.4 Après avoir entendu cette réponse, David et ses gardes armés se retirèrent ; mais, alors que Jésus partait seul, Jean Marc s’avança avec un petit panier contenant des vivres et de l’eau, et suggéra que, si Jésus avait l’intention d’être absent toute la journée, il pourrait avoir faim. Le Maitre sourit à Jean Marc et tendit la main pour prendre le panier.
177:1.1 Tandis que Jésus allait prendre le panier du déjeuner des mains de Jean, le jeune homme s’aventura à dire : « Mais, Maitre, il pourrait arriver que tu poses le panier par terre pendant que tu t’en vas prier, et qu’ensuite tu l’oublies en poursuivant ton chemin. En outre, si je t’accompagne en portant le déjeuner, tu seras plus libre d’adorer Dieu, et je garderai surement le silence. Je ne poserai pas de questions, et je resterai près du panier quand tu iras seul à l’écart pour prier. »[2]
177:1.2 En prononçant ces paroles, dont la témérité étonna certains auditeurs proches, Jean Marc eut l’audace de retenir le panier. Jean Marc et Jésus étaient là, tenant tous deux le panier. Après quelques secondes, le Maitre lâcha prise et, regardant le garçon, dit : « Puisque de tout ton cœur tu désires ardemment m’accompagner, cela ne te sera pas refusé. Nous partirons seuls ensemble et nous aurons de bons échanges. Tu pourras me poser toutes les questions qui surgiront dans ton cœur et nous nous réconforterons et nous nous consolerons mutuellement. Au commencement, tu porteras le déjeuner et, quand tu seras fatigué, je t’aiderai. Suis-moi. »[3]
177:1.3 Ce soir-là, Jésus ne revint au camp qu’après le coucher du soleil. Le Maitre passa sa dernière journée tranquille sur terre à s’entretenir avec ce garçon assoiffé de vérité, et à parler avec son Père du Paradis. Dans les sphères supérieures, on a appelé cet évènement « la journée qu’un jeune homme a passée avec Dieu dans les collines ». Cette occasion donne, pour toujours, l’exemple de la bonne volonté mise par le Créateur à fraterniser avec les créatures. Même un adolescent, si le désir de son cœur est réellement suprême, peut attirer l’attention et jouir de la compagnie affectueuse du Dieu d’un univers ; il peut éprouver l’inoubliable extase d’être seul avec Dieu dans les collines, et ce, pendant toute une journée. Telle fut l’extraordinaire expérience de Jean Marc, ce mercredi-là, dans les collines de Judée.[3]
177:1.4 Jésus s’entretint longuement avec Jean, et parla franchement des affaires de ce monde et du monde à venir. Jean dit à Jésus combien il regrettait de n’avoir pas été assez âgé pour être l’un des apôtres. Il exprima sa grande reconnaissance pour avoir eu la permission de suivre constamment le groupe apostolique depuis la première prédication au gué du Jourdain près de Jéricho, sauf pendant le voyage en Phénicie. Jésus avertit le garçon de ne pas se laisser décourager par les évènements imminents et l’assura qu’il deviendrait un puissant messager du royaume.
177:1.5 Jean Marc garda un souvenir ému de cette journée avec Jésus dans les collines, mais il n’oublia jamais la dernière recommandation du Maitre. Au moment de retourner au camp de Gethsémani, Jésus lui dit : « Eh bien, Jean, nous avons eu une bonne conversation, un vrai jour de repos, mais veille à ne dire à personne ce que je t’ai raconté. » Et Jean Marc ne révéla rien de ce qui s’était passé au cours de cette journée avec Jésus dans les collines.
177:1.6 Durant les quelques heures que Jésus avait encore à passer sur terre, Jean Marc ne laissa jamais le Maitre longtemps hors de portée de sa vue. Le garçon était toujours caché à proximité. Il ne dormait que lorsque Jésus dormait.
177:2.1 Au cours des entretiens de cette journée avec Jean Marc, Jésus passa un temps considérable à comparer les expériences de leur enfance et de leur adolescence. Les parents de Jean possédaient plus de biens terrestres que ceux de Jésus, mais il y avait eu, dans leur enfance, beaucoup d’expériences très similaires. Jésus dit de nombreuses choses qui aidèrent Jean à mieux comprendre ses parents et d’autres membres de sa famille. Lorsque le garçon demanda comment le Maitre pouvait savoir qu’il deviendrait un « puissant messager du royaume », Jésus dit :[1][3]
177:2.2 « Je sais que tu te montreras fidèle à l’évangile du royaume, parce que je peux compter sur la foi et l’amour que tu as déjà, étant donné que ces qualités sont basées sur une formation aussi précoce que celle que tu as reçue chez toi. Tu es le fruit d’un foyer où les parents se portent mutuellement une sincère affection, de sorte que tu n’as pas été choyé à l’excès au point d’exalter pernicieusement ton concept de ta propre importance. Ta personnalité n’a pas non plus été déformée par des manœuvres où l’amour est absent, faites par des parents opposés l’un à l’autre, cherchant à gagner ta confiance et ta fidélité. Tu as joui d’un amour parental qui assure une louable confiance en soi et entretient un sentiment normal de sécurité. Mais tu as eu également la chance que tes parents soient doués de sagesse autant que d’amour. C’est la sagesse qui les a conduits à renoncer à la plupart des complaisances et des superfluités que la fortune peut procurer, tandis qu’ils t’envoyaient à l’école de la synagogue avec tes compagnons de jeux du voisinage, et ils t’ont aussi encouragé à apprendre comment vivre en ce monde en te permettant une expérience originale. Tu es venu avec ton jeune ami Amos au gué du Jourdain, où nous prêchions et où les disciples de Jean baptisaient. Vous désiriez tous deux nous accompagner. Quand tu revins à Jérusalem, tes parents y consentirent. Les parents d’Amos ne le permirent pas ; ils aimaient tant leur fils qu’ils lui refusèrent l’expérience bénie que tu as eue, celle-là même dont tu jouis aujourd’hui. En s’enfuyant de chez lui, Amos aurait pu se joindre à nous, mais en le faisant, il aurait blessé l’amour et sacrifié la fidélité. Même si cette ligne de conduite avait été sage, elle aurait représenté un prix terrible à payer pour l’expérience, l’indépendance et la liberté. Des parents avisés comme les tiens veillent à ce que leurs enfants n’aient pas à blesser l’amour ou à étouffer la fidélité pour développer l’indépendance et jouir d’une liberté fortifiante quand ils ont atteint ton âge.[4][5]
177:2.3 « L’amour, Jean, est la réalité suprême de l’univers quand il est donné par des êtres infiniment sages, mais il présente un caractère dangereux et souvent semi-égoïste tel qu’il est manifesté dans l’expérience de parents mortels. Quand tu seras marié et que tu auras tes propres enfants à élever, assure-toi que ton amour est conseillé par la sagesse et guidé par l’intelligence.[5][6][7][8][9][10]
177:2.4 « Ton jeune ami Amos croit tout autant que toi à cet évangile du royaume, mais je ne peux compter pleinement sur lui ; je ne suis pas certain de ce qu’il va faire dans les années à venir. Son enfance à son foyer n’a pas été de nature à produire un homme à qui l’on puisse se fier complètement. Amos ressemble trop à l’un de mes apôtres qui n’a pas bénéficié d’une éducation familiale normale, affectueuse et sage. Ta vie ultérieure sera plus heureuse et méritera plus de confiance, parce que tu as passé tes huit premières années dans un foyer normal et bien réglé. Tu possèdes un caractère fort et bien équilibré, parce que tu as grandi dans un foyer où prévalait l’amour et où régnait la sagesse. Une telle formation de l’enfance produit un type de fidélité m’assurant que tu poursuivras la voie dans laquelle tu t’es engagé. »[11][12]
177:2.5 Pendant plus d’une heure, Jésus et Jean continuèrent cette discussion de la vie au foyer. Le Maitre poursuivit en expliquant à Jean qu’un enfant dépend complètement de ses parents et de l’atmosphère du foyer pour la formation de ses premiers concepts sur toute chose, intellectuelle, sociale, morale et même spirituelle, puisque la famille représente pour le jeune enfant tout ce qu’il peut savoir pour commencer des relations humaines ou divines. L’enfant doit tirer des soins de sa mère ses premières impressions sur l’univers ; il dépend entièrement de son père terrestre pour ses premières idées sur le Père céleste. La vie mentale et sentimentale du jeune âge, conditionnée par les relations sociales et spirituelles du foyer, détermine si la vie ultérieure de l’enfant sera heureuse ou malheureuse, facile ou difficile. Toute la vie ultérieure d’un être humain est immensément influencée par tout ce qui se passe pendant les premières années de l’existence.[5][6][8][12][13][14][15][16][17][18][19][20][21][22]
177:2.6 Nous croyons sincèrement que l’enseignement de l’évangile de Jésus, fondé comme il l’est sur la relation entre enfant et père, ne pourra guère être accepté dans le monde entier avant l’époque où la vie familiale des peuples civilisés modernes comportera plus d’amour et plus de sagesse. Bien que les parents du vingtième siècle possèdent des connaissances très étendues et davantage de vérité pour améliorer leur foyer et ennoblir la vie familiale, il n’en reste pas moins vrai que, pour élever des garçons et des filles, très peu de foyers modernes peuvent rivaliser avec le foyer de Jésus en Galilée et celui de Jean Marc en Judée ; toutefois, l’acceptation de l’évangile de Jésus produira une amélioration immédiate de la vie familiale. Une vie d’amour dans un sage foyer et une dévotion fidèle à la vraie religion exercent l’une sur l’autre une profonde influence. Cette vie de foyer rehausse la religion, et la religion authentique glorifie toujours le foyer.[5][13][14][15][23][24]
177:2.7 Il est vrai que bien des influences étiolantes fâcheuses et d’autres caractéristiques restrictives des anciens foyers juifs ont été pratiquement éliminées dans beaucoup de foyers modernes mieux organisés. En vérité, on y trouve plus d’indépendance spontanée et beaucoup plus de liberté personnelle, mais cette liberté n’est ni réfrénée par l’amour, ni motivée par la fidélité, ni dirigée par l’intelligente discipline de la sagesse. Tant que nous apprenons à l’enfant à prier « Notre Père qui es aux cieux », tous les pères terrestres porteront l’immense responsabilité de vivre et d’ordonner leur foyer de telle sorte que le mot père soit dignement enchâssé dans le mental et le cœur de tous les enfants qui grandissent[1].[8][25][26]
177:3.1 Les apôtres passèrent la plus grande partie de la journée à se promener sur le mont Olivet et à s’entretenir avec les disciples qui campaient avec eux, mais, tôt dans l’après-midi, ils éprouvèrent le vif désir de voir revenir Jésus. Tandis que les heures passaient, ils s’inquiétaient de plus en plus de sa sécurité ; ils se sentaient inexprimablement seuls sans lui. Ils discutèrent toute la journée sur la question de savoir s’il avait été raisonnable de laisser le Maitre partir seul dans les collines, accompagné seulement d’un garçon de courses. Quoique personne n’exprimât ainsi ouvertement cette pensée, il n’y en avait pas un parmi eux, sauf Judas Iscariot, qui n’eût souhaité être à la place de Jean Marc.[4]
177:3.2 Ce fut vers le milieu de l’après-midi que Nathanael adressa, à une demi-douzaine d’apôtres et à autant de disciples, son discours sur le « Désir Suprême », qui se termina comme suit : « Ce qui ne va pas chez la plupart d’entre nous, c’est que nous manquons d’enthousiasme. Nous n’aimons pas le Maitre comme il nous aime. Si nous avions tous éprouvé aussi intensément que Jean Marc le désir de l’accompagner, il nous aurait surement tous emmenés. Nous sommes restés là à regarder le garçon s’approcher du Maitre et lui offrir le panier, mais, quand le Maitre l’a pris, le garçon n’a pas voulu le lâcher. Alors le Maitre nous a laissés ici, tandis qu’il partait dans les collines avec panier, garçon et tout. »[4]
177:3.3 Vers les quatre heures, des coureurs arrivèrent auprès de David pour lui apporter de Bethsaïde des nouvelles de sa mère, et de la mère de Jésus. Plusieurs jours auparavant, David était arrivé à la conviction que les chefs des prêtres et les dirigeants allaient tuer Jésus. David savait qu’ils étaient résolus à supprimer le Maitre, et il était à peu près convaincu que Jésus n’exercerait pas son pouvoir divin pour son propre salut et ne permettrait pas non plus à ses partisans de recourir à la force pour le défendre. Étant parvenu à ces conclusions, il se hâta d’envoyer un messager à Salomé sa mère pour la presser de venir immédiatement à Jérusalem et d’amener Marie, mère de Jésus, et tous les membres de la famille du Maitre.
177:3.4 La mère de David fit ce que son fils lui demandait, et, maintenant, les coureurs revenaient auprès de David, apportant la nouvelle que Salomé et toute la famille de Jésus étaient en route pour Jérusalem, et qu’ils arriveraient tard le lendemain ou de très bonne heure le surlendemain matin. Ayant agi de sa propre initiative, David crut sage de garder pour lui cette information. En conséquence, il ne dit à personne que la famille de Jésus était en route pour Jérusalem.
177:3.5 Un peu après midi, plus de vingt des Grecs qui avaient rencontré Jésus et les douze chez Joseph d’Arimathie arrivèrent au camp, et Pierre et Jean passèrent plusieurs heures en conférence avec eux. Ces Grecs, ou tout au moins quelques-uns d’entre eux, avaient une très bonne connaissance du royaume, car ils en avaient été instruits par Rodan à Alexandrie.
177:3.6 Ce soir-là, après son retour au camp, Jésus s’entretint avec les vingt Grecs ; il leur aurait volontiers conféré l’ordination comme aux soixante-dix, s’il n’avait pas su qu’en agissant ainsi, il aurait profondément troublé ses apôtres et ses principaux disciples.
177:3.7 Pendant que tout cela se passait au camp, à Jérusalem les chefs des prêtres et les anciens étaient stupéfaits que Jésus ne revienne pas haranguer les multitudes. Il est vrai qu’en quittant le temple la veille, il avait dit : « Je vous laisse votre maison désolée[2]. » Mais les dirigeants ne pouvaient comprendre pourquoi Jésus renonçait au grand avantage qu’il s’était assuré par l’attitude amicale des foules. Ils craignaient qu’il ne soulève un tumulte chez le peuple, bien que les dernières paroles du Maitre à la multitude aient été une exhortation à se conformer, de toutes les manières raisonnables, à l’autorité de ceux qui « trônent sur le siège de Moïse »[3]. Toutefois, la journée fut très active dans la ville pour les dirigeants, car ils se préparaient pour la Pâque et mettaient en même temps au point leurs plans pour tuer Jésus.
177:3.8 Le camp ne reçut que peu de visiteurs, car son établissement était resté un secret bien gardé par tous ceux qui savaient que Jésus comptait y rester, au lieu de se rendre toutes les nuits à Béthanie.
177:4.1 Peu après que Jésus et Jean Marc eurent quitté le camp, Judas Iscariot disparut du groupe de ses frères et ne revint que tard dans l’après-midi. Malgré la recommandation expresse de son Maitre de ne pas entrer à Jérusalem, cet apôtre troublé et mécontent se rendit en hâte à son rendez-vous avec les ennemis de Jésus, chez le grand-prêtre Caïphe[4]. Il s’agissait d’une réunion officieuse du sanhédrin, fixée pour un peu après dix heures ce matin-là, en vue de discuter la nature des accusations qu’il fallait porter contre Jésus et de décider la procédure à suivre pour le faire comparaitre devant les autorités romaines ; en effet, il était nécessaire d’obtenir la confirmation civile de la sentence de mort déjà prononcée par le sanhédrin contre Jésus.[5]
177:4.2 La veille, Judas avait révélé à quelques membres de sa famille, et à certains sadducéens, amis de la famille de son père, qu’il était arrivé à la conclusion que Jésus était un rêveur et un idéaliste bien intentionné, mais non le libérateur attendu d’Israël. Judas exposa qu’il aimerait beaucoup trouver une manière élégante de se retirer de tout le mouvement. Ses amis l’assurèrent flatteusement que son retrait serait salué par les dirigeants juifs comme un grand évènement, et, ensuite, il pourrait prétendre à n’importe quoi. Ils l’amenèrent à croire qu’il recevrait aussitôt de grands honneurs du sanhédrin et qu’enfin, il serait en position d’effacer la flétrissure de son « association bien intentionnée, mais malencontreuse avec des Galiléens incultes ».
177:4.3 Judas ne pouvait pas entièrement croire que les grandes œuvres du Maitre avaient été accomplies par le pouvoir du prince des démons, mais il était désormais pleinement convaincu que Jésus n’exercerait pas son pouvoir pour s’assurer des avantages personnels[6]. Il avait enfin acquis la certitude que Jésus se laisserait tuer par les dirigeants juifs, et Judas ne pouvait supporter la pensée humiliante d’être identifié avec un mouvement voué à l’échec. Il refusait de considérer l’idée d’un échec apparent. Il comprenait pleinement la fermeté de caractère de son Maitre et l’acuité de son mental majestueux et miséricordieux ; néanmoins, il prit plaisir à accepter, ne fût-ce que partiellement, la suggestion d’un membre de sa famille selon laquelle Jésus, bien qu’il fût un fanatique bien intentionné, n’était probablement pas vraiment sain d’esprit et avait toujours paru être une personne étrange et mal comprise.[29]
177:4.4 Et, maintenant plus que jamais, Judas commença à éprouver un étrange ressentiment parce que Jésus ne lui avait jamais attribué un poste plus honorifique. Judas avait continuellement gouté l’honneur d’être le trésorier apostolique, mais, désormais, il commençait à sentir qu’il n’était pas apprécié, que ses aptitudes n’étaient pas reconnues. Il fut soudain submergé d’indignation du fait que Pierre, Jacques et Jean aient été honorés d’une association étroite avec Jésus, et, à ce moment-là, tandis qu’il se dirigeait vers la maison du grand-prêtre, il était beaucoup plus préoccupé de prendre sa revanche sur Pierre, Jacques et Jean que de songer à trahir Jésus. Mais surtout, à ce moment précis, une nouvelle idée dominante commença à occuper la première place dans son mental conscient ; il avait entrepris d’obtenir des honneurs pour lui-même, et, s’il pouvait se les assurer en même temps qu’il prendrait sa revanche sur ceux qui avaient contribué à la plus grande déception de sa vie, eh bien, tant mieux. Il était la proie d’un terrible complexe de honte, d’orgueil, de désespoir et de résolution. Il faut donc qu’il soit clair que ce n’était pas pour de l’argent que Judas se rendait chez Caïphe en vue de prendre des dispositions pour trahir Jésus.
177:4.5 Tandis que Judas approchait de la demeure de Caïphe, il prit définitivement la décision d’abandonner Jésus et ses compagnons apôtres. Ayant ainsi résolu de déserter la cause du royaume des cieux, il décida de s’assurer pour lui-même le maximum de cet honneur et de cette gloire dont il avait espéré être un jour gratifié, quand il s’identifia, pour la première fois, avec Jésus et le nouvel évangile du royaume. Tous les apôtres avaient jadis partagé cette ambition avec Judas, mais, au cours des années, ils avaient appris à admirer la vérité et à aimer Jésus, tout au moins mieux que ne le fit Judas.
177:4.6 Le traitre fut présenté à Caïphe et aux dirigeants juifs par son cousin. Celui-ci expliqua que Judas, ayant découvert l’erreur qu’il avait commise en se laissant égarer par le subtil enseignement de Jésus, était arrivé au point où il désirait renoncer publiquement et officiellement à son association avec le Galiléen, et, en même temps, demander à être rétabli dans la confiance et la communauté de ses frères judéens. Le porte-parole de Judas continua en exposant que, d’après Judas, il valait mieux, pour la paix en Israël, que Jésus fût mis en prison. Comme preuve de son regret d’avoir participé à ce mouvement d’erreur, et de la sincérité de son retour aux enseignements de Moïse, Judas était venu s’offrir lui-même au sanhédrin comme étant celui qui pouvait prendre, avec le capitaine détenteur du mandat d’arrêt, des dispositions pour que Jésus soit mis en prison sans esclandre, ce qui écarterait tout danger d’ameuter les multitudes, ou la nécessité de retarder son arrestation jusqu’après la Pâque[7].[29]
177:4.7 Après avoir fini de parler, le cousin présenta Judas, qui s’approcha du grand-prêtre et dit : « Je ferai tout ce que mon cousin a promis, mais qu’êtes-vous disposés à me donner pour ce service ? » Judas ne sembla pas discerner l’expression de dédain, ou même de dégout, qui passa sur le visage du vaniteux Caïphe au cœur endurci ; le cœur de Judas était trop préoccupé de sa propre gloire et du désir de satisfaire l’exaltation de son moi[8].
177:4.8 Caïphe abaissa alors son regard sur le traitre et dit : « Judas, va trouver le capitaine de la garde et arrange-toi avec cet officier pour qu’il nous amène ton Maitre ce soir ou demain soir. Quand il aura été livré par toi entre nos mains, tu recevras ta récompense pour ce service[9]. » Après avoir entendu ces paroles, Judas quitta les chefs des prêtres et les dirigeants pour conférer avec le capitaine des gardes du temple sur la manière d’appréhender Jésus. Judas savait que Jésus était alors absent du camp, et il n’avait aucune idée de l’heure de son retour ce soir-là. Ils convinrent donc d’arrêter Jésus le lendemain soir (jeudi) après que le peuple de Jérusalem et tous les pèlerins visiteurs se seraient retirés pour la nuit.
177:4.9 Judas retourna au camp auprès de ses associés, enivré de pensées de grandeur et de gloire comme il n’en avait pas eu depuis bien longtemps. Il s’était enrôlé auprès de Jésus avec l’espoir de devenir, un jour, un grand homme dans le nouveau royaume, et s’était enfin rendu compte qu’il n’y aurait pas de nouveau royaume conforme à ses espérances. Mais il se réjouissait d’être assez sagace pour troquer la déception de son échec, qui était de parvenir à la gloire dans le nouveau royaume espéré, contre l’obtention immédiate d’honneurs et de récompenses dans l’ancien ordre de choses. Il croyait maintenant que cet ancien ordre survivrait et détruirait certainement Jésus et tout ce qu’il représentait. Dans son ultime mobile d’intention consciente, la trahison de Jésus par Judas fut l’action lâche d’un déserteur égoïste ne pensant qu’à sa propre sécurité et à sa glorification, quels que dussent être les résultats de sa conduite pour son Maitre et pour ses anciens associés.[27]
177:4.10 Mais il en avait toujours été ainsi. Depuis longtemps, et avec une conscience délibérée, obstinée, égoïste et vindicative, Judas avait progressivement accumulé, dans son mental, et entretenu, dans son cœur, ces désirs haineux et mauvais de revanche et d’infidélité. Jésus aimait Judas et lui faisait confiance autant qu’aux autres apôtres, mais Judas ne parvint pas à manifester en retour une confiance loyale ni à éprouver un amour sincère. Combien l’ambition peut devenir dangereuse quand elle se marie entièrement avec l’égoïsme et que sa motivation suprême est une sombre vengeance longtemps refoulée ! Quelle chose écrasante que la déception dans la vie de ces insensés qui fixent leur regard sur les attraits fugitifs et évanescents du temps, et deviennent ainsi aveugles aux accomplissements supérieurs et plus effectifs des aboutissements perpétuels des mondes éternels des valeurs divines et des vraies réalités spirituelles. Dans son mental, Judas désirait ardemment les honneurs terrestres, et en vint à aimer ce désir de tout son cœur. Dans leur mental, les autres apôtres désiraient également les honneurs de ce monde, mais, dans leur cœur, ils aimaient Jésus et faisaient de leur mieux pour apprendre à aimer les vérités qu’il leur enseignait.[28][29][30][31][32]
177:4.11 À ce moment, Judas ne le réalisait pas, mais il avait toujours critiqué Jésus dans son subconscient depuis le jour où Jean le Baptiste avait été décapité par Hérode. Au plus profond de son cœur, Judas avait toujours été froissé que Jésus n’ait pas sauvé Jean. Il ne faut pas oublier que Judas avait été un disciple de Jean avant de se mettre à suivre Jésus. Et tout cet amoncellement de ressentiments humains et d’amères déceptions que Judas avait accumulé dans l’âme, sous couleur de haine, était maintenant bien organisé dans son mental subconscient, et prêt à surgir et à l’engloutir s’il osait se séparer du soutien influent de ses compagnons, et, en même temps, s’exposer aux habiles insinuations et aux subtiles moqueries des ennemis de Jésus. Chaque fois qu’il avait laissé ses espérances monter très haut et que Jésus avait dit ou fait quelque chose pour les anéantir, il subsistait toujours, dans le cœur de Judas, une cicatrice de ressentiment amer. Et, comme ces cicatrices se multipliaient, ce cœur si souvent blessé perdit, bientôt, toute affection réelle pour celui qui avait infligé cette expérience désagréable à une personnalité bien intentionnée, mais poltronne et égocentrique. Judas ne s’en rendait pas compte, mais il était un lâche. En conséquence, il avait toujours tendance à attribuer à la lâcheté les mobiles qui conduisirent si souvent Jésus à refuser de saisir le pouvoir et la gloire, alors qu’en apparence, ils étaient si facilement à sa portée. Et tout mortel sait bien que l’amour — même s’il a jadis été sincère — peut finalement se transformer en haine réelle sous l’influence des déceptions, de la jalousie et d’un ressentiment longtemps entretenu.[28][32]
177:4.12 Les chefs des prêtres et les anciens purent enfin respirer tranquillement pendant quelques heures. Ils n’allaient pas être obligés d’arrêter Jésus en public. Les services de Judas, en tant qu’allié et traitre, leur assuraient que Jésus n’échapperait pas à leur juridiction comme il l’avait fait si souvent dans le passé.
177:5.1 Puisque ce jour était un mercredi, cette soirée au camp fut une heure d’intimité. Le Maitre essaya d’encourager ses apôtres abattus, mais c’était à peu près impossible. Ils commençaient tous à se rendre compte de l’imminence d’évènements déconcertants et accablants. Ils ne pouvaient être gais, même quand le Maitre leur rappelait leurs années d’association cordiale et mouvementée. Jésus s’enquit soigneusement des familles de tous les apôtres, puis se tourna vers David Zébédée et demanda si quelqu’un avait des nouvelles récentes de sa mère, de sa plus jeune sœur, ou d’autres membres de sa famille. David baissa les yeux et regarda ses pieds ; il avait peur de répondre.[1]
177:5.2 Ce fut l’occasion où Jésus avertit ses disciples de se méfier du soutien de la multitude. Il rappela leurs expériences en Galilée où de grandes foules les avaient maintes fois suivis avec enthousiasme, et ensuite s’étaient tout aussi ardemment détournées d’eux pour revenir à leurs croyances et modes de vie antérieurs. Puis Jésus dit : « Il ne faut donc pas vous laisser tromper par les grandes foules qui nous ont entendus au temple et qui semblaient croire à nos enseignements. Ces multitudes écoutent la vérité et leur mental y croit superficiellement, mais peu d’entre eux laissent la parole de vérité s’incruster dans leur cœur avec des racines vivantes. Ceux qui ne connaissent l’évangile que dans leur mental et qui ne l’ont pas expérimenté dans leur cœur ne peuvent être fiables lorsque les troubles réels surviennent. Quand les dirigeants Juifs se seront mis d’accord pour tuer le Fils de l’Homme, et qu’ils le frapperont à l’unanimité, vous verrez la multitude fuir effarée, ou bien rester là, silencieuse et stupéfaite, pendant que ces dirigeants affolés et aveuglés conduiront à la mort les instructeurs de la vérité de l’évangile. Ensuite, quand l’adversité et les persécutions s’abattront sur vous, d’autres encore que vous croyez aimer la vérité seront dispersés, et d’autres encore renonceront à l’évangile et vous abandonneront. Certains parmi ceux qui ont été fort proches de nous ont déjà résolu de déserter. Vous avez pris aujourd’hui un repos préliminaire aux évènements imminents. Veillez donc, et priez pour que demain vous ayez une force accrue pour supporter les prochaines journées. »[33][34][35]
177:5.3 L’atmosphère du camp était chargée d’une tension inexplicable. Des messagers silencieux allaient et venaient, communiquant seulement avec David Zébédée. Avant la fin de la soirée, certains savaient que Lazare s’était enfui précipitamment de Béthanie. Jean Marc observait un silence de mauvais augure après son retour au camp, bien qu’il eût passé toute la journée en compagnie du Maitre. Chaque effort pour l’inciter à parler aboutissait seulement à faire ressortir que Jésus lui avait enjoint de se taire.
177:5.4 Les apôtres furent même effrayés par la bonne humeur du Maitre et sa sociabilité exceptionnelle. Ils sentaient tous l’approche certaine du terrible isolement qui allait s’abattre sur eux avec une soudaineté écrasante et une terreur inéluctable. Ils pressentaient vaguement ce qui allait arriver, et aucun d’eux ne se sentait préparé à faire face à l’épreuve. Le Maitre avait été absent toute la journée et leur avait terriblement manqué.
177:5.5 Ce mercredi soir marqua le niveau le plus bas de leur statut spirituel jusqu’à l’heure effective de la mort du Maitre. Bien que le lendemain les ait encore rapprochés d’un jour du vendredi tragique, du moins était-il encore avec eux, et ils passèrent ces heures d’inquiétudes de meilleure grâce.
177:5.6 Jésus savait que ce serait la dernière nuit où il pourrait dormir tranquille auprès de la famille qu’il s’était choisie sur terre. Un peu avant minuit, il congédia les apôtres pour leur repos nocturne en disant : « Allez dormir, mes frères, et que la paix soit sur vous jusqu’à notre lever de demain, une journée de plus pour faire la volonté du Père et éprouver la joie de savoir que nous sommes ses fils. »[7][36]
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